Interview de Louis Caprioli sur la série Sleeper cell



Louis Caprioli, conseiller spécial du groupe GÉOS (analyse et gestion des risques) en qualité de conseiller du Président, ancien responsable de la lutte anti-terroriste internationale à la DST de 1998 à 2004.

 

SLEEPER CELL – Saison 1 est sortie en DVD le 3 mars 2009. La critique de cette première saison est accessible sur DVDcritiques.com en suivant ce lien :

http://www.dvdcritiques.com/critiques/dvd_visu.aspx?dvd=5747

  Synopsis   
Darwyn Al-Sayeed, agent afro-américain du FBI travaillant sous couverture, est recruté par Faris Al-Farik, le leader d'une cellule terroriste islamiste qui s'apprête à attaquer Los Angeles. Pour cette dangereuse mission, Darwyn est supervisé par Ray Fuller, qui est également un ami très inquiet pour la sécurité de son camarade.

Louis Caprioli, Sleeper Cell est-elle une série réaliste ?

Louis Caprioli : C’est une série tout à fait réaliste. Dans les pays Anglo-saxons quand il s’agit d’infiltrer une cellule terroriste ou un groupe criminel (mafia), la police, le FBI ou la DEA utilisent des officiers « sous couverture » (under cover) comme c’est le cas dans Sleeper Cell. Cette technique demande des moyens colossaux, mais elle est possible aux U.S.A et au Royaume-Uni.

 

En France, on a vu notamment plusieurs exemples d’infiltrations par les services de police dans les années 70 au sein de l’extrême gauche et de l’extrême droite. Mais pour la pénétration des réseaux terroristes, notamment jihadistes dans la mouvance d’Al Qaida, les services français ont plutôt recours actuellement à deux méthodes d’infiltration.

 

Le recrutement d’une source à l’intérieur du dispositif, parce que l’individu présente des vulnérabilités et est plus apte au recrutement ou bien on crée une source de toute pièce que l’on tente d’infiltrer dans une cellule.

 

La technique d’infiltration par un agent sous couverture, qui apparaît dans « Sleeper Cell » est réaliste, mais très stressante pour l’agent qui s’infiltre. Il n’a plus de vie personnelle.

 

Là où je suis dubitatif à propos de Sleeper Cell, c’est que le chef du réseau jihadiste aux USA, soit présenté comme membre de la communauté juive. Je n’ai jamais vu d’équivalent. Sauf si cet homme se révèle être un agent du Mossad. Que quelqu’un d’extérieur, un terroriste jihadiste réussisse à s’infiltrer dans la communauté juive, cela m’interpelle.

 

En ce qui concerne, l’imam blond américain que l’on voit dès le premier épisode, il est un peu jeune. S’il est un référent religieux, c’est lui qui légitime toutes les opérations et les actions car il s’appuie sur le Coran. Ce qui demande une expérience et une formation religieuse certaine et longue. A moins que sa conversion soit ancienne et qu’il ait séjourné dans des universités islamiques ou des « madrassas », au Pakistan, par exemple.

 

Le Bosniaque musulman hostile aux USA me surprend un peu. Historiquement, si les Bosniaques ont été protégés lors de la guerre en ex-Yougoslavie, c’est grâce notamment aux USA. La victoire contre les Serbes a été possible grâce à l’OTAN, et aux USA. Certes, un Bosniaque jihadiste peut haïr les USA en raison de leur engagement en Irak, en Afghanistan. Donc que ce Bosniaque puisse être hostile aux USA, pourquoi pas, ce n’est pas à écarter.

 

Quels éléments de la série sont vraisemblables et lesquels ne le sont pas ?

 

Louis Caprioli : Commençons par ce qui est vraisemblable.

 

Dans le 1er épisode, le leader du réseau reproche à un des membres son imprudence lors d’une communication avec un parent en Egypte, ce qui risque de mettre en danger la cellule et de faire échouer les projets d’attentats Cela est très vraisemblable, en effet par ses  moyens d’interception la NSA (National Security Agency) a la capacité de remonter des « réseaux » si un membre diffuse une information lors d’une communication téléphonique, il peut être détecté. La décision d’éliminer ce « traitre » ou plutôt cet inconscient peut être légitimée par une fatwa après une « interprétation spécieuse » de la Charia. Le scénario est donc plausible.

 

Par contre dans le 3e épisode, je suis réservé sur l’origine du financement qui proviendrait de la drogue et de la prostitution, notamment au Mexique et en connexion avec les cartels criminels. Je n’ai jamais rien connu d’équivalent et de cette ampleur. Prenons par exemple le financement des attentats du 11 septembre 2001. Les opérations ont été réalisées par un Commando de 19 personnes, financé par des envois d’argent depuis Dubaï. C’était de l’argent  « propre », venant de contributions de gens soutenant les combats en Afghanistan ou d’ONG dont certains fonds ont été détournés pour la cause terroriste. Habituellement, on ne trouve pas de financement par la prostitution ou la drogue, contrairement à ce que montre Sleeper Cell.

 

Je ne dis pas que ça ne se fait pas, il existe effectivement des cas de financement par la criminalité, mais pas à l’échelle de ce qui est montré dans le 3ème épisode de Sleeper Cell, je m’explique.

Pour commettre les attentats du 11 mars 2004 à Madrid, la cellule a échangé du Haschich contre de l’explosif de carrière en possession d’un ressortissant espagnol.

Pour aller dans le sens du financement par des actes de délinquance, je peux aussi mentionner le réseau de Roubaix (démantelé en mars 1996). Les terroristes, anciens combattants en Bosnie, avaient pour objectif de commettre des attentats, notamment contre une réunion du G7 à Lille. Pour financer leur cellule, ils ont eu recours à des attaques de fourgons de transport de fonds, mais ces actes « criminels » étaient au préalable légitimés par une fatwa, délivrée par un imam, favorable à la cause.

 

En Algérie, le financement d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) provient des enlèvements de riches commerçants, d’hommes d’affaires ou de membres de leur famille. Dans la région du Sahel l’AQMI se livre à la contrebande de cigarettes, au trafic de véhicules volés et à des enlèvements de touristes, qui sont libérés contre de fortes rançons (3 à 5 M€).

 

Est-il possible d’utiliser la méthode du profilling quand on parle de terrorisme ?

 

Louis Caprioli : La méthode du profilling a été un échec pour tenter d’identifier, avant le passage à l’acte, les terroristes. Après le 11 septembre 2001 et durant une année environ, une réflexion a été engagée au niveau européen pour tenter de dresser le « profil » du terroriste « type », comme cela a été fait pour les Serial Killers. Le projet a été abandonné, car chaque terroriste a un profil atypique.

 

Concernant le terroriste blond aux yeux bleus, Américain de surcroit, tel qu’on le  voit dans Sleeper Cell, oui, c’est crédible.

 

La conversion au « Jihadisme » peut se réaliser à plusieurs niveaux : la conversion se réalise lors d’une appartenance à un groupe, dans le milieu carcéral par exemple. En prison, il faut être membre d’une bande (gang ou cellule « religieuse jihadiste ») pour être protégé. Un jeune, qui est perdu, va se sentir encadré par ses « frères » en religion. Qu’il soit ou non croyant, il trouve un équilibre dans cette conversion qui lui apporte l’aide de ses frères », une rigueur, un discours simple, des « projets ». C’est également ce qui peut se passer dans les banlieues, les cités où un individu adhère au discours radical en fréquentant un groupe ; il est séduit par la rhétorique radicale, par le côté clandestin, par la perspective d’entrainements militaires, par les projets d’actions et la conviction que le terrorisme est la seule réponse possible.

 

Mais ce n’est pas parce qu’une personne se convertit à l’islam qu’elle devient un terroriste. Les gens, qui basculent dans la violence sont une infime minorité.

 

Avez-vous noté une augmentation de séries ou de fictions sur ce sujet ?

Louis Caprioli : Je n’ai pas constaté d’augmentation des séries sur le terrorisme, c’est plutôt l’inverse. Les chaînes de télévision sont très prudentes en France, car le terrorisme est trop lié à l’actualité macabre des massacres par des kamikazes. Elles diffusent beaucoup plus des polars classiques.

Il y a eu au début des années 1990 une série, « Antoine Rives, juge du terrorisme », qui reprenait des affaires réelles de terrorisme des années 1980 en France. Depuis les réalisateurs français ont négligé, volontairement ou non, ce thème du terrorisme.

 

Louis Caprioli, quelle a été votre mission dans la lutte anti-terroriste ?

 

Louis Caprioli : J’ai travaillé dans ce domaine pendant 21 ans. J’ai été chargé à partir de 1983 de la lutte contre le terroriste international, c'est-à-dire celui des Etats et des organisations. De 1998 à 2004, j’ai été responsable de la lutte contre le terrorisme international, à cette époque il s’agissait du terrorisme jihadiste, lié à la mouvance d’Al Qaida.

 

Il faut savoir que depuis l’attentat commis le 3 décembre 1996 au RER Port Royal à Paris, tous les attentats ont été empêchés sur le territoire français, même certains préparés à l’étranger.

 

Ma mission à la DST a été de rechercher des renseignements en infiltrant des sources humaines dans des cellules pour identifier les projets, les terroristes et les neutraliser préventivement dans un cadre judicaire pour empêcher la commission d’attentats. Evidemment, lorsque que des attentats avaient été commis, la mission des agents de la DST a été d’identifier les auteurs. Dans la très grande majorité des affaires, les terroristes, qui étaient impliqués dans des attentats, ont été arrêtés.