Interview de Stéphane Bourgoin



 

Interview de Stéphane Bourgoin

A l’occasion de la sortie DVD de Ted Bundy (Matthew Bright - 2002), où il intervient largement dans les suppléments, Stéphane Bourgoin, le spécialiste français des tueurs en série, nous a accordé cette interview. Très sympathique, l’homme est surtout intarissable sur son sujet de prédilection : le phénomène des serial killers.

Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de DVDcritiques ?

J’ai plusieurs cordes à mon arc. Je suis libraire depuis les années soixante-dix avec la librairie Au troisième oeil qui a un site Internet mis à jour quotidiennement par au moins une dizaine de nouveaux articles sur la criminologie, les faits divers et les tueurs en série. Si je m’intéresse à ce sujet, c’est parce qu’en 1976 ma compagne a été violée et assassinée. Quand l’assassin a été identifié deux ans plus tard, j’ai appris par les autorités qu’il avait également tué une dizaine d’autres femmes. Nous sommes en soixante-dix-huit et en tant que partie civile, j’ai accès au dossier et aux aveux du tueur. Là, ce qui me marque, deuxième choc parce que j’avais déjà découvert le corps, c’était l’absence de mobile et de motifs pour ce crime qui était donc un acte totalement gratuit. A l’époque, le mot serial killer restait encore à inventer. Quand j’ai voulu avoir des réponses, en allant notamment à la librairie du congrès à Washington, à des librairies spécialisées en psychologie à l’université de Stanford et à l’institut de criminologie à Paris, je n’avais trouvé aucun ouvrage sur ces meurtriers multirécidivistes, que l’on appelait à l’époque des tueurs fous, ce qui n’est pas tout à fait une appellation exacte. Comme il n’y avait aucun ouvrage sur ce sujet, je me suis dit que j’allais essayer de mener mes propres recherches. A cette époque là, j’étais très ami avec Robert Bloch dont Alfred Hitchcock avait adapté Psycho et dont la firme Amicus avait beaucoup requis le talent de scénariste pour tous ses films de Roy Ward Baker, Freddie Francis et autres. Je traduisais et je publiais des anthologies des nouvelles de Robert Bloch, j’habitais même chez lui et c’était le parrain de mon fils. Quand je vivais chez lui, j’avais rencontré parmi ses fans, puisqu’il écrivait depuis la fin des années trente, de nombreux policiers. Entre autres, le patron de la police criminelle de Los Angeles et le patron de la police de Sacramento qui étaient devenus des amis très proches. Quand je leur ai dit que je voulais mener ces recherches sur ce type de criminels, ils m’ont ouvert accès à leurs données, ils m’ont permis de les accompagner sur des enquêtes et d’aller rencontrer avec eux des tueurs qu’ils avaient fait arrêter, tueurs qui étaient déjà jugés de manière définitive. En 1979, j’ai pu, grâce à leur entremise, rencontrer mon premier tueur en série qui s’appelait, puisqu’il s’est suicidé, Richard Chase. Il était surnommé le vampire de Sacramento et il a notamment été « adapté » par Maurice Dantec dans le roman Les racines du mal. Dantec avait lu mon interview de Richard Chase et m’avait demandé d’emprunter le personnage pour celui de son vampire. Depuis 1979, j’ai interrogé entre cinquante et cinquante-cinq tueurs en série à travers le monde. J’ai fait une vingtaine de livres sur le sujet. Je travaille aussi depuis huit ans pour la gendarmerie nationale, au centre de formation de police judiciaire où, toutes les semaines, je donne des cours d’analyse de scènes de crimes et d’initiation à la personnalité des tueurs en série. Je suis également un des membres fondateurs d’une association de victimes en France qui s’appelle Victimes en série et qui est dirigée par une victime survivante du tueur en série Michel Fourniret qui va être jugé l’an prochain.

Le phénomène des tueurs en série a-t-il été traité plus tôt aux Etats-Unis qu’en France ?

Oui. Je dirai que pendant très longtemps on a nié en France avoir des tueurs en série alors que depuis très longtemps il y en a. D’ailleurs, depuis 1999, on a plus de soixante tueurs en série en France. On connaît tous Patrice Alègre, Emile Louis, Guy Georges mais il y en a plein d’autres moins connus. Des gens comme Jacques Plumain ou Louis Poirçon, et je pourrai en citer des dizaines d’autres. C’est justement pour ça que la gendarmerie a pensé me faire intervenir pour former les officiers.

Le DVD de Ted Bundy a pour supplément une de vos interviews de tueurs en série, celle de Gerard Schaefer. Est-il facile d’obtenir des entretiens avec ce genre de personnages et comment vous y prenez-vous ?

Au départ, ça n’a pas été extrêmement facile parce que moi je ne suis ni policier, ni magistrat. Ca c’est fait par l’entremise de ces amis policiers de Robert Bloch. Quand j’ai commencé à filmer ces entretiens, ça devait être dans les années quatre-vingt, j’ai appris que le FBI créait cette unité de profilers qu’on voit dans Le silence des agneaux en 1991. Dans les années quatre-vingt, il n’y avait pas eu Le silence des agneaux, donc personne ne s’intéressait à cette unité de profilers puisque, si je puis dire, le phénomène des serial killers n’était pas à la mode. Quand j’ai su qu’ils créaient cette unité, je leur ai proposé des dizaines d’heures d’entretiens filmés avec des tueurs en série américains. Ils ont accepté bien volontiers pour la formation de leurs agents. Ils pouvaient dire qu’à tel moment j’avais posé les bonnes questions, que d’autres fois je m’étais fait manipuler, etc. En échange, ils m’ont permis par la suite de participer à la formation en tant que non policier. Je dois être l’un des rares non policiers qui a suivi la formation de ces profilers du FBI à Quantico. Je suis devenu très ami avec un certain nombre des anciens agents, anciens puisque maintenant ils sont tous à la retraite.

Je suppose que l’autorisation du tueur est nécesssaire ?

Il y a besoin d’avoir à la fois l’autorisation du tueur, éventuellement de ses avocats mais aussi de l’administration pénitentiaire si l’on parle des Etats-Unis, chaque état étant souverain. C’est un certain nombre d’obstacles à franchir mais, comme j’étais devenu très ami avec ces agents du FBI, ils m’ont facilité ces demandes d’entretiens. Maintenant, je dirai que, par le fait que certains de mes livres, notamment aux éditions Grasset, ont été traduits dans près d’une vingtaine de pays différents, ça me permet, avec le fait que je travaille aussi pour la gendarmerie nationale, d’avoir un accès plus facile qu’auparavant.

Une question que l’on a dû souvent vous poser : comment expliquez-vous l’engouement du public pour les tueurs ? Il y a bien sûr eu le livre de Thomas Harris et son adaptation cinématographique ...

Je dirai que c’est véritablement l’élément déclencheur. C’est aussi le fait, qu’à chaque époque, à la fois de la littérature et du cinéma, on a un peu ... je ne dirai pas les méchants qu’on mérite mais ... Par exemple, à la fin du dix-neuvième siècle, c’est l’apparition, avec Bram Stoker, Mary Shelley, Stevenson, de tous les grands mythes de la littérature fantastique. Il y a eu Frankenstein, Dracula et un peu plus tard L’homme invisible. Après, il y a eu l’expressionnisme allemand. Ensuite, les films de Karloff et Lugosi avec la Universal. Les films de science-fiction de l’ère atomique. Ensuite, Stephen King, etc. Peut-être que le serial killer représente un peu ce qu’étaient l’ogre et les vampires d’autrefois, c'est-à-dire un monstre froid qui est extrêmement manipulateur, hyper intelligent. Cela ne correspond pas forcément à la réalité des tueurs en série puisqu’en règle générale ce sont plutôt des minables, des marginaux dans la société et, fort heureusement, à de très rares exceptions près, on n’a pas un Ted Bundy ou un Hannibal Lecter dans la réalité.

Le plus gros cliché sur les tueurs en série ?

Le plus gros cliché, c’est leur hyper sophistication. Par exemple, un film comme Seven, que moi j’aime bien visuellement au point de vue décors, collectionne un grand nombre de clichés sur le serial killer. Son omnipuissance, le fait qu’il prépare quasiment un an à l’avance ses crimes avec des messages cryptés, etc. Ce que l’on voit aussi très souvent, je dirai même quasiment dans tous les films de serial killer, c’est que le tueur finit par traquer soit le policier qui mène l’enquête, soit la profileuse qui va dresser son portrait robot psychologique. Dans la réalité, je n’ai pas connaissance d’un seul cas de tueur en série qui ce soit attaqué aux policiers qui mènent l’enquête sur ses crimes.

Par contre, on a le cas de Gerard Schaefer qui était un ancien policier ...

On a pas mal de cas de policiers ou de vigiles, de gens fascinés par les uniformes ou par le métier de policier. John Wayne Gacy par exemple (qui a été interprété par Brian Dennehy ou récemment par une petite série B qui s’appelle Gacy), approchait ses victimes avec une fausse plaque de policier. Les étrangleurs des collines (qui ont « fait » aussi The hillside stranglers, téléfilm et film sur leur cas) se prétendaient aussi policiers, revêtaient des uniformes et avaient un gyrophare pour arrêter les fugueuses ou les prostituées qui devenaient ensuite les victimes de leurs meurtres et de leurs viols.

Les tueurs en série ont-ils tendance à s’attaquer aux personnes les plus faibles ?

Oui, tout à fait parce que ce sont des lâches et qu’ils ne s’attaquent jamais à plus fort qu’eux. Soit les victimes sont des personnes faibles (femmes, prostitués hommes ou femmes, fugueurs), soit des personnes en position de faiblesse, c’est à dire des gens qui, par exemple, pourraient quitter un bar à deux heures du matin ou avoir leur véhicule garé dans un endroit sombre et à l’écart. Ce sont typiquement des victimes qui sont en position de faiblesse.

Vous dites que Ted Bundy de Matthew Bright est un métrage globalement fidèle aux faits réels. Quel est pour vous le film de serial killer le plus proche de la réalité ?

Au point de vue de la psychologie des personnages, j’en vois plusieurs. Henry portrait of a serial killer (j’avais d’ailleurs participé aux bonus de l’édition collector deux DVD). Il y a aussi deux films de Richard Fleisher. L’étrangleur de Boston, et surtout un film que je trouve vraiment superbe, c’est L’étrangleur de Rillington place. Au point de vue du réalisme côté enquête, il y a tout simplement un film français de Frédéric Schoendoerffer, Scènes de crimes avec Dussolier et Berling, qui, pendant les trois quarts du film, est très réaliste. Dès que le serial killer apparaît, je trouve que le film est beaucoup moins convainquant. Par ailleurs, je dirai que deux de mes films préférés, mais pas forcément extrêmement réalistes, ce sont Memories of murder, le film coréen, et Angst (ou Schizophrenia) le film autrichien.

Vous êtes une sommité en matière de tueurs en série, vous avez écrit plusieurs ouvrages sur le sujet, vous êtes friand de polars et de cinéma. Avez-vous déjà écrit des scénarios ?

Non. J’ai écrit des documentaires, j’en ai tournés, mais, sinon, écrire des scénarios, non. Par contre, je me suis retrouvé comme personnage de fiction dans un certain nombre de romans policiers, notamment Six pack de Jean Hugues Oppel dans lequel j’apparais en tant que personnage sous le nom d’Etienne Jallieu. Les habitants de Saint Etienne, ce sont les stéphanois et il y a une ville qui s’appelle Bourgoin Jallieu dans l’Isère ... Voilà. J’ai d’ailleurs repris ce pseudonyme d’Etienne Jallieu pour un certain nombre d’ouvrages que j’ai écrits par ailleurs, autrement que sous le nom de Stéphane Bourgoin. C’était donc un petit clin d’oeil à la fiction. Je suis aussi dans des BD via un profiler qui s’appelle Gourboin. Je dois aussi être dans un roman de Didier Daeninckx, À louer sans commission chez Gallimard. Sinon, au cinéma, mon rôle est interprété par Bernard Fresson dans le film de Berbérian, Six pack, qui n’est pas très réussi. Dans Scènes de crimes, la première victime porte mon nom. Dans le film, on entend tout le temps mon nom, Bourgoin. J’ai eu des propositions mais je n’y ai pas donné suite tout simplement par manque de temps, et parce que je m’intéresse plus au réel pour le moment.

Stéphane Bourgoin scénariste ce n’est donc pas inconcevable ...

Non. C’est quelque chose que j’ai en tête depuis un certain temps mais, pour le moment, j’ai encore cinq bouquins à écrire sur des affaires criminelles, donc ça m’occupe très largement. Le dernier en date, que je vais sortir début novembre, est en parallèle avec la sortie du film de Brian De Palma, Le dahlia noir puisque j’ai écrit un bouquin sur le dahlia noir, sur les dessous de ce crime en dénonçant un peu toutes les contrevérités, les légendes, etc.

Et si vous aviez un seul de vos ouvrages à conseiller aux lecteurs ?

J’en aurai peut-être deux parce qu’ils se complètent assez bien. C’est Serial killers enquête sur les tueurs en série chez Grasset et Le livre noir des serial killers qui présente sept portraits de tueurs. Sinon, j’en ai un autre qui contient un DVD gratuit avec trois entretiens avec des tueurs en série. Ca s’appelle L’almanach du crime et des faits divers.

Interview réalisée le 14 septembre 2006 par Julien Sabatier
Remerciements à Stéphane Bourgoin

Ouvrages mentionnés dans l’interview :

A louer sans commission (Didier Daeninckx, 1997)
Almanach du crime et des faits divers (Stéphane Bourgoin, 2006)
Dracula (Bram Stoker, 1897)
Frankenstein (Mary Shelley, 1818)
Le livre noir des serial killers (Stéphane Bourgoin, 2004)
Psycho (Robert Bloch, 1959)
Les racines du mal (Maurice G. Dantec, 1995)
Richard Fleischer (Stéphane Bourgoin, 1986)
Roger Corman (Stéphane Bourgoin, 1983)
Serial killers enquête sur les tueurs en série (Stéphane Bourgoin, 2003)
Le silence des agneaux (Thomas Harris, 1989)
Six pack (Jean Hugues Oppel, 1996)
Terence Fisher (Stéphane Bourgoin, 1984)

Films cités au cours de l’entretien :

The case of the hillside stranglers (Steve Gethers - 1989)
Le dahlia noir (Brian De Palma - 2006)
L’étrangleur de Boston (Richard Fleischer - 1968)
L’étrangleur de la place Rillington (Richard Fleischer - 1971)
Gacy (Clive Saunders - 2003)
Henry portrait of a serial killer (John McNaughton - 1986)
Memories of murder (Joon Ho Bong - 2003)
Psychose (Alfred Hitchcock - 1960)
Scènes de crimes (Frédéric Schoendoerffer - 2000)
Schizophrenia / angst (Gerald Kargl - 1983)
Seven (David Fincher - 1995)
Le silence des agneaux (Jonathan Demme - 1991)
Six pack (Alain Berbérian - 2000)
Ted Bundy (Matthew Bright - 2002)
To catch a killer (Eric Till - 1992)

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