Interview de Stéphane Brizé & Anne Consigny

Je ne suis pas là pour être aimé est le second film de Stéphane Brizé, après Le Bleu des villes (1999), avec Mathilde Seigner. Pour son nouveau long métrage, il offre un rôle complexe à l’excellent Patrick Chesnais qui partage l’affiche avec Anne Consigny, découverte dans l’Equipier de Philippe Lioret (2004), et qu’on a pu également voir dans le polar d’Olivier Marchal, 36, Quai des Orfèvres (2004).

Je ne suis pas là pour être aimé raconte l’histoire de Jean-Claude, huissier, 50 ans, usé, résigné qui n’attend plus rien de la vie jusqu’au jour où il rencontre Françoise, dans un cours de Tango… Film mélancolique et drôle sur un homme qui va peu à peu se mettre à vivre après avoir passé toute son existence à s’interdire d’éprouver le moindre sentiment. Au milieu d’une réalisation délicate et sensible, deux acteurs qui nous livrent une grande prestation. Patrick Chesnais, génial, tout en retenu dans le rôle de cet homme complètement désabusé qui va petit à petit laisser entrevoir sa sensibilité et son humanité à travers la carapace qu’il s’est forgé au fil des ans. Et Anne Consigny, sublime, qui irradie toute la pellicule de son charme, sa beauté, parfaite dans son interprétation d’une femme qui se laisse enfin aller à penser à elle-même, au lieu de toujours s’occuper des autres.


Stéphane comment vous est venue l’idée de l’histoire de Jean-Claude ?

 

J’avais envie de raconter l’histoire d’un personnage qui s’éclaire. Il a les deux pieds dans la mêlasse, et il va trouver le moyen de s’en sortir. Mais sans optimisme béat. L’âge du personnage est important. Il fallait qu’il en ait plus derrière lui que devant. Il a manqué beaucoup de choses dans sa vie, un mariage raté, une relation distante avec son fils, il est en conflit permanent avec son père. Il sent qu’il faut qu’il se passe quelque chose dans sa vie.

 

C’est à ce moment qu’il décide de prendre des cours de Tango. Pourquoi cette danse et comment se prépare t-on à la filmer ?

 

C’est une danse sensuelle, mais qui en même temps est tout en retenue, comme le personnage de Jean-Claude. D’ailleurs le tango est une danse mélancolique et cette mélancolie fait écho à celle qui émane de Jean-Claude. Je me suis posé beaucoup de questions avant de tourner les scènes de danse. J’étais très inquiet. Il fallait que j’arrive à retranscrire la naissance des sentiments des deux personnages. C’est bien évidemment différent que lorsque je filme une scène où deux personnes se parlent, par exemple. Je n’ai pas pensé à des placements particuliers, des mouvements de caméra précis. J’ai fait confiance aux acteurs. Je me suis senti obligé d’être disponible tout simplement. Je les ai suivi.


Anne vous avez du prendre des cours de tango pour le film. Est-ce que cela vous a plu et continuez vous à danser ?

 

C’était super d’être payé pour prendre des cours de danse. Surtout qu’avec Patrick, j’avais un partenaire très séduisant. J’ai vraiment aimé passer deux heures par jour, pendant quelques semaines, à m’entraîner et découvrir le charme de cette danse. Pour l’instant je ne danse plus mais j’aimerai vraiment reprendre.

 

Stéphane, parlez-nous du choix des vos acteurs ?

 

En ce qui concerne Patrick, je trouve qu’il a en lui tout ce qu’il faut pour le personnage. Pas forcément ce qu’il montre, une certaine distance, une ironie. Mais on sent qu’il cache quelque chose, une grande pudeur. J’ai été touché par son humanité. Je ne crois pas au rôle de composition. Et pour Anne, j’ai su que c’était elle dès que je l’ai vu danser avec Patrick.

 

Anne, avez-vous ressenti la même chose ?

 

En fait, lors de ces essais, Stéphane avait l’air tellement content que je me suis dit que ça devait fonctionner. Mais vous savez c’était agréable de danser avec Patrick. Il est tellement séduisant que c’était facile de se laisser charmer.

 

Stéphane : Et pour le rôle du père de Jean-Claude, il me fallait un acteur qui en impose, en face duquel il soit crédible que Patrick s’efface, ne tienne pas tête. Car Patrick n’est pas exactement le genre de personne à qui on oserait spontanément faire une tape dans le dos, il a une certaine distance. Et Georges Wilson (qui a tourné avec Verneuil, Sautet ou Schoendoerffer) est un monument et était l’acteur idéal pour ce rôle.


Le choix des acteurs se révèle très judicieux. Tous se révèlent excellents. Ils arrivent à transmettre fidèlement les émotions de leur personnage, souvent juste par une expression de leur visage, un soupir…Et la réalisation se montre très fine, subtile, discrète et surtout qui sublime son actrice principale.

 

Anne après avoir vu le film, comment avez-vous trouvé la manière dont Stéphane vous avait filmé ?

 

Je ne me suis pas reconnue. Je me suis trouvée super jolie. J’ai trouvé que la fille sur l’écran était top.

Stéphane : Il faut quand même remarquer que ce n’était pas très dur avec Anne. Et j’ai de la chance car généralement tous les acteurs ne s’aiment pas lorsqu’ils se voient à l’écran.

 

Acteurs et réalisation servent parfaitement une histoire touchante, sur l’importance d’exprimer ses sentiments et de ne pas hésiter à parfois baisser sa garde au risque de passer à côté de choses essentielles. Mais le film n’oublie pas d’être drôle, surtout grâce à la gaucherie du personnage de Jean-Claude.