Interview de Fabrice Luchini

 

Facétieux, incontrôlable, Fabrice Luchini irrite ou séduit mais laisse rarement indifférent. A l’affiche de Jean-Philippe, une comédie réussie de Laurent Tuel (auteur d’un premier film inquiétant, Un Jeu D’enfants avec Charles Berling et Karin Viard en 2001), à la réalisation fluide et dynamique au service de l’histoire et des comédiens, l’acteur découvert par le grand public avec La Discrète de Christian Vincent (1990), joue le rôle d’un employé de bureau quelconque qui se retrouve, après un violent coup de poing, dans un monde parallèle où son idole Johnny Hallyday n’existe pas. Désespéré, il part à la recherche de Jean-Philippe Smet, le vrai nom de notre rocker national (du moins pour l’instant), pour savoir ce qu’il est devenu.

 Dans une forme éblouissante, Fabrice Luchini vient présenter le film aux spectateurs de l’UGC Ciné Cité de Bordeaux et répondre à quelques questions de la presse, du moins à sa manière. Dvdcritiques y était.


Dans votre adolescence, avez-vous eu une idole, dans le domaine de la chanson, du théâtre ou du cinéma ?

 

La grande révélation ça a été le Rhythm & Blues et James Brown. J’ai eu deux, trois idoles. Il y a eu le Rhythm & Blues, incarné par James Brown et tous les grands chanteurs de soul, Otis Redding, Wilson Pickett, Aretha Franklin, etc.… Après, il y a eu Louis Jouvet. Et évidemment Hallyday, Johnny a jalonné ma vie de manière constante. A 11 ans, j’entendais ses premiers succès. Je ne suis pas du tout le fan dans le film, c’est un rôle. Mais ce n’était pas très difficile de reconnaître en Johnny un immense chanteur, un vrai rocker, au sens où sa voix mélange féminité, la puissance masculine. Mick Jagger l’adore, les Stones l’adoraient, il a très bien connu Jimi Hendrix…

 

Considérez-vous ce film comme un film fantastique ?

 

Ooh la la ! Je suis incapable de parler du film. Je ne vois le film qu’en l’entendant. Ce que je sens c’est que les gens fonctionnent. Ils trouvent ça original et pas du tout intello ; pas vulgaire et en même temps efficace (le téléphone sonne…).

 

Dans le film Johnny passe à côté de sa carrière en ayant un accident de vespa en se rendant à un radio crochet. Vous votre chance, vous l’avez eu lorsque vous êtes rentré dans un drugstore… (le téléphone resonne) La rencontre avec Philipp Labro. Il serait venu le lendemain, seriez-vous ici aujourd’hui ?

 

Non sûrement pas. Mais bon on serait peut-être aussi content. Moi j’aurais un petit salon de coiffure, je me serais marié avec une meuf super équilibré… Mais ce qui m’angoisse, c’est que je n’aurais pas été super efficace dans la coiffure. J’aurais été un peu un  raté dans la coiffure au lieu d’être un comédien…là ce n’est pas à moi de juger… Mais je pense que j’aurais été moins bon dans la coiffure que je le suis au théâtre.

 

Peut-être y a-t-il des talents enfouis qui ne perceront jamais ?

 

C’est la phrase magnifique de Saint-Exupéry. Un jour, il voit des immigrés dans un bateau. Là, il dit une phrase que je trouve excessive : « Combien de Mozart assassiné ? ». C’est un énorme mensonge. Là, il part dans une critique de la position du PS sur le culturel et le fantasme de la notoriété…

 

Vous pouvez citer dans une même phrase Céline et Johnny, ou Lara Fabian. Est-ce que pour vous il n’y a pas de différence dans la culture ?

                        

Oh si il y a de la différence, des hiérarchies. Rimbaud, j’adore Cabrel, Johnny mais Arthur Rimbaud c’est autre chose. Ils n’ont pas le même emploi, le même produit. Et là, il se met à réciter un des poèmes de l’auteur du Bateau ivre.


On a l’impression que vous vous êtes bien amusé à tourner ce film…

 

(Ironique) Je ne me suis pas du tout marré sur ce tournage. On ne se marre pas sur un tournage. C’était une histoire de séduction. Il fallait que je trouve ma place. Avec Johnny ce n’est pas évident. Pendant un mois et demi j’étais terrorisé. Il est très impressionnant. Il a des changements d’humeur, il est terrible. Et lui, il m’a dit qu’il était inquiet aussi. Donc pendant deux mois, on était comme deux amoureux qui avaient peur d’ouvrir la bouche. On était hyper intimidé. Moi je n’osais pas être moi-même, j’avais peur de l’emmerder.

 

Pourtant vous l’aviez déjà croisé…

 

Ouais mais ça ne sert à rien. Il est très timide et comme tous les gens timides, il intimide beaucoup. C’est un homme qui est très timide et très réservé quand il n’est pas dans les petits excès qu’on lui connaît.

 

Et chantez les chansons de Johnny devant Johnny…

 

C’est une chose qui demandait un certain courage et une certaine inconscience. Et j’en suis parvenu. Ca m’a appris des composantes sur ce que je suis. Je peux aller au charbon, un côté Gavroche sur les barricades.

 

Vous êtes assez occupé, le théâtre, le cinéma. Qu’est-ce qui vous décide, l’histoire, le partenaire, une rencontre ?

 

Là c’est ma fille qui m’a convaincu de faire celui-là. Je vais écouter ma fille. C’est ma fille qui déterminera tout ce que je vais faire. Je me réfugie beaucoup dans l’activité parce que je suis incapable de… (Silence) Je suis un peu incapable quoi. La vie n’est possible que si on l’escamote, disait Flaubert. Donc moi y a un peu un côté frénésie de boulot. Là il part sur les problèmes de notre société actuelle et sur son programme politique. S’ensuit une évocation de son plaisir de la pêche du côté du bassin d’Arcachon, de la randonnée. Il finira par réciter une fable de La Fontaine pour une radio destinée aux malades dans les hôpitaux…

 

 

 Propos recueillis par Arnaud Herpin.