Le forçat Jean Valjean, libéré du bagne, devient un honorable bourgeois. Il promet à une pauvre femme qui se meurt de s'occuper de sa petite fille martyrisée par d'avares aubergistes. Première partie d'une des plus célèbres adaptations du roman de Victor Hugo.
Il y a des oublis douloureux dans le microcosme cinématographique, Harry Baur fait partie de ces monuments du 7ème art, oubliés et souvent snobé au profit d’autres acteurs plus propres sur eux ou moins ambigus. Car cet acteur magistral finit sa vie dans les pires conditions qu’ils soient, accusé, à tort, d’être juif durant la seconde guerre mondiale, il fut arrêté par la Gestapo, torturé, puis emprisonné pendant trois mois. Une expérience qui l’aura marqué au point de le voir mourir quelques semaines plus tard. Il faudra alors attendre 10 ans avant qu’un hommage ne lui soit rendu par la profession. Mais depuis, Harry Baur s’est doucement effacé de la mémoire collective.
Pourtant, l’acteur marqua le cinéma parlant naissant avec des œuvres majeures telles que « David Golder » en 1931 ou « Poil de Carotte » en 1932. Mais c’est avec l’adaptation des « Misérables » de Victor Hugo réalisée par Raymond Bernard, qu’Harry Baur va littéralement prendre ses galons d’acteur magistrale. L’acteur y campe un Jean Valjean à la fois menaçant et tendre, une force de la nature parfois ébettée parfois monumentale. Il donne au personnage tous les paradoxes de son existence entre morale et fuite permanente pour ne pas retourner dans l’enfer du bagne, mais aussi une volonté de ne pas trahir son engagement de faire le bien autour de lui et par la suite la promesse de s’occuper au mieux de Cosette.
L’adaptation de Raymond Bernard est en cela magistrale qu’elle parvient avec beaucoup de brio à retranscrire une œuvre complexe en jouant en permanence sur la lumière et l’obscurité de la vie des personnages. On y voit un Jean Valjean certes torturé par son esprit, mais également un Javert rigide et parfois un peu pervers, magnifiquement interprété par un Charles Vanel en bonne inspiration. Le réalisateur qui a parfaitement su s’inspirer de l’œuvre de l’écrivain, ne fit pas de coupes trop brutales dans la trame narrative, il ne se posa pas en défenseur de telle ou telle thèse consistant à s’intéresser plus à Jean Valjean ou plus aux barricades, il parle de tous les personnages avec autant de soin pour les uns que pour les autres.
D’ailleurs, le scénario tire un trait particulièrement épais sur les dialogues de certains, comme l’évêque qui se retrouve quasiment en odeur de sainteté, ou encore Cosette dont le surjeu finit surtout par lui donner toute la gravité de son personnage. N’oublions pas que nous sommes en 1933, et les acteurs issues de la tragédie sont encore bien présent au cinéma, on venait de passer depuis peu au parlant et certains gestes sont encore très larges pour mieux appuyer les sentiments. Pourtant la mise en scène reste très audacieuse pour l’époque, avec des plans serrés pour mieux rendre étouffantes certaines scènes, ou encore des situations directement inspirées de tableaux de grands peintres, à l’image de Cosette dans les bois, qui donne encore plus de dimension à la frayeur de la jeune femme. On peut aisément imaginer d'ailleurs que Walt Disney se soit inspiré de ce passage pour le long-métrage de « Blanche-Neige et les 7 nains ».
Côté distribution, outre les remarquables interprétations d’Harry Baur et de Charles Vanel, on notera tout de même la présence toujours aussi envoûtée d’Orane Demazis (Fanny), en Fantine qui confirme son goût pour les rôles de femmes meurtries par la vie, ou encore Emile Genevois (le gorille vous salue bien), tout simplement magnifique de naturel dans le rôle de Gavroche.
En conclusion, « Les misérables » de Raymond Bernard reste l’adaptation la plus remarquable et certainement de loin la plus juste. Notamment grâce à un travail de scénarisation remarquable de la part du réalisateur, mais également d’une mise en scène inventive et précise. Les interprétations de Charles Vanel et surtout d’Harry Baur forcent le respect. En espérant qu’un jour enfin, le cinéma français se souvienne de cet acteur magnifique que fut l’interprète de Jean Valjean et lui rende un hommage à la hauteur de son talent.