Depuis quelques petites années les différents rapports sur l’industrie musicale ne sont pas vraiment positifs. Les ventes se réduisent régulièrement, avec même une accélération sensible ces derniers mois. Les maisons de disques entretiennent savamment un discours alarmiste sur l’impact important des réseaux d’échange (comprendre piratage) ; à les écouter, il semble que ce soit la seule cause de cette régression de l’intérêt pour le CD audio.
Dossier réalisé par Bruno Orrù
Le piratage est un vrai problème mais qui n’est certainement pas le seul responsable des baisses de ventes. C’est oublier un peu vite que les consommateurs avertissent depuis de nombreuses années que le prix de la musique est trop élevé. C’est oublier les glissements de dépenses vers d’autres technologies, en particulier la téléphonie et le DVD vidéo. C’est également oublier un vide culturel flagrant ; les pseudo stars issues de certaines émissions télévisuelles sont encore plus éphémères que des mouchoirs jetables et ne donnent pas véritablement l’envi de dépenser son argent. C’est aussi oublier le manque de tremplins grand publics permettant de faire connaître les nouveaux auteurs, les vrais, ceux qui sont contraint de travailler trop longtemps dans l’ombre avant de trouver une oreille attentive. Nous avons des dizaines de radios et chaînes de TV et ce sont toujours les mêmes artistes et les mêmes titres qui tournent en boucle. Bref, ça va mal et les solutions pour relancer la machine à vendre du CD semble solidement grippée.
C’est donc vers le renouveau technologique que se penchent depuis quelques temps déjà les grandes maisons de l’édition musicale, en accord bien entendu avec l’industrie « hardware ». Mais après quelques petites années de mise sur le marché, il faut bien admettre que les supports audio Haute-Définition ne sortent pas de leur anonymat. Je parle en effet des deux supports concurrents DVD-Audio et Super Audio CD - SACD. Ni l’attrait d’un son meilleur, ni celui d’une restitution en multicanal 5.1 ne semble convaincre le grand public. Il faut dire que les habitudes de consommation sont plutôt orientés sur la compression (MP3, WMA…) et que le prix des quelques DVD-Audio ou SACD cachés au fond des linéaires est beaucoup trop élevé. Que faire alors ?
La solution semble être le Dual Disc, un disque hybride avec une face CD et une face DVD-Audio (le SACD est mis de coté et reste avec une connotation audiophile haut de gamme). C’est en effet une solution technique pratique pour proposer à la fois un contenu traditionnel (musique en stéréo sur support CD) et un contenu qui s’apparente à des bonus. La face DVD-Audio peut accueillir de la musique en haute-définition (typiquement du 24 bits / 96 kHz) et en multicanal ; il faut alors posséder un lecteur compatible DVD-Audio. Mais un DVD-Audio peut aussi accueillir le même programme encodé en Dolby Digital et / ou DTS, deux formats universellement reconnu par les lecteurs de DVD. Un DVD-Audio peut aussi proposer du contenu vidéo, photo, texte… bref de quoi en effet donner des allures d’objet de collection au simple CD.
Problèmes juridiques
Seulement voilà, nous vivons dans un monde de requins et certains acteurs trouvent ce Dual Disc fort déplaisant. C’est le cas principalement de Philips, détenteur de la majorité des brevets liés à la technologie CD. Le Dual Disc de part sa construction hybride ne répond pas au cahier des charges CD, Philips refuse donc toute utilisation du logo CD sur ces disques, même sur la face CD PCM. Une autre société est également furieuse ; DVD PLUS propose en effet depuis quelques mois un produit similaire… des menaces d’attaques pour plagiat technologique et rupture de contrat assombrissent donc le développement du Dual Disc.
Problèmes techniques
Coté technique pure, le seul problème réel réside apparemment dans le poids de ce disque hybride qui pourrait poser des problèmes de lecture sur les lecteurs nomades ou embarqué (Autoradio) ou encore des lecteurs anciens (c’est déjà un problème constaté avec certains SACD hybrides !). Autre point technique, le collage impose l’utilisation d’un DVD 5, c’est à dire simple couche. La non possibilité de coller un DVD double couche limite donc la place offerte pour du contenu. Enfin, cette technologie implique également une durée de programme inférieure, environ 63 minutes des deux cotés, là ou le CD classique peut aller jusqu’à 74 minutes.
Pour qui et à quel prix ?
Le Dual Disc semble sympathique mais son développement à grande échelle est-il nécessaire ? A qui s’adresse-t-il en fait ? L’offre de musique HD et en multicanal est-elle si intéressante ? Si c’est le cas, pourquoi alors le DVD-Audio et le SACD sont-ils toujours enfermés dans un cercle restreint d’adeptes ? A quel prix les éditeurs vont proposer ces Dual Disc ? On parle déjà de 20 à 30 dollars pour le marché US. C’est cher et cela ne résout finalement pas le problème principal du prix du CD reconnu trop cher. Autre point, ces disques à deux faces seront logiquement plus délicats à manipuler et seront moins beau que les CD à une face avec sérigraphie. Pourquoi alors ne pas proposer des éditions doubles avec d’une part le CD et d’autre part le DVD ? C’est ce que font déjà certains éditeurs avec un prix raisonnable ; cela permet un packaging souvent élégant et une connotation de collection qui peut intéresser les adeptes tout en laissant le choix d’un disque simple à ceux qui le souhaitent.
Quand et combien de titres ?
Le Dual Disc est prévu depuis de longs mois déjà mais il est sans cesse repoussé par crainte de flop commercial et bien entendu des menaces juridiques exposées plus haut. Pourtant, quelques tests ont été menés dans certaines villes américaines et les ventes sont honorables. C’est pourquoi certains éditeurs (EMI Music, Sony BMG Music Entertainment, Universal Music Group, Warner Music Group, et 5.1 Entertainment Group/Silverline Records) souhaitent ne plus attendre l’échéance « officielle » de février 2005 et lancer leurs premiers titres dès le mois d’octobre prochain. On parle d’une cinquantaine de titres disponibles assez rapidement avec un mélange de ré-éditions et de nouveautés. Impossible néanmoins de connaître l’identité des artistes prévus et encore moins les albums prévus. Il faut dire que la diffusion d’un album sur un nouveau support implique de nouvelles négociations de droits avec les artistes… bref, c’est pas simple.
Conclusion
Le DualDisc n’apporte aucune révolution ; son développement est purement guidé par des intentions mercantiles de la part des éditeurs. Son succès n’est absolument pas garanti, d’une part parce que le DualDisc ne résout pas le problème de la musique trop chère et d’autre part l’intérêt du sont Haute-Définition et multicanal auprès des grandes masses reste à prouver. Soyons toutefois positif et croyons que la généralisation du Dual Disc fera découvrir au grand public l’attrait d’une écoute 5.1 à la dimensions spatiale impossible en stéréo. Le nouvel album AERO de Jean-Michel Jarre disponible à la fois sous format CD et DVD 5.1 est un preuve qu’un nouveau format physique n’est pas indispensable pour intéresser le grand public. Il faut en effet saluer la promotion du 5.1 faite par l’artiste à la fois dans la presse écrite, à la radio et à la télévision française et étrangère. Preuve en est que l’intérêt artistique d’une démarche accompagne toujours mieux un développement technologique.
Plus d’informations
Notre critique de l’album AERO de Jean-Michel Jarre.
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LETTRE OUVERTE A PASCAL N. : Une lettre ouverte de notre ami Guillaume Champeau, du site Ratiatum.com, au Pascal N.
CROISADE CONTRE LE VENT : Plutôt que s’enliser dans une vaine et interminable campagne anti-piratage, l’industrie du disque doit impérativement adapter son modèle technico-économique au commerce électronique d’œuvres numériques et à l’imminente convergence média.