Portrait D'Edward Bunker

Introduction :

Le quidam moyen ne connaît d’Edward Bunker que sa prestation dans Reservoir dogs, film de Quentin Tarantino dans lequel il prêtait ses traits burinés au personnage de Mister Blue. Peu nombreux sont, en revanche, ceux qui savent que Bunker a purgé dix huit années dans les plus féroces prisons américaines, ceci avant de devenir un écrivain reconnu et d’intégrer l’univers très fermé du cinéma. Petit rappel des faits à travers une biographie, une bibliographie et une filmographie d’un grand monsieur.

Biographie :

Il est peu dire qu’Edward Bunker a eu une existence hors du commun depuis sa naissance, un 31 décembre 1933. A l’âge de cinq ans, le jeune Ed fugue déjà régulièrement. Avant d’en avoir dix, il a fréquenté plusieurs institutions. Agé de dix-sept ans, il poignarde un gardien dans une maison de correction. Expédié à San Quentin, il sera le plus jeune détenu jamais emprisonné dans le célèbre établissement carcéral. Le record tient toujours. Pendant une période de liberté qui, comme toutes les autres jusqu’en 1975, ne durera guère, Bunker reçoit l’aide de Louise Fazenda Wallis, une ancienne vedette du cinéma muet. Rien n’y fait et le jeune délinquant, rattrapé par ses démons, retombe dans le crime. Figurant un temps sur la liste des dix criminels les plus recherchés par le FBI, Bunker passera au total dix-huit années derrière les barreaux, principalement pour braquage de banque. Fréquentant notamment les pénitenciers de San Quentin et de Folsom, le détenu ne ploie jamais et se forge, à juste titre, une réputation de dur à cuire. Lors d’un séjour en prison, Bunk (c’était son surnom) rencontra Caryl Chessman, un détenu qui, avant d’être exécuté, se rendrait célèbre pour ses multiples recours en justice (il lança le phénomène du « taulard juriste ») et la publication d’un livre (Cellule 2455). Pour Edward Bunker, c’est la révélation. Songeant à cet ouvrage rédigé par un autre détenu, il se pose cette question : pourquoi pas moi ? Dès lors, il se lance à corps perdu dans l’écriture. Ce sera le début de la rédemption. Activité salvatrice, l’écriture évitera à notre homme de retourner sous les verrous une fois libéré en 1975, date à laquelle les guerres raciales explosaient à l’intérieur des murs. Devenu un citoyen respectable et un auteur reconnu par ses pairs, Bunker tirera sa révérence le 19 juillet 2005, confirmant ce dicton de taulard : « Les vrais durs sont sous terre ».

Bibliographie :

Après six romans et de nombreuses nouvelles non publiés, Bunker voit enfin paraître un de ses écrits : Aucune bête aussi féroce. Un lotus a poussé dans la fange. L’ouvrage est parrainé par deux écrivains prestigieux, William Styron (qui en rédige l’introduction) et James Ellroy (qui signe la postface). De l’avis général, No beast so fearce restera le meilleur roman de Bunker, ce qui ne signifie pas pour autant que ses créations ultérieures soient mauvaises, loin de là. N’ayant reçu aucune éducation, Eddie le dur a capitalisé sur ce qu’il possédait, à savoir une intelligence acérée, de nombreuses lectures (Hemingway, Faulkner, Wolfe, Villon, Dostoïevski, Sartre, Camus, ...) et une existence passée à fréquenter la lie de la société. Quand il narre les aventures d’un malfrat ou d’un taulard, l’écrivain sait de quoi il parle, il l’a vécu. Crus, violents et réalistes, les écrits de Bunker dénoncent de façon virulente l’inhumanité du monde carcéral. L’écriture est instinctive, puissante et sans fioritures. Peu descriptifs, les mots forment pourtant un ensemble très visuel et nous transmettent la fébrilité de l’action. Le potentiel cinématographique des ouvrages de Bunker est tel qu’il est fort surprenant que tous n’aient pas encore été adaptés à l’écran. La bibliographie de l’écrivain se compose de quatre romans (Aucune bête aussi féroce, La bête contre les murs, La bête au ventre et Les hommes de proie) et d’une poignante autobiographie (L’éducation d’un malfrat). A la lecture de cette dernière, que Bunker a dédiée à son fils Brendan, on constate à quel point la trilogie de la Bête et Les hommes de proie possèdent de fortes résonances personnelles.

Filmographie :

On peut dire qu’Edward Bunker a longtemps côtoyé le monde du septième art (son père était régisseur, son ange gardien une ancienne actrice) avant de l’intégrer pleinement. Le changement s’opéra lorsque son premier roman fut porté à l’écran sous le titre de Straight time (Le récidiviste). Dirigé par Ulu Grosbard, le film avait Dustin Hoffman pour tête d’affiche. Bunk y tenait un petit rôle. Profitant de sa relative influence sur le métrage, il fit engager un de ses anciens codétenus, Danny Trejo, qui devint par la suite un second couteau apprécié des cinéphiles (Une nuit en enfer, Heat, Desperado, ...). Si Bunker jouat de petits rôles dans plusieurs films (notamment Runaway train, Running man, Tango & Cash et Animal factory), c’est celui de Mister Blue dans Reservoir dogs qui lui assura une renommée mondiale en tant que comédien. Scénariste de trois longs métrages (Le récidiviste de Ulu Grosbard, Runaway train de Andrei Konchalovsky et Animal factory de Steve Buscemi), Bunker a aussi endossé les casquettes de producteur (sur Animal factory, adaptation de son roman La bête contre les murs) et de conseiller artistique (notamment sur Heat de Michael Mann).

En conclusion :

Passant de Folsom à Hollywood, Edward Bunker est donc parvenu à s’extirper de la fange des prisons et à couper les ponts avec le monde des malfrats. Prouvant avec force que la rédemption est toujours possible, il aura décidément mené une vie hors normes.


Julien Sabatier

N.B : Tous les ouvrages d’Edward Bunker sont disponibles dans la collection Thriller des éditions Rivages.