Interview d'Emmnauelle Bercot, d'Isild le Besco et de Valéry Zeitoun

Backstage est le second film d’Emmanuelle Bercot, après Clément, Prix de la Jeunesse au Festival de Cannes 2001. Après avoir traité de la passion amoureuse d’une jeune femme pour un enfant de 13 ans, elle choisit de nous raconter dans Backstage, l’étrange relation qui va se nouer entre Lucie (Isild Le Besco, actrice fétiche de la réalisatrice) et Lauren (Emmanuelle Seigner), chanteuse-diva, sorte de clone de Mylène Farmer.



Emmanuelle, comment vous est venu l’idée de faire ce film ?

Je trouve qu’il n’y avait aucun autre film de fait sur le sujet. Un sujet qui me touchait beaucoup, bizarre, celui du phénomène d’être fan à ce point là, à l’extrême.

De quoi vous êtes vous inspirée, vous avez rencontré des fans ?

Je n’ai pas rencontré de fans et je ne connais pas de stars non plus. Les fans ont beaucoup de mal à se livrer, à s’affirmer en tant que tel. La seule matière dont je me suis nourrie, c’est des lettres de fans, les plus intimes, les plus extrêmes, les plus absolues dans le fanatisme. Ca m’a montré que ça allait très très loin dans l’idolâtrie. Cette adoration était porteuse d’une détresse.

Et ces lettres de fans, elles portaient sur quel artiste ?

En fait, elles portaient sur plusieurs artistes. Mais je ne peux pas vous dire lesquels. J’ai eu accès à ces lettres de manière exceptionnelle et je ne voudrais pas compromettre les gens qui ont pu me les fournir.

Vous avez été fan ?

Non jamais. Je ne pense pas que ce sujet m’aurait autant passionné si je l’avais été. Je suis plus intéressée par ce que vivent les autres.

Isild, vous avez touchée par ce phénomène, des fans en bas de vos fenêtres ?

Non pas vraiment. Je reçois des lettres. Il arrive de voir les mêmes personnes aux projections. Mais rien de comparable à ce qui se passe dans le film. Je ne pense pas que le cinéma provoque autant. C’est surtout dans la chanson. Quand une chanteuse ou un chanteur est sur scène, il provoque quelque chose de beaucoup plus fort, beaucoup plus intime et d’extrême.

Emmanuelle : En fait, je crois que le fond de tout cela, c’est que c’est extrêmement érotique le rapport du public au chanteur ou à la chanteuse sur scène. Et je pense que ce phénomène d’hystérie, de transe est très lié à cela. J’étais allé voir le concert de Johnny Hallyday, et il y a effectivement quelque chose de très intime. C’est entre lui et les autres et personne autour. C’est assez fascinant. Les acteurs, qui sont dans un film avec quarante autres comédiens, ou sur scène au théâtre, n’ont pas le même rapport exclusif, intime au public.


Isild, comment vous l’avez-vous vécu ce rôle de fan ?

C’était une réelle difficulté. Il fallait vraiment créer quelque chose. Je ne suis pas sûr que je referais tout de suite un rôle qui demande autant.

Le personnage de Lauren, la star fait évidemment penser à Mylène Farmer…

Emmanuelle : Je ne connais pas très bien les chansons, les spectacles de Mylène. Mais je me suis intéressée au phénomène qu’elle provoque. C’est la seule en France à faire ça. J’ai voulu faire une étude sur l’univers qu’elle avait mis en place, sur ce qui faisait qu’elle accrochait les jeunes et les moins jeunes. On peut dire Mylène, mais on pourrait aussi dire Madonna. Elle fonctionne sur les mêmes codes, le sexe, la religion, l’ambiguïté sexuelle, le mystère, le morbide… J’ai repris un certain nombre de ces recettes pour créer le personnage de Lauren. Et pour moi, la comparaison s’arrête là.

Isild, comment avez-vous  préparé ce rôle ? Etes-vous allé à des concerts, regardé comment se comportaient les fans ?

Emmanuelle m’a juste montré quelques Stars à Domicile (le film débute sur une copie de cette émission, au cours de laquelle Lauren rencontre Lucie). Mais Lucie n’est pas hystérique. Je n’avais pas besoin d’aller voir des fans.

Emmanuelle : En plus, Lucie se considère à part. Quand elle rencontre les autres fans de Lucie, elle ne se sent pas appartenir au même monde. Elle est persuadée que sa destinée, c’est de rencontrer Lauren.

Isild : En fait, Lucie a un problème, une fêlure. Si elle n’avait pas été fan, cela aurait été autre chose. Elle est en quelque sorte droguée. Elle a une dépendance terrible vis-à-vis de son idole. Comme tous les fans, mais Lucie a autre chose. Ce qu’elle fait n’est pas lié uniquement au fait qu’elle est fan.

Et cela a été difficile de sortir du rôle ?

Ce n’est pas réellement sortir d’un rôle. On ne sort pas d’un personnage puisque c’est notre peau. C’est plus le tournage que le rôle. C’est plus l’histoire d’un tournage. C’est un peu comme un voyage. Après deux mois passés en Inde, les gens reviennent différemment. Ils ont besoin d’un temps d’adaptation. Ici, c’était la même chose, surtout avec un tel rôle, des choses très extrêmes à jouer. Il y a un équilibre à retrouver.


Emmanuelle, pouvez-vous nous parler de la part de la musique dans votre film ? Vous vous en êtes occupé vous-même ou bien vous êtes-vous contenté de l’image et laissé la musique à quelqu’un d’autre ?

La part de la musique était capitale. Et le travail que j’ai eu à faire sur l’album était aussi colossal que celui que j’ai du effectuer sur le film. Je ne pouvais pas déléguer cela. Enfin ce sont des professionnels qui s’en sont occupées. Mais les chansons, il fallait que je choisisse les thèmes, que je surveille l’écriture, que je suive la composition. J’étais présente pendant tout l’enregistrement, le mixage. C’était faire un énorme truc, avant même de commencer le film.

Vous avez un conseil pour les fans désirant devenir ami avec leur idole ?

Emmanuelle: Moi, je pense que c’est absolument impossible. Donc j’ai qu’un conseil, c’est que ça leur sorte de la tête. Parce qu’elles perdent leur temps.

Isild : Ou alors de devenir aussi star qu’eux (rires).


Les grèves des transports bordelais ayant provoqué quelques ennuis, Valéry Zeitoun, qui joue le manager de Lauren, arrive enfin.

Après ce petit passage au cinéma, vous allez poursuivre l’aventure ?

Non, mon métier reste la musique. C’est très rigolo parce que ma première expérience télé, c’était de faire mon métier à la télé et Emmanuelle Bercot m’a demandé de jouer à faire mon métier au cinéma et je vous garantis que c’est beaucoup plus difficile de jouer à faire son métier que de le faire réellement à la télévision. Mais mon métier de base, c’est d’être producteur de musique. Et je suis très heureux de l’être. Comme j’ai été très heureux de faire ce film avec toutes ces femmes talentueuses (avec une voix de charmeur et un clin d’œil à Emmanuelle Bercot provoquant des rires dans la pièce).

Réellement, aucune envie d’aller plus loin dans le cinéma ?

Moi ce que j’ai ressenti, c’est que le cinéma c’est un miracle ; chaque film est un petit miracle en soi. J’ai rencontré Emmanuelle quand elle avait fini d’écrire son scénario et il y avait donc déjà beaucoup de travail de fait. Mais entre le moment où on pense à faire un film et le moment où il est à l’écran, je crois qu’il y a une telle aventure, les financements à trouver, l’histoire, les comédiens. Ca, déjà en soi c’est un petit miracle. De plus, j’ai deux passions, la musique et le cinéma. Et pour un cinéphile, se retrouver dans un film, c’est aussi un petit miracle. Je ne suis pas croyant, et là, j’ai déjà vécu deux miracles, donc…Enfin, j’ai la chance d’avoir un boulot qui me passionne. Donc à l’avenir, si j’ai d’autres propositions, je pourrais choisir, parce que j’ai de quoi bouffer.

Votre personnage a une patience remarquable pendant tout le film, il prend sur lui. Mais lors de la scène dans le studio d’enregistrement, on sent que Lauren dépasse les bornes, et on se dit que vous allez péter les plombs. C’est exagéré au point de vue du scénario ou est-ce que vous pouvez trouver des choses aussi extrêmes ?

Je dirai que dans la forme, on est dans un film. Donc, la forme est un poil exagéré. C'est-à-dire que moi dans la réalité, je n’ai jamais parlé à un artiste de cette manière. C’était important de le faire comme cela pour faire comprendre que Lauren dépassait les bornes. Moi, ce personnage, ce manager m’a plu, parce que je crois que ce que l’on ressent, et c’est pour cela que je fais ce métier de producteur de disque, c’est que l’on ne peut pas faire ce métier si on n’aime pas les artistes avec lesquels on travaille et si on n’aime pas ce qu’ils font. Et il a cette patience là, parce qu’il aime profondément cet artiste là. Et sur le coup, il est désespéré, parce qu’il a envie qu’elle se sorte de ce mauvais pas. Donc il lui montre que de son côté à lui, c’est stable.

Et le rôle que vous avez interprété vous a donc plu ?

Effectivement. Pour une fois, quelqu’un n’a pas eu cette image dégradée du show-business, du métier de la musique. Et j’ai trouvé ce manager plutôt sensible. Je trouve que c’est une bonne image.

Est-ce que le producteur de musique va produire le disque de Lauren ?

Oui ! Il est produit. D’ailleurs, il sort le 07 novembre. Et j’ai vraiment été très épaté par la performance d’Emmanuelle Seigner. Ce n’était pas facile, pour une non professionnelle, d’entrer dans un studio d’enregistrement, notamment de mettre le casque et d’entendre sa voix. C’est aussi compliqué que de se voir la première fois sur l’écran. Et elle s’en est admirablement sortie, d’autant plus qu’elle n’a pas l’ambition de devenir une chanteuse. C’est une vraie performance d’actrice que d’arriver à jouer une chanteuse. Je suis très fier de cette bande originale. Bien sur, je l’ai signé parce que je suis dans le film, et que si je ne l’avais pas signé et qu’elle avait cartonné ailleurs, ça m’aurait fait chier. Mais je l’ai surtout signé parce que je trouve que c’est une bonne b.o. avec de bonnes chansons.

 

Propos recueillis par Arnaud Herpin.