Emir Kusturica nous apporte son nouveau film, sur fond de guerre de Bosnie, et mêle chemins de fer et histoire d’amour à ses délires visuels habituels. Et si son style ne suffisait pas à faire un film ?
Titre original : Zivot je cudo
France, Serbie, 2004
Réalisateur : Emir Kusturica
Acteurs : plein d’acteurs qu’on connaît pas avec des accents circonflexes à l’envers. Pour mémoire : Slavko Štimac, Vesna Trivalic, Nataša Šolak
Durée : 2h35
L’histoire
Luka est responsable de l’entretien du tout nouveau chemin de fer en Bosnie. Mais lorsque la guerre éclate, son fils est mobilisé, part au front, et est capturé. Son seul espoir de revoir son fils réside dans une otage, Sabaha, qu’il héberge et qu’il veut échanger contre son fils. Mais il tombe amoureux de la belle Sabaha… (à vrai dire, on est déjà à la moitié du film, mais le début est difficilement résumable)
Emir Kusturica est un cinéaste à part. Quelle que soit l’histoire qu’il raconte, il la truffe de détails fantastiques et fantaisistes, d’animaux, d’objets qui volent, de chants et de fêtes. La Vie est un miracle n’échappe pas à la règle. Mais c’est malheureusement tout ce qu’il y a à sauver. J’imagine que le film pourra plaire à d’autres, que certains pourront rester en extase devant certains plans superbes et surréalistes, ou se gloser de tous les sous-entendus sur la guerre, l’humain et sa condition, le côté philosophique. Mais en l’occurrence, je n’ai que mon long calvaire de 2h30 à vous raconter.
La bande son d’un film est pour moi plus importante que l’image. Cela posé, laissez-moi vous raconter celle-ci. Dire qu’elle est bruyante ressemble à une tentative de championnat du monde de litote. Pas un moment sans quelqu’un qui hurle, une musique de fanfare, des tirs de fusil ou de canon, des gens qui s’engueulent, ou je ne sais quel autre bruit aigu et désagréable. La musique principale (entendue dans la bande annonce) est plutôt réussie, même si elle tape plutôt dans la fanfare que dans l’harmonie. La première fois qu’on l’entend, on la trouve bien. La deuxième moins. Et à la septième (oui, septième) fois, on craque. Le reste de la musique est également répétitif et pas trop réussi. La bande son de ce film est donc une torture sans nom pour mes oreilles délicates (pas délicates en terme de volume, mais en terme de qualité et de décibels aigus inutiles).
Le scénario ne rattrape pas la sauce. D’abord parce que l’accroche du film, l’histoire à la Roméo et Juliette entre ce père serbe et la jolie otage musulmane qu’il veut échanger contre son fils, retenu prisonnier, commence au bout d’1h15, soit à la moitié du film. Avant ça, on a des saynètes plus ou moins délirantes et dont on comprend plus ou moins leur place dans l’histoire, incluant principalement des chemins de fer, mais sans qu’on sache vraiment où Kusturica veut en venir. Si on ajoute des personnages assez caricaturaux, et principalement le héros, dont les retournements brusques d’avis ou d’humeur ne sont pas sans rappeler les héros les plus mal écrits de Shakespeare : là je t’aime mais dans 2 minutes je t’engueulerai, mais c’est pas grave parce que dans 5 minutes et 30 secondes je t’embrasserai à nouveau. Et un autre trait du scénario qui a toujours le don de m’énerver : les héros choisissent à peu près toujours la solution la plus idiote et la moins réfléchie. Sérieux, il est déchiré entre échanger la jeune fille contre son fils, ou la garder ; et s’il l’échangeait contre son fils, comme ça il récupère son fils, et après elle revient d’elle-même ? Ça arrangerait pas tout le monde, ça ?
Pour finir sur une note plus positive, on appréciera les acteurs, qui se débrouillent le mieux possible avec leurs personnages superficiels. Le héros, qui arrive à ressembler à la fois à Sam Neill, Dennis Quaid et Billy Bob Thornton, a bien du mal à rester charismatique avec son personnage trop instable pour être crédible, mais les seconds rôles sont pittoresques à souhait. Et on n’oubliera pas de citer la seule planche à laquelle se raccrocher dans le naufrage qu’est ce film : Nataša Šolak, qui joue la jeune otage, et dont le sourire et les cheveux blonds irradient l’écran de leur beauté lumineuse. Mais avec le doux délire qui baigne discrètement les scènes, et leur esthétisme graphique, c’est bien le seul intérêt du film. Entre le son insupportable, le scénario qui donne envie de mettre des baffes aux personnages pour qu’ils prennent les bonnes décisions, et le chaos général qui baigne l’histoire, il n’y a qu’un mot pour décrire l’impression que le spectateur a du film pendant la majeure partie des 150 minutes où il est assis dans la salle : gonflant.
A voir : si vous êtes un fan de Kusturica, au moins
Le score presque objectif : 6/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -3, si vos oreilles ont les mêmes goûts que les miennes (c’est-à-dire ont le moindre goût)
Sébastien Keromen