Titre original : The Passion of the Christ
USA, 2004
Réalisateur : Mel Gibson
Acteurs : Jim Caviezel, Monica Belluci, Maia Morgenstern, Hristo Naumov Shopov
Musique de : John Debney
Adapté de la Bible
Durée : 2h05

L’histoire
Les douze dernières heures de la vie du Christ. La trahison de Judas, l’arrestation de Jésus, sa condamnation, sa flagellation, son chemin de croix et sa crucifixion. Ne me dites pas que je viens de vous gâcher la surprise de l’histoire et de la fin.

La Passion du Christ est-il destiné à être un film, ou autre chose ? Cette question, on peut se la poser autant avant qu’après avoir vu le film. Étudions donc cette œuvre sous plusieurs angles : en tant que film, en tant qu’illustration de la Bible, en tant que message. En tant que film tout d’abord, le projet était excitant : une mise en images parfaitement fidèle des douze dernières heures du Christ, quasiment une reconstitution à l’identique de ce qui s’est passé il y a deux mille ans (ou ne s’est pas passé, mais laissez-moi traiter ça comme une reconstitution, sinon les phrases vont être trop lourdes). A tel point que les dialogues sont en latin et en araméen (et que Mel Gibson, persuadé de la force et de la clarté de ses scènes, avait souhaité tout d’abord ne pas les sous-titrer). La reconstitution historique semble d’ailleurs parfaite et crédible, décors, costumes, tout transpire la Jérusalem d’époque.
Les acteurs font également du beau boulot, notamment Jim Caviezel, méconnaissable et qui ressemblerait presque à Jésus. Monica Belluci se fond dans le personnage de Marie-Madeleine avec aisance (sans pourtant perdre de sa grâce). Si Maia Morgenstern joue la Vierge Marie avec beaucoup de conviction, son absence totale de ressemblance avec la Sainte Vierge représentée dans l’imagerie chrétienne gêne un peu pour y croire. Mais le plus convaincant reste Hristo Naumov Shopov (oui, il y en a qui n’ont pas de chance avec leur nom), qui joue Ponce Pilate, et qui est le seul à avoir compris (avec Monica Belluci) qu’il ne suffisait pas de jouer une image, mais également une personne. Les apôtres sont un peu transparents (en plus de se ressembler tous), mais jouent un rôle assez mineur. Et tout ce beau monde manie des langues mortes avec conviction (c’est même épatant à quel point tout le monde semble bilingue araméen-latin à cette époque). Mais ça ne suffit pas, la sauce ne prend pas vraiment.


Si certaines scènes sont poignantes (on va y revenir), l’ensemble donne l’impression de se donner trop de peine pour convaincre. D’abord, la langue, qui me semble finalement une fausse bonne idée : ça paraît tellement inhabituel comme phrasé, que l’on ne peut s’empêcher de penser que c’est de l’araméen, que c’est du latin (on reconnaît quelques mots, mais le Gaffiot est loin maintenant), et que ça a dû être difficile à reconstituer, et à apprendre pour les acteurs. Bien sûr, quand on en est à penser ça, on n’est plus dans le film. De plus, les sous-titres, énormes (en très grosses lettres je veux dire), reprennent le texte biblique, et ce qui passe à l’écrit sonne tout de même un peu lourd et peu plausible dans la réalité. Ça gâche un peu le naturel. En outre, Mel Gibson manque un peu (voire totalement) de subtilité dans sa mise en scène, et chaque événement important est tellement souligné qu’on ne voit plus que la caméra. La scène de l’arrestation au mont des Oliviers, par exemple, comporte plus de ralentis que de scènes en vitesse normale. La bourse avec les 30 deniers lancée à Judas vole et s’écrase dans un grand ralenti, le temps qu’on saisisse bien le symbole. Dernier exemple, sur le chemin de croix (long comme il se doit), Jésus tombe six fois, et à chaque fois avec un ralenti poignant sur le Christ chancelant, basculant de face, de côté, en arrière, s’écrasant dans la poussière. Alors d’accord, on souffre pour lui (vu son état après la flagellation), mais était-il vraiment besoin d’appuyer autant les effets ?
Autre lourdeur : les flash-back. Entendons-nous bien : je déteste ça, surtout les petits flash-back sur des événements antérieurs à l’histoire racontée, censés enrichir le background des personnages pour qu’on comprenne mieux ce qu’ils ressentent, et qu’apparemment les acteurs ne savent pas faire passer puisqu’on ajoute, donc, un flash-back. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour mériter qu’on m’en inflige autant, et d’aussi plats ? Marie-Madeleine observe Jésus en croix, et hop, flash-back sur la première fois qu’elle l’a vu. Jésus aperçoit un feuillage, et hop, flash-back sur l’entrée en ville avec les rameaux. Jésus regarde une planche, et hop, flash-back sur lui-même en train de fabriquer une table. Et le plus lourd : Marie n’ose pas aller embrasser son fils une dernière fois sur le chemin de croix, et se replie sur elle-même, quand elle aperçoit Jésus passer, tomber, et hop, flash-back sur Jésus à 4 ans qui tombe et Marie qui va le consoler, et retour dans le présent où Marie vainc son désespoir et court vers son fils pour le relever. Ça ne gâche pas obligatoirement l’ambiance (sauf voir plus loin), mais vraiment, vraiment on aurait pu faire sans.
Finissons le commentaire de la Passion du Christ en tant que film. Le scénario est bien sûr sans surprise (au moins, c’est pas un film hollywoodien, ils n’ont pas changé la fin !), le rythme étant en général plutôt bon, à l’exception de quelques lenteurs et scènes qui s’étirent, étendues pour nous faire partager plus longtemps la souffrance du Christ, mais qui paraissent juste un peu longues quand on n’est pas rentré dans le film. La musique est réussie, dans le style de l’excellente musique qui baigne la bande-annonce (musique malheureusement non présente dans le film), mais en moins bien. Elle reste cependant bien adaptée aux images. Voilà pour le film. Rien de honteux, mais un manque de subtilité et un recours systématique aux gros moyens (ralentis, gros plans, scènes choc) qui alourdissent le film et le rendent assez indigeste. Mais ce film n’est pas qu’un film.


Même si je suis surtout là pour vous en parler en tant que film, laissez-moi ajouter quelques considérations, tout d’abord sur la transposition de la Bible. Mel Gibson a voulu sa reconstitution parfaitement fidèle, et effectivement, rien n’y manque. Si la plupart des événements relatés dans le Livre ne sont pas vraiment enrichis par leur représentation, le film permet tout de même trois apports. Tout d’abord, l’aspect dur et cruel des punitions infligées à Jésus est bien plus poignant par leur représentation. Ensuite, l’image permet de rappeler à chaque instant l’état du Christ, les séquelles de ses supplices. La couronne d’épines est présente à chaque image, ce qu’un livre ne peut pas faire ressentir. Et enfin, la reconstitution essaie d’asseoir encore plus la véracité de l’histoire : voyez, ça s’est passé comme ça. De plus, Mel Gibson s’essaie à un peu de symbolique, avec une représentation du diable tentateur, représenté comme une femme à la voix masculine, et qui discute brièvement avec Jésus pour apparaître ensuite comme silhouette dans la foule. Pas vraiment convaincant.
Penchons-nous un peu sur le message qu’a pu vouloir faire passer Mel Gibson, fervent chrétien, à travers ce film. Je ne vais pas développer dans les grandes largeurs, car, comme le disait le héros de Big fish, quand on parle de religion, on risque toujours de vexer quelqu’un. Le film insiste assez peu sur les miracles de Jésus (suffisamment tout de même pour refuser une explication rationnelle), et se concentre surtout sur son martyr, la façon dont il a tout enduré. À partir de là, le message semble tout de même un peu difficile à cerner, ou simpliste : difficile de l’appliquer comme principe de vie ou philosophie, ou même dans sa pratique de la religion. Je pencherais donc plutôt pour un rappel aux chrétiens : souvenez-vous comme Jésus a souffert pour nos péchés. Un message se situant uniquement au niveau religieux, et donc perdu pour les non-croyants.
Je me sens un peu obligé de dire un mot sur la fameuse polémique, le soi-disant côté antisémite du film. C’est pas que ça me réjouisse d’en parler, mais moi, au moins, j’ai vu le film. Alors oui, les juifs ne sont vraiment pas à la fête (vis-à-vis des spectateurs ; dans le film, il n’y a que Jésus qui ne soit pas à la fête). Cela dit, nous parlons de quelques pharisiens qui influençaient leur peuple à cette époque, soit environ vingt personnes, même importantes, mortes depuis 2000 ans. C’est quand même un peu juste pour devenir antisémite. Surtout que, si on part de ce principe, on devrait en priorité devenir anti-italien. Parce que l’acharnement des puissants juifs à faire mourir le Christ n’est rien à côté du sadisme joyeux des soldats et bourreaux romains dédiés à cette tâche. En résumé, si les juifs devaient se plaindre de ce film, ils devraient d’abord se taire pour laisser les Italiens hurler leur indignation. Voilà. Une polémique pour rien mais, apparemment, ça défoule quand on n’a rien à dire.



Finissons cette longue critique par ce que le spectateur peut ressentir face à ce film. Selon la personne, beaucoup de sentiments peuvent se mêler. Tout d’abord, le film est extrêmement violent. Il s’agit principalement de la scène de la flagellation (vraiment on a mal pour lui, qu’on ait accroché au film ou non), insoutenable même pour des personnes pas trop sensibles, et de la crucifixion (les clous notamment), qui serait aussi poignante si elle n’était pas saucissonnée de flash-back de la Cène (je hais les flash-back). Premier sentiment donc, le dégoût, l’horreur, le malaise (léger comme complet) selon que l’on a le cœur plus ou moins bien accroché. Si l’on est croyant, pratiquant ou non, je suppose qu’on aura le choix entre voir le film soit comme un blasphème, la vile transposition d’un texte sacré pour gagner de l’argent, soit au contraire comme une révélation, une apparition quasiment miraculeuse. Soit encore (et ça semblerait tout de même un peu moins extrême et un peu plus réaliste) de le voir juste comme un film, que l’on appréciera ou non. Si l’on n’est pas croyant, ou en tout cas pas chrétien (dans tous les cas, mieux vaut réviser un peu de catéchisme tout de même, car on ne vous raconte que la fin de l’histoire), pas la peine d’espérer en retirer plus sur la philosophie de la religion chrétienne qu’un « aimez-vous les uns les autres », que vous avez sans doute déjà dans votre collection. Si vous avez bien fait les comptes, le film risque de ne plaire qu’à une minorité de croyants, et pas aux autres. Car, pour un sujet porteur de tellement d’idées, on n’en retient que la souffrance (sans même rappeler que le Christ souffre pour expier les péchés des autres), et pour un film si atypique et potentiellement si fort, la lourdeur de l’ensemble plombe le tout, à part quelques scènes dont la cruauté fera tourner de l’œil les quelques partisans qui restaient. Pour ma part, j’ai été saisi par les deux scènes choc (et pourtant il en faut pour me secouer), mais je me suis plutôt ennuyé (quand je n’ai pas trouvé certaines scènes ridicules) le reste du film. Cela dit, certains trouveront sans doute quelque chose dans le film que je n’ai pas vu, ou auquel je n’ai pas été sensible. Et on ne peut lui enlever le côté osé, quasiment fou, de l’aventure. Mais cela suffit-il ? A vous de voir, mais ce ne sera pas moi qui vous l’aurai conseillé.

A voir : parce que le film part d’un principe audacieux, mais pas pour le résultat, et absolument pas si vous êtes sensibles à la cruauté
Le score presque objectif : 6/10 pour la partie cinématographique
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -2, désagréable ou ennuyeux, dans tous les cas vous perdez.

Sébastien Keromen