Pris entre le festival du film policier à Cognac et la tournée du film "Le Convoyeur", c'est à Bordeaux que nous avons pu rencontrer le réalisateur du film Nicolas Boukhrief, et son acteur principal Albert Dupontel.

Pouvez vous nous parler de votre personnage ?
Albert Dupontel : C’est un type qui se fait embaucher dans une société de convoyage de fond avec manifestement une obsession fixe, que l’on ne découvrira qu’au bout de ¾ d’heure. Un personnage bien plus fragile qu’il n’y paraît, ambigu au début du film et totalement clair à la fin, très humain, qui m’a beaucoup touché.

Quelles qualités attribuez vous à Albert Dupontel en tant qu’acteur ?
Nicolas Boukhrief : Un modèle de concentration, d’exigence, de proposition. Il s’est emparé du rôle et a fait beaucoup de proposition très concrètes par exemples les crises d’épilepsie qui ont donné lieu à des scènes très cinématographiques.

AD : Le secret c’est que j’étais payé

Avez-vous pensé de suite à lui pour le rôle ?
NB : Oui, absolument, à l’époque il était bloqué à cause de la préparation de son film enfermé dehors, du coup j’ai rencontré sans conviction d’autres comédiens, en espérant me faire surprendre mais je l’ai pas été. Puis le film d’Albert a été repoussé, j’ai tout de suite sauté sur l’occasion.
Vous espériez aussi que les autres comédiens refusent le rôle ?
NB : Oui, c’est à dire, on caste aussi, lorsque vous rencontrez des stars, ou soit disant, en tout cas des acteurs Bankable comme on dit, c’est eux qui vous castent, mais bon, je suis désolé je suis metteur en scène alors je continue à les caster. Même s’il m’aident à monter mon film mais qu’il n’est pas inspirant, que je risque de faire un mauvais film, on fait semblant de vouloir l’acteur mais au fond des yeux, y’a pas le petit machin qui fait qu’on est partant pour l’aventure. C’est comme draguer une fille sans conviction. Cela fait longtemps que je connais Albert, que l’on se croise, mais je pense que les films que j’ai écris avant n’étaient pas à la hauteur de son talent.

Avez-vous pensé au casting au moment de l’écriture ?
NB : Oui quand j’écris je pense à des acteurs, cela permet de jouer à Barbie, alors que sinon c’est très abstrait, on est plutôt dans le style d’écriture d’un roman. J’avais tous mes comédiens, mais à condition qu’Albert accepte le rôle. Je trouvais que Jean Dujardin et François Berléant faisaient un excellent complément, pour Dupontel, je ne suis pas sur que si Albert avait refusé j’aurais pris les mêmes au final. Finalement ils ont tous accepté avec enthousiasme c’était très agréable.

Qu’est ce qui vous a amené vers l’univers des convoyeurs ?
NB : je voulais faire un film de suspense, un film de genre. L’univers des flics, des braqueurs de banque est très connu, c’est difficile de se renouveler, puis le design français est un peu ringard, un voiture de flic américaine ça fait quelque chose , mais en France avec le képi tout ça, ça le fait pas, je ne sais pas pourquoi. Puis je me suis rendu compte que les convoyeurs de fond c’était un sujet inédit, ce qui m’a étonné, que depuis les diligences du western il n’y a pas eu d’idée d’attaque de véhicule qui transporte de l’argent.

Avez vous eu du mal à avoir des informations sur le milieu des convoyeurs de fond ?
NB : oui, c’est un milieu difficile à pénétrer, difficile de savoir comment ça marche, les entreprises étaient réticentes pour des raisons de sécurité, ce qui est très compréhensible, je pense aussi qu’il ne voulaient pas montrer les conditions sociales assez déplorables dans lequel ils maintiennent leurs employés. Les documentaires que l’on voit souvent sur les convoyeurs, c’est comme les calendriers des pompiers, c’est de la propagande pure, les convoyeurs montrés comme des robocops, la réalité ce n’est pas celle-la.
Comment êtes vous arrivé à cette esthétique naturaliste très années 80 ?
NB : c’est déjà induit par le sujet car les convoyeurs travaillent dans les centres forts, qui sont des endroits béton, sans fenêtre, éclairés au néon, reste a choisir si on mets des néons verts ou des néons bleus. Les fourgons sont bas de plafond, éclairés par des doubles vitrages avec du blindage, donc ça donne une lumière forcément un peu sombre et un peu glauque, beaucoup plus que dans un véhicule normal. Restait le lieu du tournage, dans Paris on ne pouvait pas à cause de vigipirate, donc on a filmé dans une lointaine banlieue et faire de cette petite compagnie, une compagnie qui dessert cette espèce de no man’s land qui est la même que l’on retrouve partout dans le monde. Je pense qu’un Canadien qui voit le film peut se dire que ça se passe vaguement dans une banlieue Canadienne.

Comment avez-vous préparé le tournage avec les comédiens ?
NB : pour créer rapidement l’illusion qu’ils travaillent ensemble depuis des années, il ont fait un stage de karaté dans un dojo, sauf Albert et moi, car il devait jouer le rôle du nouveau dans l’équipe. Donc ils étaient tous en kimono ou a poil ensemble dans les vestiaires, sans caméra Making Of, pour ne pas qu’ils soient tentés de faire les marioles. Ils ont créé un groupe, dès le premier jour de tournage, ils se connaissaient, ils étaient déjà ensemble. J’essaye de pas dire aux acteurs ce que pense le personnage, les acteurs ne sont pas des imbéciles, ce sont eux qui portent le rôle et vivent avec. Ils portent l’essence même des personnages, et si ils font un contresens, c’est qu’il a une erreur de casting. Je leur donne plutôt des indications physiques, de les nourrir de petits trucs avec lesquels ils peuvent jouer , comme leur dire de ruminer ou de jouer avec leur briquet.

AD : Pour la préparation du rôle je suis juste resté ouvert à la psychologie et aux émotions du personnage. A partir du moment ou un rôle vous parle c’est que ces émotions vous les avez en vous, après vous acceptez ou non de les montrer à la caméra, cela dépend du metteur en scène. Avec Nicolas il n’y a pas eu de problème, je me suis laissé allé et je suis très content de l’usage qui en a été fait.

Il y a eu une préparation physique car Nicolas voulait qu’on montre la force pour ne pas avoir à la jouer. C’était une préparation physique basique, VTT, coca light et gonflette. J’essaye d’être l’acteur que j’aimerais qu’on soit avec moi, c’est à dire le plus disponible possible , le moins interférant par rapport à la mise en scène.
Pouvez vous nous parlez de l’humour présent dans le film ?
NB : Comme le film est sombre, je trouvais que c’était faire un cadeau qu’on rigole, beaucoup d’acteurs de l’équipe sont issus de la comédie, ils ont pris leur rôles avec enthousiasme, et ça a donné ce côté un peu déconneur propre à la comédie italienne, qui finit toujours de façon triste. Et puis une chose très importante, depuis 10-15 ans, beaucoup de films sur les SDF ou les ouvriers leur enlèvent leur humour, c’est un regard assez bourgeois, si ils étaient venu du milieu dont ils parlent, ils les feraient se marrer, c’est ce qui reste aux ouvriers, c’est la rigolade… Nous on à voulu conserver ça, pour conserver leur dignité d’ouvrier, on a juste enlevé les blagues sexuelles, ou les discussions de foot, pour conserver un caractère dramatique et ne pas tomber dans la vulgarité.

Pouvez vous nous parler de la musique dans le film ?
NB : la musique est composée par Nicolas Babi, ancien bassiste du groupe F.F.F. Il a travaillé dessus dès le scénario. Il y a beaucoup de musique dans le film, même si on ne s’en rend pas toujours compte, une heure en tout, sur une heure trente de film. Pour moi la musique est un des personnages du film.

Pourquoi aucune chaîne de télévision n’a participé au financement du film ?
NB : ils ont jugé qu’il ne correspondait pas à leur canaux de diffusion, il l’on jugé trop violent, alors que nous n’avons même pas eu l’interdiction au moins de 12 ans. Il n’y a qu’un avertissement.

On a eu d’autres sources de financement, le DVD, les ventes à l’étranger et Canal Plus, qui en temps que chaîne cryptée cherche des produits un peu différents. Cela ne représente pas des sommes gigantesques pour l’instant mais ça a l’avantage de nous laisser davantage de liberté.Ça nous oblige aussi à être inventif pour trouver des idées rentables à l’écran pour rentrer dans le budget.

Les acteurs qui font le film, le font pour de vraies raisons, ils viennent pas cachetonner dans une comédie, surproduite par toutes les télés, il le font parce que le sujet les intéresse, parce que c’est de la contre culture.

Ce qui est marrant, c’est que on nous a dit, ne faite pas de polar, ça ne marche pas en France, ça veut dire quoi ? que le polar ne marchera plus jamais en France ? donc on ne fait plus jamais de polar. C’est débile…

Pour la comédie, y’en a qu’une sur cinq qui cartonne, mais personne ne dit que c’est un peu fragile en ce moment. Les chaînes de télévisions essayent de diriger le marché vers des comédies prime-time, ce qui est très logique avec leur mode de fonctionnement.


Quels sont vos prochains projets ?
NB : j’hésite entre une comédie ou un film d’épouvante.

AD : j’attaque à l’automne le tournage de mon prochain métrage « enfermés dehors » qui parle d’un SDF qui vole un costume de flic pour pouvoir aller manger dans les cantines.



Propos recueillis par Yannick Evain et Laurent Berry.
Remerciements à Mr Pierre Benard (UGC Bordeaux) pour son aide.

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Site Officiel du film