Qui sont les Falashas ? Des juifs d’Ethiopie ayant quitté leur foyer pour venir s’installer en Israël. Le dernier film de Raidu Mihaileanu raconte la vie de l’un d’entre eux, Schlomo, qui va devoir tout simplement tenter d’exister.

Va, vis, et deviens
France, 2005 (Année de production : 2004)
Réalisateur(trice) : Radu Mihailleanu
Acteurs : Yaël Abecassis, Roschdy Zem, Moshe Agazai
Durée : 2h20 min

L’histoire

En 1984, des milliers d'Africains frappés par la famine se retrouvent dans des camps au Soudan. A l'initiative d'Israël et des Etats-Unis, une vaste action est menée pour emmener des milliers de Juifs éthiopiens vers Israël.
Une mère chrétienne pousse son fils de neuf ans à se déclarer juif pour le sauver de la mort. L'enfant arrive en Terre Sainte. Il est adopté par une famille française vivant à Tel-Aviv. Le jeune garçon finit par grandir dans la peur et la crainte que son secret ne soit découvert…
La critique

Les films liés à Israël se suivent et se ressemblent…
Pour le plus grand plaisir du spectateur. Ce cinéma, israélien par le contenu, est prolifique ces dernières années et nous sert bien des perles et autres leçons de vie. Chaque film, à sa manière, Kadosh, Kippour, Avanim… raconte le quotidien d’une nation liée à la terre et aux traditions par le poids d’une culture remontant à la nuit des temps. Ce cinéma, authentique, est fréquemment douloureux et touchant . En effet, tout en instruisant le spectateur de rites et coutumes inconnus, il s’accorde le luxe de soulever des questions difficiles et nous laisse souvent ressortir de la salle seul face-à-face avec nous-mêmes. Le dernier film du français Raidu Mihailleanu, Va, vis et deviens n’échappe pas à cette règle : de ces deux heures et demie de spectacle, on ressort triste, fatigué, comme après une longue traversée dans le désert...

Car il s’agit effectivement d’une épuisante marche…
Une véritable quête à laquelle est contraint de se livrer le principal acteur du film, Shlomo. Une quête de soi, une quête de la vérité, une quête de vie.
Avec une décence déconcertante, Raidu Mihaileanu retrace le destin de ces Falashas, ces juifs d’Ethiopie, quittant leur terre natale dans les années 80 pour se réfugier en terre d’Israël. C’est en effet au cours d’une opération baptisée " opération Moïse " que quelques milliers d’Ethiopiens parcoururent des milliers de kilomètres pour échapper à un funeste destin. Ce point historique (prenant le risque de faire partir le film dans le documentaire) sert d’introduction au film et met en avant ce qui sera l’un des thèmes clés du long-métrage: le sacrifice.
Cette notion est particulièrement présente pendant toute la première partie du film, qui traite de l’exode des Falashas et constitue un contraste frappant avec la deuxième partie : sacrifice/Soudan, amour/Israel. Il est bien évident que les mères Ethiopiennes font preuve d’amour pour leur fils en se sacrifiant pour lui, mais c’est en arrivant en Israel que Shlomo pourra s’abandonner à l’amour plutôt qu’au sacrifice. Cette thématique prendra fin au moment où Schlomo acceptera sa nouvelle famille en décidant (enfin) de rompre le pain avec elle. Ce magnifique moment d’émotion est un des moments forts du film car il retranscrit aussi bien pour le jeune garçon son acceptation de sa nouvelle vie que l’adieu définitif à l’ancienne… Vie qu’à bien des moments il refuse de quitter : ses fugues illustrent parfaitement bien le malaise du jeune Ethiopien, tout comme la manière qu’il a régulièrement de se déchausser pour retrouver contact avec la terre.
Si les deux vies de Schlomo sont clairement distinctes, Raidu Mihaileanu a organisé son film selon des périodes très précises.
Ce découpage n’est absolument pas flagrant et donne au contraire un excellent rythme au film : Schlomo enfant / Schlomo adolescent / Schlomo jeune adulte / Schlomo médecin. Quatre période de vie pour quatre femmes (mère naturelle / mère adoptive / mère adoptive israelienne / compagne) … car il est évident que notre jeune héros ne serait rien sans elles. Elles ont toutes resplendissantes, Yaël Abécassis en tête.
De la même manière que ce sont les femmes qui donnent la religion juive dans le judaïsme, les femmes de la vie de Shlomo sont véritablement ses muses (cet aspect est très présent) et il vit par elles, grâce à elles et pour elles, en recherchant l’amour de manière quasiment permanente. Chez Shlomo, tout se fait dans la douleur et la souffrance, en forte partie à cause de son héritage d’exilé et de son ancien statut de « pauvre », mais surtout à cause de l’épine qu’il a dans son pied. Epine qu’il gardera probablement toute sa vie : le mensonge lié à sa religion, mensonge par lequel il a pu se substituer à la mort.

C’est justement là que réside toute la force de Va, Vis et deviens : dans la capacité de son réalisateur à aborder beaucoup de thèmes complexes, tout en parvenant à tous les approfondir.
Ces thèmes sont nombreux et jamais bâclés, que ce soit celui de l’amour, de la féminité (les femmes ont le premier rôle du film) mais aussi celui de l’identité. En arrivant en Israël, les Falashas découvrent que contrairement à leur croyance, tous les juifs ne sont pas noirs, d’où un premier motif d’exclusion pour eux… Ensuite, Schlomo doit cacher le fait qu’il soit chrétien et faire croire à tous qu’il est effectivement juif… Ces divers faits ne peuvent que se vivre dans une douleur extrême, particulièrement bien transmise à l’écran par Moshe Agazai (Schlomo enfant), Moshe Abebe (Schlomo adolescent), ou Sirak M. Sabahat (Schlomo adulte). Une douleur virulente qui se verra portée à son apogée dans le dernier quart d’heure du film.
Cette douleur omniprésente est soutenue (peut-être avec un peu trop d’insistance par moment) par la très belle partition musicale de Armand Amar.

A travers une magnifique leçon de cinéma et un très bel hommage aux femmes, Raidu Mihaileanu signe un film digne et splendide, mais surtout une douloureuse leçon de vie sur le courage et l’amour, qui nous remue dans ce que nous avons de plus profond. On reste marqué par cet enfant demeurant une minorité parmi les minorités, un apatride parmi les apatrides.
Son message est clair comme du cristal et illustre parfaitement la difficulté de la condition humaine : la vie est un combat perpétuel contre soi-même.


A voir : sauf si vous souhaitez manquer un très beau film
Le score presque objectif : 8,5/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +2, une belle leçon de cinéma comme on souhaiterait en voir plus souvent…

Arnaud Weil-Lancry