Aaltra
France, 2004
Réalisateur : Benoît Delépine, Gustave Kervern
Acteurs : Benoît Delépine, Gustave Kervern, et en clins d’yeux : Jan Bucquoy, Pierre Carles, Aki Kaurimäki, Benoît Poelvoorde, Noël Godin
Durée : 1h35
Sortie le 13 octobre 2004
L’histoire
Deux voisins en campagne. L’un adepte du télétravail, l’autre agriculteur. À la suite d’une dispute et d’une bagarre, une remorque leur tombe dessus, les laissant tous deux paralysés des jambes. Ils démarrent alors un long périple pour aller demander des comptes au constructeur de la remorque. En Finlande. Et en fauteuil roulant.
Ce film est surprenant. Vous vous attendez à du Groland, comme sur Canal+, et vous vous retrouvez avec du Aki Kaurismäki. C’est pas juste une image, il joue dedans ! En fait, si on retrouve quelques gags avec l’humour noir et méchant du Journal de Moustic, le film ressemble plus à un film d’auteur, du genre dépouillé et hermétique au premier abord. Par exemple, le film a été tourné en noir et blanc, avec beaucoup de grain (surtout dans les champs et dans le sable, ah ah). Ça lui donne une " patte " visuelle très spéciale et beaucoup de caractère. Un grand nombre de plans sont ainsi surexposés et ressemblent à un vieux film abîmé par le temps, mais en très esthétique.
Le film impressionne aussi par sa bande son. Pas de musique (sauf une hilarante chanson à la fin), mais des bruits exagérés de train, campagne, voitures, motos, et pourtant très naturels et crédibles. Et ce ne sont pas les dialogues, rares et très concentrés, qui viennent incessamment briser le silence. En fait, avant de passer à l’histoire et au film lui-même, il faut rendre hommage à la qualité technique du film, pourtant tourné en équipe très réduite (10 personnes), et dont l’esthétique visuelle et sonore distille un climat très spécial et envoûtant.
C’est bien simple, ce traitement permet de faire passer des scènes qui serait sinon à mourir d’ennui. Ah oui, tout est très lent, très posé, on ne se refuse pas un plan fixe sur les nuages ou sur la ville. Pas mal de plans comme des images humoristiques, quasiment sans mouvement, parcourent d’ailleurs le film. L’histoire en elle-même est réduite à sa plus simple expression, et se concentre sur les rencontres : rencontre entre ces deux voisins que leur condition va doucement rapprocher, rencontre avec des gens de passage un peu bizarres, rencontre avec les familles qui vont avoir la gentillesse (et la bêtise et la malchance, ne rayez pas de mention inutile) de les accueillir ou de les recueillir. Ces rencontres ne manquent d’ailleurs pas de tourner au vinaigre, soit parce que la personne rencontrée est encore plus tordue qu’eux, soient parce qu’ils abusent jusqu’à la corde de l’hospitalité belge ou flamande. On peut alors à loisir profiter de l’humour bête et méchant qui accompagne les deux héros, et qui prend son essor dans ces scènes.
Des fois, c’est drôle. Il y a environ 17 fois moins de gags qu’on aurait pu s’y attendre connaissant le passé des réalisateurs, mais il reste tout de même quelques gags délicats, et surtout quelques gros pétages de plombs avec des scènes qui s’enfonce dans le drôle à une vitesse supersonique. En clair, on ne rit pas souvent, mais on rit fort.
Vient le moment tant redouté : conclure sur ce film. D’un côté, j’ai été vraiment soufflé par les partis pris et la qualité de la réalisation, qui donne au film une tenue certaine, et le débarrasse illico de l’étiquette " film fait par des gens de la télé " qu’on se sentait déjà prêt à lui accoler. D’un autre côté, entre deux bons rires, le film s’étire un peu au-delà du raisonnable. Question de sensibilité alors, mais faut vraiment être accro aux films lents où il y a une action (comme quelqu’un qui fait un pas, ou qui ouvre une porte) toutes les 10 minutes. Dommage, le public auquel correspondrait le film ne se sentira pas concerné par le film des deux zozos de la télé, et les amateurs de Groland ne retrouveront que très peu leur univers. Va vraiment falloir de la chance pour que ce film et son public se trouvent.
A voir : pour la qualité du film et la surprise qu’il constitue
Le score presque objectif : 7/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +3 si vous aimez les films dits d’auteur, et l’humour noir, -1 si vous aimez l’action
Sébastien Keromen