Après le Monde de Némo chez Pixar, Dreamworks Animation s’attaque à son tour au monde sous-marin. Adoptant l’angle de la parodie pure et de la transposition du film de mafia et de cow-boy, invitant Will Smith, Renee Zellweger, Robert de Niro et Angelina Jolie pour faire les voix, le studio nous livre un dessin animé recommandable. Sauf si vous avez le moindre sens esthétique. Ou le moindre sens critique.
Gang de requins
Titre original : Shark tale
USA, 2004
Réalisateur : Eric Bergeron, Vicky Jenson, Rob Letterman
Avec les voix de : Will Smith, Renee Zellweger, Robert de Niro, Jack Black, Angelina Jolie, Martin Scorsese, Peter Falk, Ziggy Marley pour la VO, Éric et Ramzy, Ludivine Sagnier, Patrick Timsit, Virginie Ledoyen, Jean Benguigui, Danyboon
Musique de : Hans Zimmer
Durée : 1h40
L’histoire
Oscar est un petit poisson qui se la joue grave, mais n’a en fait qu’un boulot minable. Le jour où le hasard lui permet de faire croire qu’il a tué un requin, il en tire toute la gloire possible. Ajoutez à ça un requin végétarien, un requin mafieux, une poissonne vamp, et une petite assistance amoureuse du héros. Ça n’a pas l’air très original comme ça, mais en fait c’est des poissons, et… laissez tomber.
C’est l’histoire d’un studio qui s’est dit : " Et si on faisait un film en images de synthèse dans la mer, en mélangeant les Sept mercenaires et le Parrain ? ". Je vous fais la suite du débat : " Comment on mélange western et mafia ? – T’en fais pas, avec des poissons ça se verra pas ? – Et on fait comment, les poissons ? – On va faire une vraie ville avec des poissons à la place des hommes, ils utiliseront des objets, et tout. – Mais ça peut rien faire, un poisson, ça a qu’un corps droit et des nageoires ! – Pas grave, on ajoute des mains, on les fais s’asseoir sur des chaises, et on leur donne la personnalité de celui qui fait leur voix, parce qu’on va avoir un casting de luxe. – Mais ça va pas faire bizarre, voire moche, ces poissons ? – Pas grave, on fera une animation hystérique dans tous les sens pour masquer leur aspect. "
Voilà, c’est la première chose qui choque : c’est moche. Pas moche comme dans un parti pris graphique qui ne plaît pas, mais moche comme des dessins d’enfants (sans vouloir vexer les parents), quand on ne sait pas encore dessiner des proportions ni des êtres vivants probables. D’ailleurs, l’animation a du mal à suivre, et certains mouvements sont on ne peut moins naturels. On pourrait éventuellement tenter de passer l’éponge, en se disant qu’il n’est pas possible de rendre des poissons expressifs sans les déformer. Sauf que le Monde de Némo a déjà démenti cette assertion. Moche sans excuse, donc. 3D techniquement parlant, c’est loin de la qualité Pixar, ou même de Shrek. Pour un film qui se passe sous l’eau, cette dernière est très mal rendue, trois bulles de temps en temps et c’est tout. Les graphistes ont parié sur la surenchère de détails plutôt que sur la cohérence et la qualité de l’univers.
Reste l’histoire, et son côté parodique. Las ! Encore une fois, c’est largement insuffisant. La transposition de la grande ville ou de la mafia chez les poissons est extrêmement paresseuse et convenue. À part le car-wash qui devient un whale-wash, le tout manque totalement de surprise, on a l’impression que les auteurs ont à chaque fois gardé la première idée qui leur est venue à l’esprit. On est bien loin des idées du méconnu Osmosis Jones qui recréait toute une ville dans le corps humain. Ici, la plupart des idées sont ternes, et l’ensemble a bien du mal à divertir. Côté histoire, on touche au même désert, avec des événements et une morale au ras des pâquerettes. Par exemple, si vous êtes homo (ici, c’est un requin végétarien, mais la métaphore est criante), il suffit de tout avouer et ne rien cacher, et tout se finira bien. J’imagine déjà les déçus de cette solution miracle. Les comédiens du casting de luxe cachetonnent tranquillement sans tenter même de donner un gramme de finesse à des personnages tellement stéréotypés qu’il va falloir inventer un nouveau mot. Alors que l’animation en images de synthèse permet tous les excès et toutes les idées, les scénaristes ont " imaginé " l’histoire la plus plate qui puisse exister, et qu’on aurait pu filmer (sans ces poissons moches, il est vrai) il y a 60 ans.
Au final, le film essaie de jeter de la poudre aux yeux avec un rythme défiant la cohérence, de la musique de djeun’s et du reggae, et un casting 5 étoiles. Mais cela ne suffit pas à masquer le manque d’inspiration, tant artistique que technique, qui baigne le film. Les plus jeunes devraient s’amuser, mais les ados risquent déjà de trouver l’histoire tarte. Quant aux adultes, ils compteront sur les doigts de leur main gauche (ou droite, c’est vous qui choisissez) le nombre de fois où ils ont ri.
A voir : si vous n’avez aucun sens esthétique, ni aucun sens critique
Le score presque objectif : 4/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -3, ne vous laissez pas attirer par les couleurs vives
Sébastien Keromen