Après le succès mondial de son recueil de photos, Yann Arthus-Bertrand passe à la taille supérieure : le grand écran. Renaud Delourme a patiemment mis en forme un film avec ces superbes photos, les a mis en musique, les a accompagné d’un texte lu par Bernard Giraudeau. Et si ce n’était absolument pas une bonne idée ?

La Terre vue du ciel (te amo)
France, 2004
Réalisateur : Renaud Delourme
Acteurs : avec les voix de Bernard Giraudeau, Nils Hugon
Musique de : Armand Amar
Adapté de l’œuvre photographique de Yann Arthus-Bertrand. Un petit lien vers son site, où vous pouvez consulter beaucoup de ses photos : http://www.yannarthusbertrand.com
Durée : 1h05

L’histoire
Pas d’histoire, juste un enchaînement des superbes photos aériennes couvrant la beauté de la terre et la couleur de la misère.


Jusqu’où iront-ils ? Après les adaptations de livre, de BD, de jeux vidéos, d’autres films, de dessins animés, d’histoires vraies, de sports et en attendant sans doute les adaptations de blagues Carambar, voici l’adaptation d’un recueil de photographies. Nul besoin sans doute de vous présenter le superbe livre La Terre vue du ciel, dont vous avez peut-être admiré les photos leurs de l’expo du Luxembourg. Nul besoin de vous dire à quel point ces photos sont belles, étonnantes, émouvantes, touchantes, et parfois tout ça à la fois. Mais un film, est-ce bien raisonnable ?


Commençons par décrire ce que Renaud Delourme a bien pu faire avec des photos fixes. Moi, j’aurais juste filmé quelqu’un qui tourne les pages du livre et lit les légendes, mais il a décidé de faire mieux que ça. Comme il le dit lui-même, le film a trois voix : les images, le texte, et la musique. Passons-les en revue dans cet ordre. Pour éviter le côté statique des photos (il s’agit bien directement des photos, et non d’images tournées pour le film), la caméra zoome et dézoome, parcourt les photos de gauche à droite ou suivant un chemin différent, enchaîne les images en diaporama. Ça manque un peu d’animation au sein des images, mais ça donne presque l’impression de film. D’autant que la bande son rajoute des bruitages pour rendre les images vivantes. Là, on a l’impression que je présente ça comme un bon côté. Mais si une ambiance jungle ou cigales habille avantageusement une image, des bruitages plus présents font un peu bizarre. Pas la peine de faire beeeh quand il y a des moutons, ou plic ploc plic ploc quand il y a des seaux pour recueillir l’eau. Ces bruitages vont de ridicule à vraiment envahissant, mais épargnent heureusement une bonne partie du film. Quand ça parle.


C’est juste moi, ou la grande faiblesse des documentaires qui se veulent plus poétiques que didactiques, c’est leur texte ?
Parce que là, ça ne rate pas. Plutôt que de commenter les images, en expliquant leur provenance, comme dans le livre, le film essaie de mettre en place un dialogue entre un adulte intarissable et un enfant qui ne dira que quelques mots (dont les inoubliables " un mouton, deux moutons, trois moutons " quand il y a des moutons, et les inoubliables " une goutte, deux gouttes, trois gouttes " quand il y a des seaux pour recueillir la pluie). Même en empruntant à des poètes ou écrivains, le texte d’accompagnement ne colle pas. Quand Bernard Giraudeau vous parle d’un serpent d’étoile, d’une veine bleue qui amène la pureté au cerveau et d’une aorte rouge qui amène le mal au cœur ou le contraire, ça a beau être du Gionno, ça fait bizarre. A tel point que si on essaie de suivre ce que ça raconte, ça finit par distraire des images plutôt que de les enrichir. Un dernier mot sur la musique, classique à tendance world music, côté moyen orient, pas vraiment mauvaise mais qui ne parvient pas un seul instant à transcender l’image.


Mais à part ces réserves sur la forme, laissez-moi poser la question de fond : fallait-il vraiment se donner tout ce mal ? Faisons donc un petit comparatif. D’un côté, un film qui vous affiche les photos en grand écran, mais en ne respectant généralement pas leur cadre (pour pouvoir bouger l’image au sein de la photo), qui enchaîne sans lassitude des photos pendant plus d’une heure, qui ne vous permet pas de passer plus vite celles que vous aimez moins, ni de revoir celles qui vous plaisent, et qui passent sous silence les légendes qui expliquaient d’où venait le paysage. De l’autre côté, vous avez des photos plus petites mais avec plus de piqué, cadrée comme il faut, que vous pouvez feuilleter à votre guise, et qui comporte toutes les indications nécessaires pour comprendre les photos et comprendre également ce qui se cache derrière ces photos. Voilà, le comparatif me semble sans appel. Pendant seulement 10 minutes, dans le segment Chaosmos, le commentaire de Giraudeau reprend (en les poétisant un peu) les explications liées aux photos de catastrophes plus ou moins naturelles, et c’est le seul moment où le film atteint l’émotion du livre.


Au final, même si le film aurait pu être mieux, il est de toute façon inutile.
Peut-être une musique d’un autre niveau (comme celle du Peuple migrateur, par exemple) aurait-elle pu faire passer le film à un autre niveau, mais plus d’une heure de photos fixes (même si la caméra bouge) avec des propos au mieux naïfs, au pire grotesques, ça fait trop. Attention, cela n’enlève rien aux photos et à leur qualité, mais, à moins que vous soyez médicalement allergique au papier, mieux vaut les découvrir en livre, en regarder quelques-unes chaque jour. Ou encore mieux, une jolie éphéméride, une photo chaque jour avec tout le temps de l’observer et de l’apprécier.

A voir : oui, mais le livre, pas le film
Le score presque objectif : 5,5/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -1, achetez le livre, lisez le livre (y compris les légendes), mais le film ne m’a pas convaincu, et m’a même ennuyé.

Sébastien Keromen