Le dernier film du réalisateur français Raphaël Nadjari est une œuvre difficile et touchante : Avanim, qui pourrait tout autant s’intituler : comment être une femme dans la société israélienne d’aujourd’hui.

Avanim
France, Israël, 2005 (Année de production : 2004)
Réalisateur
 : Raphaël Nadjari
Acteurs : Asi Levi, Uri Gabriel, Florence Bloch
Durée : 1h50 min

L’histoire
Michale est une jeune femme vivant à Tel Aviv en compagnie de son mari et de leur fils. Elle travaille avec son père dans leur cabinet d’expertise comptable et ce dernier a notamment comme clients des institutions religieuses orthodoxes. Sa vie bascule le jour où elle apprend la mort de son amant, tué dans un attentat.


La critique
Le mot Avanim est un mot hébreu qui signifie "pierres". Ce mot est particulièrement bien adapté car il y a beaucoup de pierre en Israël. D’après les propres mots du réalisateur : "Ce pays est rempli de pierres, toutes symboliques […], les pierres avec lesquelles on construit des maisons et des écoles, celles que jettent les religieux sur les laïcs et les laïcs sur les religieux, […] elles peuvent servir pour détruire, mais elles peuvent aussi bien servir pour construire, pour bâtir". C’est d’autant plus juste que le film s’achève sur la mort, puisque les israélites ont pour coutume de déposer un caillou sur les pierres tombales.

Avanim
est loin d’être un film traitant de l’épineux et polémique conflit israélo-palestinien. Non… Loin de tout manichéisme affiché, Raphaël Nadjari décide de décrire la vie d’une famille israélienne ordinaire principalement par le biais de Michale, son héroïne. Cette dernière tente de trouver un équilibre incertain entre un mari absent et un père intransigeant et envahissant. Avec la mort de son amant, la jeune femme va se libérer et réellement s’ouvrir (dans la douleur) à la vie.

Raphaël Nadjari n’en est pas à son premier film mettant en scène la communauté juive ou israélienne (ne faites pas d’amalgame, ce sont deux choses différentes). Ses précédents films adoptaient un style visuel très sombre. Celui d’Avanim passe par quelques plans larges, mais surtout par beaucoup de plans rapprochés sur les visages de ses acteurs avec des effets de caméra tremblants et extrêmement mouvants. Le résultat est très efficace puisque le sentiment de vécu s’en voit renforcé et apporte une forte crédibilité au film : les acteurs, splendides, n’en sont que plus authentiques. Ce parti-pris visuel contribue à apporter au film une belle unité, unité soutenue par la présence d’instruments musicaux à cordes tout au long du film.
Si le style est réussi, les acteurs quant à eux, sont parfaits. Asi levi est touchante dans son interprétation d’une femme complètement anéantie par le chagrin, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle n’est plus rien et ne parvient plus à s’identifier à ce qu’elle est supposée être : une mère pour son fils, une femme pour son mari, une fille pour son père. C’est toutefois cette destruction qui lui permet de renaître et d’enfin vivre, sans plus se contenter de survivre. Pour preuve, un de ses seuls sourires se verra destiné à son amie Nehama, qui la recueille dans la seconde moitié du film au moment où elle aspire à changer de vie.
La présence de la famille et des traditions, bien qu’enclavante, apporte une chaleur évidente pendant toute la première partie du film. A ce moment, Michale ne paraît-elle pas heureuse ? Le néophyte risquera d’être surpris ou choqué par certaines traditions montrées à l’écran, tandis que l’initié sourira en voyant les plats traditionnels de Chabat s’il a déjà pu participer à ce repas au sein de la communauté juive. Malgré la douleur de l’incompréhension, l’amour est présent dans bien des plans dans Avanim.

Mais ces quelques belles notes ne peuvent dissimuler la douleur de Michale qui finira par la laisser s’exprimer devant tous. L’incompréhension répétée oralement par son père est criante de désespoir. Il ne faut pas oublier le facteur déclenchant pour l’héroïne : la mort de son amant dans un attentat. Pendant que certains luttent contre le terrorisme depuis quelques années, d’autres en ont fait leur quotidien depuis plus de cinquante ans. Dans cette hantise de mourir, la mort peut vous faucher à n’importe quel moment et à n’importe quelle terrasse. A n’importe quel moment, vous pouvez perdre votre père, votre mère, votre mari, votre femme…

Ainsi, avec une infinie subtilité, Raphaël Nadjari dresse, dans la souffrance d’une femme juive israélienne, la difficile condition de ces dernières en permanence soumises aux rites, mais aussi à la culpabilité. L’altercation entre Michale et le Rav Gabai en est toute la quintessence.
Sans concession, le cinéaste nous dresse le portrait d’un peuple à la fois victime et héraut de ses traditions, courbant l’échine sous le poids de la transmission. Eclatante, Michale en est la digne représentante.

A voir : du vrai cinéma en lettres majuscules
Le score presque objectif : 8/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +2, une tranche de vie très intéressante sur la condition des femmes en Israël.

Arnaud Weil-Lancry