On repère rarement le prochain film d’un scénariste. C’est pourtant le cas avec Charlie Kaufman. Après Dans la peau de John Malkovich et Adaptation (de Spike Jonze), et Human nature (de Michel Gondry), voici sa nouvelle idée originale, réalisée à nouveau par Michel Gondry. Jim Carrey et Kate Winslet sont pris dans un tourbillons d’idées. Et le spectateur ?
Eternal sunshine of the spotless mind
(ne me demandez pas une jolie traduction, et apparemment le distributeur a également baissé les bras ; " la lumière éternelle de l’esprit immaculé " ?)
Titre original : Eternal sunshine of the spotless mind
USA, 2004
Réalisateur : Michel Gondry
Acteurs : Jim Carrey, Kate Winslet, Kirsten Dunst, Mark Ruffalo, Elijah Wood, Tom Wilkinson
Durée : 1h50
L’histoire
Joel et Clementine viennent de se séparer. Quand il découvre qu’elle l’a effacé de sa mémoire, Joel se rend dans le même institut pour détruire tous ses souvenirs de Clementine. Mais est-il vraiment sûr de sa décision ? Et est-il encore temps de changer d’avis ?
Même s’ils ne sont pas toujours convaincants, on ne peut s’empêcher de reconnaître aux films écrits par Charlie Kaufman une originalité forcenée et des idées parfaitement inédites. Eternal sunshine ne faillit pas à la règle, et le sujet même du film est totalement innovant et original. Le film rebondit plusieurs fois avec de nouvelles pistes (moins souvent que Dans la peau de John Malkovich, toutefois) et arrive à surprendre encore le spectateur. Ça ne suffit pas à réussir un film, mais c’est tout de même suffisamment rare pour le signaler.
De plus, le sujet permet des effets visuels à la fois jolis et poétiques, et de surcroît fort réussis. La représentation de la mémoire que présente Michel Gondry est convaincante, dans ses plans " arrêtés " (dans un souvenir en particulier) comme dans son " parcours " (les souvenirs se mêlent et se succèdent). Pas de doute, le spectateur part pour un voyage extraordinaire, presque intellectuel dans sa façon d’envisager les souvenirs et une " poursuite " dans ces souvenirs. Mais. Malgré tous ces points forts, il y a un mais. A l’instar des autres films scénarisés par Kaufman, Eternal sunshine reste un film froid, trop intellectualisé, trop réfléchi. Peut-être cette perception dépend-elle fortement des sensibilités, mais laissez-moi m’expliquer.
À force de les plonger dans des situations surréalistes, le film oublie de vraiment camper ses personnages. A part quelques traits de caractères un peu forcés, les personnages sont tous très stéréotypés. De plus, en tout cas à mon goût, l’alchimie ne fonctionne pas entre Jim Carrey et Kate Winslet, et on a un peu du mal à comprendre leur coup de foudre (surtout que peu de scènes les montrent vraiment amoureux). Si leur couple avait fonctionné, la quête de Jim Carrey aurait pu toucher le spectateur, qui n’aurait pas alors vu qu’un exercice de style et de scénario un peu rigide. La faute n’en incombe pas aux acteurs, tous impeccables (et un Jim Carrey très sobre), mais vraiment à cette étincelle indéfinissable qui fait qu’un couple cinématographique fonctionne ou non.
Le film se donne pourtant du mal à raconter cette histoire, adoptant un découpage pour le moins éclaté. Mélangeant allègrement les vrais souvenirs, les souvenirs revisités, et le présent, le récit se laisse porter par un détricotage en marche arrière de l’histoire d’amour, en prenant cependant sans cesse des chemins de traverse. Cet aspect formidablement mais trop travaillé affaiblit encore un peu le sentiment amoureux qu’il est censé décrire, un peu comme si la construction effaçait sa spontanéité. Le film s’ouvre ainsi sur une pièce du puzzle de l’histoire, charge au spectateur de la replacer dans l’histoire. Malheureusement, on comprend beaucoup trop rapidement où la replacer (on aura même droit à des redites de cette scène à ce moment), et la longueur et la relative mollesse de cette scène (qui fait office de présentation des héros) ne sont pas vraiment justifiés par son utilité.
Au final, si on ne peut qu’admirer la construction du film, on ne peut que déplorer sa froideur et le fait que le scénario ne s’efface pas derrière ses personnages et derrière son thème. Thème (l’effritement et la reconquête de l’amour) qui est d’ailleurs assez puissant et aurait mérité de faire vibrer le spectateur. Comme ses prédécesseurs, ce nouveau film écrit par Kaufman pèche par manque de sentiment. Et si Dans la peau de John Malkovich compensait par une invention toutes les 10 minutes et une jubilation de tous les instants, Eternal sunshine n’apporte pas assez d’idées pour compenser. A voir pour l’expérience et parce qu’on ne s’ennuie pas (le temps passe très vite), mais ce n’est toujours pas le chef d’œuvre que Kaufman ne manquera pas d’écrire un jour.
A voir : parce que quasiment tout est inédit
Le score presque objectif : 7/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +2, même si vous serez un peu déçu, ça vaut le détour, et peut-être même adorerez vous
Sébastien Keromen