Après le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet revient enfin sur les écrans, et tente avec un film d’amour et de guerre de ne pas être écrasé par l’attente. Pour ne pas décevoir, il aligne un casting de rêve, avec notamment Audrey Tautou, Albert Dupontel, Dominique Pinon, Marion Cotillard, André Dussolier, et même Jodie Foster. Et envoie tout ce petit monde dans les tranchées de la guerre de 14. Pour un film d’une qualité rare.

Un long dimanche de fiançailles
France, 2004
Réalisateur
 : Jean-Pierre Jeunet
Acteurs : Audrey Tautou, Gaspard Ulliel, Albert Dupontel, Jodie Foster, Dominique Pinon, Ticky Holgado, Marion Cotillard, André Dussolier, François Levantal, Clovis Cornillac, Chantal Neuwirth, Denis Lavant, Jean-Pierre Darroussin, Jean-Paul Rouve, Jean-Claude Dreyfus, Tcheky Karyo, Julie Depardieu, Michel Vuillermoz, Rufus
Musique de : Angelo Badalamenti
Adapté du livre de Sébastien Japrisot
Durée : 2h15

L’histoire
1919, juste après la guerre de 14. Le fiancé de Mathilde, Manech, est officiellement mort au combat. Mais Mathilde ne perd pas espoir, persuadée que s’il était mort, elle le ressentirait. Elle se lance dans un jeu de piste géant, à la recherche des dernières personnes ayant vu son fiancé.


On peut dire qu’on l’attendait au tournant, Jeunet, après Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain.
C’est pas qu’on ne lui faisait pas confiance, c’est que la tâche était ardue de ne pas décevoir. Allons droit au but : si Un long dimanche de fiançailles a à peu près autant de qualités de réalisation qu’Amélie, il reste moins agréable à regarder. L’explication à la fin du texte (pour que vous lisiez tout).
Côté réalisation, c’est rien que du bonheur. Toujours aussi talentueux, Jeunet aligne les plans superbes, les idées originales et poétiques de mise en scène. Pas un plan qui ne soit à tomber, pas une minute sans un mouvement de caméra ou un effet inédit. Et je n’exagère presque pas. En plus d’être reconstituée avec minutie et crédibilité (comme certains endroits de Paris aujourd’hui disparus), l’époque est mise en scène avec nostalgie, matérialisée par une coloration sépia de l’image (c’est donc pour ça que les photos d’époque sont sépia : le monde était sépia en ce temps-là !). Les lieux sont de plus très nombreux, et on se retrouve embarqués pour un formidable voyage dans la France de 1920. La musique de qualité complète naturellement l’image, en restant discrète mais indispensable.
Outre sa réalisation, le plaisir du film est, comme pour les autres Jeunet, ses acteurs. Rien que la distribution suffit à impressionner, mais ensuite chaque acteur donne le meilleur de lui-même, soit dans les petits rôles marquants, soit dans les rôles principaux. On a grand plaisir à retrouver par exemple Dominique Pinon qui a toujours une place spéciale dans les films de Jean-Pierre Jeunet. On appréciera aussi le premier rôle français de Jodie Foster, ou la dernière apparition (avec un personnage cocasse) de Ticky Holgado. Sans oublier les rôles principaux, Audrey Tautou en tête, qui est parfaitement dans le rôle (même si celui-ci reste assez sobre). Et on n’oubliera pas non plus mon préféré, Albert Dupontel, qui nous gratifie d’un rôle assez jubilatoire. Et on n’oubliera pas tous les autres, mais je n’ai pas la place de tous les citer.


Trêve de compliments, nous arrivons à la partie qui fâche un peu.
Juste un peu, mais qui empêche tout de même Un long dimanche de fiançailles de se hisser au plus haut niveau. Et ce petit raté du moteur, c’est le scénario. Le film essaie de brasser trois genres à la fois : la guerre, l’amour, et une enquête en forme de jeu de piste. Difficile de réussir les trois, et l’histoire d’amour en souffre le plus. La partie guerre est, elle, fort bien dépeinte, à tel point qu’elle est à déconseiller aux âmes sensibles (oui, ach, la guerre, toujours grosse malheur). Le quotidien des poilus, leur désespoir face à l’ennemi ou à une hiérarchie peu compatissante, l’horreur des combats, tout est très bien et très vivement dépeint. Côté enquête, elle est riche et permet de voyager, mais reste moyennement passionnante dans son déroulement : pas de retournement de situation, pas d’indices subtils, rien que quelques surprises pas très surprenantes. Le plus intéressant dans l’enquête reste (et c’était sans doute voulu) les rencontres qu’elle permet.
Malheureusement, le côté très construit de ce jeu de piste, où les pièces s’emboîtent comme à Tetris, nuit au naturel du film, et par là même à l’histoire d’amour, reléguée au niveau de leitmotiv discret. La fin reste tellement attendue et pudique qu’elle en oublie d’émouvoir, et la seule fois que le film touche, c’est par le personnage de Marion Cotillard (et la note qu’elle reçoit). Un long dimanche de fiançailles reste donc un film superbe et superbement réalisé, superbement interprété, mais qui manque un peu de chaleur et d’émotion. Amélie Poulain souffrait un peu également d’une émotion en demi-teinte, mais se rattrapait par le sentiment de bonheur et de jubilation intense qu’il suscitait. Un long dimanche de fiançailles, par son sujet de la guerre traité dans toute son horreur, se prive de cet avantage, et reste ainsi moins enthousiasmant. Un bon film, voire très bon, mais avec un petit manque de cœur qui l’empêche de nous tout à fait nous toucher.

A voir : parce que le film est superbe
Le score presque objectif : 7,5/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +2, à voir si la guerre ne vous rebute pas

Sébastien Keromen