Le cinéma est-il mourant ?

Après plus de cent ans d’existence, le cinéma ne serait-il pas en train de s’éteindre en raison d’une panne d’inspiration ? Si la question n’est pas nouvelle, force est de constater qu’elle trouve aujourd’hui un écho tout particulier si l’on s’en tient au nombre imposant de remakes, suites et autres franchises qui fleurissent sur les écrans. Quelques pistes de réflexion dans cet article.

Avant-propos

Apparu très longtemps après les cinq arts institutionnels (architecture, sculpture, peinture, musique et chorégraphie), le cinéma est, encore plus que la photographie (le sixième art), un art somme qui a pour particularité de se nourrir des autres. Jeune, le cinématographe est, rappelons-le, né en 1895 avec La sortie des usines Lumière. Sans verser dans la « cinécrophilie » (contrairement à certains qui vont jusqu’à considérer que le cinéma est mort dans les années soixante dix), on peut raisonnablement se demander si le septième art n’est pas, malgré son apparition récente, en train de tourner en rond, de péricliter artistiquement, voire même de s’éteindre à petit feu. Pour creuser un peu la question et surtout pour étayer objectivement le propos, nous prendrons comme échantillon l’ensemble des films sortis dans les salles françaises en 2005, en soulignant d’emblée que les résultats ne seraient pas fondamentalement différents si l’on avait sélectionné les années 2004 ou 2006.

Illustration chiffrée : l’année 2005

Précisons tout d’abord que, dans l’énumération qui suit, nous n’avons pas pris en compte les adaptations de romans, de bandes dessinées ou de jeux vidéo. Si cela avait été le cas, le nombre de titres aurait été encore plus conséquent, les films avec des scénarios originaux (uniquement écrits pour le grand écran) se faisant de plus en plus rares ces temps derniers. Bref, nous avons donc recensé les métrages qui constituent des suites ou s’incluent dans une franchise (au sens large), les remakes, les adaptations de séries télévisées.

- Suites et films appartenant à une franchise (27)

Mon beau-père, mes parents et moi ; Profils paysans, chapitre 2 : le quotidien ; Le fils de Chucky ; Le fils du Mask ; Be cool ; Le cercle - The ring 2 ; La nounou 3 la famille s’agrandit ; Winnie l’ourson et l’éfélant ; Miss FBI : divinement armée ; XXX 2 ; 3 extrêmes ; Star wars : épisode 3 - La revanche des Sith ; Batman begins ; Les poupées russes ; Musica cubana ; Le genre humain 2ème partie : le bonheur, c’est mieux que la vie ; New police story ; Les 4 fantastiques ; La coccinelle revient ; Le transporteur 2 ; Land of the dead - Le territoire des morts ; Godzilla final wars ; Wallace et Gromit le mystère du lapin garou ; La légende de Zorro ; Harry Potter et la coupe de feu ; Kirikou et les bêtes sauvages ; Saw 2.

- Remakes (10)

Assaut sur le central 13 ; Boudu sauvé des eaux ; Amityville ; La maison de cire ; La guerre des mondes ; Charlie et la chocolaterie ; Dark water ; New York taxi ; L’exorcisme d’Emily Rose ; Chicken little ; King Kong.

- Adaptations de séries télévisées (7)

Espace détente ; Pollux et le manège enchanté ; Bob l’éponge le film ; Brice de Nice ; Shérif fais-moi peur ; Ma sorcière bien-aimée ; Serenity : l’ultime rébellion.

Au total : 45 titres. Même si la prise en compte de certains films peut être litigieuse, le chiffre est conséquent et la tendance est donc bien là. On notera tout d’abord que le cinéma français n’est pas en reste avec pas moins de 8 titres toutes catégories confondues, 10 si l’on prend en compte Assaut sur le central 13 et Le transporteur 2 (la question de la nationalité des oeuvres étant un autre débat que nous n’ouvrirons pas aujourd’hui). Bien entendu, remake ou suite ne rime pas nécessairement avec piètre qualité (cf. La guerre des mondes, Land of the dead ou King Kong). En effet, c’est plutôt la démarche que le résultat qui est ici critiquée. Il semble qu’autrefois, on raisonnait moins en terme de franchise et que plus nombreux étaient les films qui se suffisaient à eux-mêmes. Illustration : à l’heure actuelle, on a tendance à penser trilogie dès lors qu’un projet est mis sur les rails.

Quelques pistes de réflexion

Pourquoi une telle tendance ? Les raisons possibles sont multiples, abordons-en quelques-unes. Il y a tout d’abord, en toile de fond, le fait que nombreux (surtout aux Etats-Unis) sont ceux qui considèrent le cinéma comme une industrie, écartant toute notion artistique (ce ne sont pas les sinistres frères Weinstein qui me contrediront). Tributaire de sa rentabilité économique, chaque film cherche logiquement à engranger un minimum d’argent. C’est à ce niveau que suites et remakes trouvent tout leur intérêt aux yeux des producteurs puisqu’ils permettent de disposer d’un vivier de spectateurs déjà acquis à la cause. Au-delà de ce qui n’est, au final, qu’une extrême frilosité des financiers du grand écran, on peut également relever un manque d’exigence de la part du spectateur moyen (le nombre d’entrées réalisées par certains films laisse vraiment pantois).

Conclusion

Certes empreint d’une part d’amertume, le constat dressé ne se veut pas pessimiste à outrance étant donné qu’il est rigoureusement impossible d’affirmer que le septième art accuse une pénurie de talents (il suffit de se tourner vers le cinéma indépendant ou vers les nouveaux eldorados asiatiques que sont la Corée et la Thaïlande pour s’en convaincre). Reste à savoir si la tendance actuelle n’est que passagère (espérons-le), seul l’avenir nous le dira. Toujours est-il que, c’est une évidence, le cinéma n’est pas voué à mourir. S’il sera sûrement amené à évoluer, il y a fort à parier qu’il subsistera toujours. Espérons seulement qu’il persistera en tant qu’art et non en tant que commerce car la machine à fric ne doit jamais prendre le pas sur l’usine à rêves. Pour terminer, on rappellera qu’aller au cinéma peut aussi être un acte militant. En effet, si chacun boycotte consciencieusement les titres dont il sait pertinemment qu’ils seront médiocres, ils ne feront plus recette et se raréfieront au profit d’entreprises artistiques plus ambitieuses. A bon entendeur.