Interview de Christophe Goffette, rédacteur en chef de Brazil2



Rédacteur en chef des revues Crossroads et Brazil, Christophe Goffette nous a accordé une interview. Il y évoque sa conception de la critique cinématographique, le contenu du premier numéro de Brazil2 (« suite » du magazine Brazil qui investira les kiosques dès le 26 septembre prochain) et bien d’autres choses. Un entretien à l’image de ses écrits, spontané et honnête.


Peux-tu te présenter aux lecteurs de DVDCritiques ?


Je vais essayer de faire court ! Premier fanzine à l'âge de 13 ans (Cauchemars), que j'arrête au bout de quatre numéros car Mad Movies, qui défendait les mêmes films, est passé professionnel à ce moment-là. Premières piges pro à l'âge de presque 16 ans, rédacteur en chef à 19 ans, éditeur à 21 ! J'en ai aujourd'hui 38. J'ai toujours été partagé entre musique et cinéma, même si j'ai surtout été rédacteur en chef de revues de musique : Best, Music Up, Compact, Crossroads, etc. J'ai aussi écrit quelques livres, dont un livre sur les films cultes, pour lequel j'ai rencontré Terry Gilliam voici presque quinze ans (je lui avais demandé d'en faire la préface, ce qu'il fit), des recueils de nouvelles ou encore un dictionnaire illustré du rock que j'ai dirigé pour Larousse. Mais toutes ces revues, c'est un accident qui a duré. Ce que j'ai toujours eu en tête, c'est de devenir réalisateur. Depuis quelques temps, je me sens enfin prêt pour ça. J'ai réalisé No Zamis Lé Hyens, docu un peu fiction très déconnant pour les 10 ans de Bernie (disponible sur le DVD collector), mais aussi des bonus pour Tideland ou le dernier Blier. Je suis en pré production de mon premier long-métrage, le second est écrit, je travaille au troisième, en anglais parce que ça se passe à New York et en Arizona. Mais bon, chaque chose en son temps, d'abord le premier. Ça s'appelle Démangeaison($) et, d'une certaine manière, c'est une synthèse assez « brazilienne » de plein de choses, dont mon point de vue sur l'évolution du cinéma.


Comment est née l'aventure Bandits Company qui a enfanté Crossroads puis Brazil ?


J'avais créé Music Up pour Cyber Press, mais ça se passait mal. On était vraiment des punks à côté des gentilles autres revues (Ciné Live, etc.). Alors, comme ça se passait plutôt pas terrible au niveau de leur entrée en bourse, ils nous ont virés. Moi, j'avais envie d'arrêter la presse musicale, j'en avais fait le tour, mais il y avait une grande frustration de la part du reste de l'équipe. J'ai donc accepté de monter une boîte, à la condition de faire un gratuit. C'était un nouveau challenge, je pensais pouvoir me motiver grâce à ça, mais nous sommes arrivés trop tôt. Personne ne voulait de gratuit et, pire, on me disait que jamais ça ne marcherait. On a tenté l'aventure de la gratuité un an, avant d'abdiquer. C'était environ deux ans avant que ne débarquent Métro, 20 minutes, etc. Cette première revue, Compact, est donc passée en kiosques, puis j'ai créé Crossroads et enfin Brazil. Compact a fusionné avec Crossroads pour devenir un gros Crossroads mensuel et Brazil s'est aussi retrouvé dans Crossroads le jour où nous avons perdu notre commission paritaire. C'était la seule solution pour continuer le titre, sans temps mort.


Brazil a d'abord été un magazine à part entière. Il a ensuite été intégré à Crossroads. Aujourd'hui, avec Brazil 2, il va à nouveau voler de ses propres ailes. Pourquoi cette évolution ?

Le redémarrage de Brazil à part, est né d'un bête constat : autant Crossroads a un vrai poids sur le marché du disque (des albums sortent grâce à nous, des tournées sont organisées, etc.), autant pour ce qui est du cinéma, on n'arrêtait pas de nous dire : "Oui, mais vous êtes une revue de musique". C'était pire que Don Quichotte. Les moulins à vent sont là, ils nous encerclent, mais en plus on ne nous laissait pas le loisir de nous jeter dessus, comme les allumés que nous sommes.


Des avis francs du collier et une ligne éditoriale en forme de bon gros majeur tendu : c'est ça le ton Brazil ?

Honnêtement, dans le meilleur des mondes, je préfèrerai qu'on passe notre temps à ne faire que défendre des films, mettre en exergue le talent de réalisateurs, etc. Mais ça n'est juste plus possible. Il y a un pourcentage de déchets de plus en plus considérable aujourd'hui et, parfois, ce sont ces machins-là qui sont mis sur un piédestal. Par exemple, dans le premier numéro de Brazil2 qui sort le 26 septembre (bon, je le rappelle, hein, ça ne mange pas de pain), il y a un portrait sur Gus Van Sant, qui s'appelle "Gus, arrête ton cinéma !". Franchement, on a filé à ce mec le prix du soixantième anniversaire de Cannes, un prix unique, alors que son "oeuvre" n'est que du vent. De manière plus générale, on réagit simplement comme une bande de passionnés, qui prend donc les choses assez à coeur, avec parfois une certaine mauvaise foi. À cela s'ajoute le fait que je ne hiérarchise pas du tout les films dont on va parler. Je ne regarde jamais si le film fait 1 copie, 10 copies, 500 copies. Je pars du principe, aussi, que si on ne défend pas comme il le mérite un bon film qui sort sur une ou deux copies, peut-être que la fois suivante, ce film-là, il ne sortira pas du tout !!!


Ce jusqu'au-boutisme dans le propos a valu quelques ennuis à Brazil, notamment avec Luc Besson. Que retiens-tu de ce fameux procès ? La victoire d'une certaine liberté éditoriale, un coup de pub involontairement assuré par l'ami Luc, … ?

Ce que j'en retiens. En fait, pas grand-chose. C'était amusant, pendant un temps, parce qu'il perdait complètement pied, je pense à l'émission de Fogiel par exemple où il a été assez ridicule. Après, ça m'a fatigué, ça a été très très long. Tout ça pour en arriver à une évidence : il a été débouté intégralement. Franchement, à aucun moment je n'ai douté de ça. Maintenant, ce procès gagné ne doit pas non plus nous faire faire n'importe quoi. L'idée n'est pas de tomber dans la surenchère, d'en profiter pour tirer à vue sur tout ce qui bouge. Brazil se doit d'être bien équilibré, bien dosé, logique avec lui-même et donc avec nous-mêmes par ricochet, sinon ça ne rime à rien.


Dans un contexte où de nombreux magasines consacrés au cinéma servent la soupe aux attachés de presse, peut-on encore être engagé et viable ?

On peut toujours être engagé. On peut dire du mal d'un film tout en étant respecté par l'attaché de presse qui s'occupe dudit film. Les attachés de presse ne sont pas des imbéciles. La plupart du temps, ils le savent quand ils bossent sur des navets. Mais ils font leur boulot. Maintenant, oui, on ne reçoit pas tous les cartons de projection, oui, on loupe des films, oui, nous sommes black listés par certains attachés de presse et aussi certains éditeurs DVD. Et alors ? C'est leur problème, pas le nôtre. C'est à eux d'avoir besoin de nous, et pas l'inverse. C'était le cas auparavant. Mais aujourd'hui la télé est reine. Les pages de rédactionnel, ils les comptabilisent comme des pages de pub ! Pour moi, le vrai boulot d'un attaché de presse, c'est d'abord de bien connaître la presse. Déjà, là, il y a une incroyable carence. La plupart ne lisent pas les magazines, ne connaissent pas les gens qui les font. Dans le cas inverse, ils auraient la capacité de mieux anticiper par rapport à leurs films, de nous faire des propositions intéressantes et originales. Pas juste d'attendre une demande d'interview et de nous l'accorder ou non. La plupart des sujets qu'on retrouve dans les revues aujourd'hui, ce sont des pseudo rencontres avec session photos. Putain, ce sont des revues de cinéma et jamais on ne parle de cinéma ! Voilà une des bases de Brazil : parler de cinéma, d'abord et surtout. Publier un entretien de dix lignes, c'est indécent quand le réalisateur a consacré deux ans de sa vie à son film. Faire une phrase et demi sur un DVD, quelle bonne blague ! À part remplir les DVDthèques de quelques pigistes chanceux, à quoi ça sert ?


Dans la presse française, de quels autres magazines consacrés au septième art te sens-tu le plus proche ?

Euh, aujourd'hui ? Aucun. Je me sens assez proche de Starfix, surtout la première année, disons les 15 premiers numéros, après ça avait un peu bifurqué même si c'était très bon. Mais Starfix, ça remonte au milieu des années 80. En fait, je me sens proche seulement de quelques magazines qui avaient un esprit vraiment à part, qui étaient d'abord la réunion de personnes, qui avaient une sorte de vista commune. Je pourrais citer Métal Hurlant, par exemple. Les débuts de L'Écho des savanes, Actuel si on remonte un peu plus loin. Plus personne ne fait ce genre de magazines aujourd'hui, le "marché" appartient aux marchands de papier. De la même façon que les marchands de pellicule, ou de publicités à la télé, parce que ce sont les mêmes, essayent de s'approprier le cinéma. Or, le cinéma, il appartient d'abord et avant tout aux spectateurs. C'est à eux qu'incombe la responsabilité de faire les bons choix. À chaque fois qu'un spectateur file un billet de dix euros pour aller voir une bouse, c'est un pas en arrière pour la création, c'est un peu de poids en moins pour des créateurs comme Terry Gilliam, notre bien aimé surréaliste en chef.


On a l'impression, notamment à travers tes éditoriaux, qu'il est parfois pour le moins harassant d'aller encore et toujours contre vents et marées.

J'ai un peu l'impression d'être Bill Murray dans Un jour sans fin, oui. Mais, bon, ces éditos, c'est vraiment de l'enculage de mouches, parce que c'est tellement répétitif. C'en est presque devenu un jeu. Maintenant, même si tout ça mon gonfle au quotidien, je fais avec et, surtout, il n'est pas spécialement intéressant de mettre ma position en avant, car ça me met moi en avant. Ce n'est pas le but du jeu. L'objectif, c'est vraiment de défendre une certaine conception du cinéma. Une conception plurielle et assez ouverte, d'ailleurs.


Lorsque tu dis « L'objectif, c'est vraiment de défendre une certaine conception du cinéma. Une conception plurielle et assez ouverte, d'ailleurs », je pense irrémédiablement au cheval de bataille de Yannick Dahan qui déclarait récemment (dans un entretien sur DVDclassik) :« Je dirais qu'il faut se battre contre la hiérarchisation de la culture. Les guerres de chapelles qui agitent la presse française sont absurdes, je peux aimer un film d'auteur comme un film d'horreur. Ici, chacun défend son bout de terrain, on se met des oeillères, on considère le cinéma avec snobisme. »

Oui, complètement. De toute façon, je vois mal comment on peut aimer le cinéma en n'aimant qu'un cinéma. C'est comme si on vivait avec quelqu'un pour son pied gauche ou si on achetait une bagnole pour la forme de son coffre. Le cinéma est riche et n'a d'intérêt que si on va puiser ses richesses, toutes ses richesses, là où elles se trouvent. S'il s'agît simplement d'engrosser les vendeurs de pop corn ou de gonfler les statistiques, ça ne présente pas d'autre intérêt qu'une simple constatation sociologique, qui est que l'art est devenu un bête produit de consommation courante.


On sent dans tes écrits, et notamment les portraits et interviews, que tu as fait des rencontres particulièrement marquantes dans le cadre de ton activité.

Les entretiens me nourrissent à deux niveaux. D'abord, ils alimentent ma connaissance personnelle générale du cinéma qui, plus tard, me sera utile dans mes films, car j'espère bien pouvoir avoir la chance d'en faire plusieurs. Ensuite, ils enrichissent aussi la revue, car ils s'additionnent et deviennent comme une mémoire collective des « braziliens » qui forment le magazine. Quand je rencontre un cinéaste, c'est donc moi d'un côté et le magazine d'un autre (les deux points de vue se complétant), qui parlons avec ce cinéaste.


Quoi de neuf dans Brazil2 ?

Un meilleur aspect, avec un meilleur papier. Une maquette toujours aussi claire, mais un peu plus classe peut-être. Je ne sais pas, cela se joue sur des détails, la maquette restant toujours au service de l'écrit, et l'écrit au service du cinéma. Plus de pages, beaucoup plus. Le "premier" Brazil faisait 68 pages, là le numéro 1 en fait 132, après quoi on devrait se stabiliser un moment sur 100 ou 116 pages par mois. À noter que le #1 restera exceptionnellement deux mois en kiosques, promotion de lancement oblige. Autre nouveauté : nous faisons désormais aussi nos photos, même si les deux tiers de l'iconographie reste des photos de films. Il y a pas mal de nouvelles rubriques, mais toutes ne sont pas dans le numéro 1, simplement pour des histoires de concordance avec l'actualité. Certaines rubriques sont rédigées par des "personnalités" extérieures à la rédaction, comme par exemple CharlElie Couture dans le numéro 1. Gilliam est aussi dans le numéro 1, bien sûr. La rubrique DVD est assez conséquente, il y a beaucoup de choses. Pour résumer, c'est à la fois plus visuel et plus dense que précédemment.


Les carnets d'un Cinéphageuh seront-ils toujours de la partie ?

Le Cinéphageuh, mais pas les carnets. On s'est dit que le redémarrage serait l'occasion de changer un peu car on commençait à tourner un peu en rond avec les carnets. Il faut dire que ça fait maintenant quatre ans que ça dure, à 18 feuillets par mois ! On va d'ailleurs sans doute en faire un livre. Non, dans Brazil2, il y aura "Le Courrier d'un Cinéphageuh". C'est vraiment très drôle. J'aimerais bien aussi des "Portraits d'un Cinéphageuh", il faut qu'on trouve un angle intéressant. Il y a tellement de possibilités …


Quels sont les films sortis récemment qui t'ont particulièrement marqué ?

Des films récents, tu veux dire ? Parce que des films, j'en vois tous les jours, nouveaux, anciens. Je me suis fait une cure Kurosawa récemment, c'est un peu comme une vidange annuelle. Ce n'est pas obligatoire, mais les méninges tournent mieux après et je me sens moins pollué. J'ai aussi régulièrement des périodes Fritz Lang, Tarkovski ou Kusturica. Sinon, pour revenir à l'actualité, j'ai vraiment adoré 99 F, pour moi le film français le plus réussi depuis Bernie ou Delicatessen. C'est presque un film-univers en soi, totalement « brazilien » donc. L'Ennemi Intime de Florent Siri est une belle réussite aussi. Un film intelligent, bien amené. Ce qui nous fait deux bons films français à une semaine d'intervalle. Je pense que ça mérite d'être souligné, car parfois on se bouffe du sous-Weber trois ans de suite pour un machin vaguement regardable. Quelques films en vrac, appréciés ces derniers mois : Borat, Babel, Le Labyrinthe de Pan, Tideland bien sûr, Avida, Mise à Prix, Le dernier roi d'Ecosse, la liste est longue, on en revient à la richesse du cinéma.

Interview réalisée par Julien Sabatier (septembre 2007).

Remerciements à Christophe Goffette pour sa disponibilité.