Dernier film de Laurent Dussaux, Avant qu’il ne soit trop tard est un film traitant du deuil, mais surtout de ce qui caractérise le sentiment amoureux. Analyse d’un film douloureux, réussi mais excessif.

Avant qu’il ne soit trop tard
France, 2005 (Année de production, 2004)
Réalisateur: Laurent Dussaux
Acteurs : Frédéric Diefenthal, Emilie Dequenne, Olivier Sitruk
Durée : 1h24 min

L’histoire
Ils se sont connus à l'université de lettres de Lyon : Phyl, Clarisse, Aurélia, Titi, Marie, Gérard, Solange. Leur élément central était Ben, décédé dans un accident de voiture. Aurélia, la plus provocante du groupe, invite ses amis et ses nombreux ex pour fêter son départ définitif pour les Etats-Unis. Elle espère que Phyl saura enfin lire en elle le désir qu'elle garde secret depuis toujours. Solange et Gérard annoncent pour la énième fois leur prochaine séparation.
Pendant cette nuit, ils vont revivre leurs souvenirs et leurs secrets, à travers un difficile jeu de faux semblants…


La critique

Avant qu’il ne soit trop tard… pour une échéance, certes, mais laquelle ?
Celle de vivre ou de mourir ? Cette question ne trouve au final pas de vraie réponse, mais laisse des personnes face à leurs doutes et leur peur… Quel sentiment imprègne ce long métrage, si ce n’est un sentiment de douleur, de mort, de tristesse, et d’amour ?
Sans le moindre ambages, le dernier film de Laurent Dussaux annonce en quelques instants la teneur de son film, qui va traiter des divers sentiments évoqués ci-dessus, des sentiments coup-de-poing, violents, bref, brutaux dans toute leur splendeur.
De vieux amis qui se retrouvent pour une sorte d’ultime soirée avant quelque chose. La vie, la mort, le désespoir. Ces retrouvailles démarrent avec une violence immédiate et laisse préfigurer un véritable règlement de compte à la manière d’Un air de famille, ce type de rixes qui ne laissent personne indemne, et dont on sort changé et bouleversé. A la différence que dans Avant qu’il ne soit trop tard, les échanges sont autrement plus violents, faits de secrets enfouis, de vérités inavouées qui finiront par éclater au grand jour, dans un déluge de pleurs et de colère.
Prévisible, peut-être, éprouvant sûrement.

De la proximité du deuil et de l’amour… Quel sentiment est plus proche de l’Amour que la Mort ?
Sous couvert d’une réunion d’adieu, tous ces « chers amis » se retrouvent finalement sous le signe de la mort : celle de leur ami Ben, décédé dans un accident de la route 14 mois plus tôt. Choix intéressant de la part du réalisateur, ce mort n’apparaît jamais dans le film, alors qu’il en constitue en fait le ciment, le point d’ancrage pour ce groupe d’amis désoeuvrés.
Alors que cet accident aurait dû les rapprocher, ils les a en fait tous éparpillés : chacun est parti de son côté en oubliant les autres, comme si cet abandon volontaire faisait partie intégrante d’un passé auquel il fallait nécessairement tourner le dos. Toutefois, loin de leur accorder la vie, cet accident les a entraîné avec lui et tous ont désormais oublié ce qu’était la vie. Cet abandon est illustré avec une virulente émotion par une Emilie Dequenne éprouvante et éprouvée par les évènements et ses sentiments.
Il est ironique de constater que le décor choisi par Laurent Dussaux se déroule dans un paysage enneigé, symbole de la pureté. Car tous les personnages présents ne sont pas des anges, leur vie est pleine de tromperie, de mensonge et de faux-semblants. Un peu comme si ce blanc immaculé pouvait tous les purifier et leur rendre leur innocence d’antan, une innocence virtuelle, certes, mais une innocence rêvée et présente dans l’esprit comme vestige du passé. Chacun de ces individus vit, mais désormais en fantôme qui a perdu le goût des choses. Toutefois, ces fantômes sont bien vivants et distillent à tour de bras une colère bien palpable qui donne lieu à des répliques acides, véritables parties de ping-pong dans ce théâtre de la rancœur qu’est Avant qu’il ne soit trop tard.
Ces altercations à la fois attendues et efficaces laissent finalement place à une tristesse sans borne. Comme on peut s’y attendre, les masques tombent et les sentiments tout comme la vérité éclatent au grand jour. Personne ne sortira indemne de ces éprouvantes retrouvailles…


A concept alléchant, choix scénaristique limite décevant…
Il s’agit bien évidemment de relativiser cette remarque, tout comme la supposée réussite du film de Laurent Dussaux. Avant qu’il ne soit trop tard n’est pas un film qu’on pourrait qualifier de réellement réussi… ni toutefois raté. La faute incombe très probablement à une certaine prétention, ou plutôt à un net excès de zèle. En effet, à force de chercher à multiplier ses protagonistes, Laurent Dussaux finit par survoler la majorité de ses personnages sans en approfondir aucun. Il est vrai qu’ils sont très nombreux… voire trop. Il en résulte un attachement trop relatif aux personnages que l’on ne découvre pas assez et pour leur histoire, trop suggérée. Cette faiblesse n’est pas aidée par les rapports diffus et complexes entre les protagonistes : coucheries les uns avec les autres, relations familiales trop peu explicites etc… Les nœuds de leurs liens et rapports sont finalement un peu compliqués à dénouer et on n’y voit clair qu’un peu tard (choix indépendant du déroulement du film).
C’est d’autant plus paradoxal que le film bénéficie d’un très bon rythme et nous propulse dans le vif de sujets délicats au bout de cinq petites minutes. Seulement voilà, à cause de cette impression de superficiel, on demeure avec un sentiment non pas de gâchis, mais d’opportunité loupée face à un film uniquement bon alors qu’il bénéficiait de tous les ingrédients pour devenir un excellent drame humain.
Cette sensation mitigée n’est pas aidée par une distribution à son top niveau (renforçant l’impression de gâchis), avec des acteurs irréprochables, que ce soit Frédéric Difenthal en copain déboussolé (dans un rôle enfin plus crédible que Taxi), ou Emilie Dequenne en garce irrécupérable et finalement complètement paumée. Edouard Montoute, s’il ne constitue pas une surprise en soi (son talent est relativement reconnu depuis quelques temps), constitue le clou du spectacle par son interprétation exemplaire d’un mari déçu par la précarité du sentiment amoureux. D’une manière générale, tous les personnages du films sont convaincants, bien qu’inconnus dans leur majorité : Olivier Sitruk, Vanessa Larré, Elodie Navarre…

Plutôt réussi dans la forme et le fond, Avant qu’il ne soit trop tard est un film honorable et efficace, porté par une pléiade d’acteurs excellents. Cette fresque sur le sentiment amoureux et finalement sur la vie fait fréquemment mouche, ce qui n’est pas pour bouder notre plaisir.
Cette peinture aurait toutefois gagné en vitalité par un peu plus de simplicité.
 
A voir : pour une agréable tranche de vie amoureuse
Le score presque objectif : 6,5/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +1, bien qu’un peu décevant, Avant qu’il ne soit trop tard constitue un drame amoureux relativement réussi

Arnaud Weil-Lancry