Farouche opposant à George W. Bush dont il conteste jusqu’à l’élection, Michael Moore nous présente son arme ultime anti-réélection : son film Farenheit 9/11, où Bush en prend pour son grade, et qui doit révéler à l’Amérique tout ce que les media lui ont caché. Si tout n’est pas parfait ou justifiable, il y a suffisamment dans ce documentaire, primé d’une palme d’or à Cannes, pour que tout le monde y trouve son comptant.
Titre original : Farenheit 9/11
USA, 2004
Réalisateur : Michael Moore
Durée : 1h50
L’histoire
L’histoire de l’élection de Bush, de ses premiers mois avec 42% de loisirs, du 11 septembre, de l’attaque en Afghanistan, de l’invasion de l’Irak, le tout vu et décrypté au vitriol et partialement par Michael Moore.
Bien sûr, ce film n’aura pas en France le même impact qu’aux US. D’abord parce que nous sommes moins directement concernés, et également parce que nous sommes déjà bien informés. A vrai dire, je m’attendais à un film qui ne m’apprendrait peut-être pas grand chose, mais clarifierait les infos et surtout utiliserait beaucoup d’images édifiantes de Bush pour appuyer son propos (comme celle de la bande-annonce où Bush demande l’aide des nations contre le terrorisme, pour enchaîner avec un " Regardez-moi ce drive " et frapper sa balle de golf). Finalement, il n’y a pas tant d’images de Bush que ça. Bien sûr, il y a cette scène édifiante où il continue à lire un livre pour enfants à une maternelle alors qu’on vient de lui apprendre le crash du deuxième avion sur le World Trade Center. Mais après un quart d’heure où on ne voit que lui, on ne le reverra que peu.
Le ton du documentaire n’est, comme on le sait, pas objectif. Moore ne donne quasiment pas la parole au camp de Bush, si ce n’est par des extraits d’interviews qu’il reprend et, en général, commente à son goût. Ça peut bien sûr paraître gênant pour un documentaire d’être à ce point engagé, mais c’est également sa raison d’être. Comme tout le monde est prévenu, ça ne pose pas de problème. Il fallait sans doute cette accumulation de son point de vue pour compenser aux États-Unis des années de désinformation par les news. A partir de l’évocation (très sobre et réussie) du 11 septembre, le film se décompose en deux types de scènes : des images de journaux d’information, et des interviews effectuées par Moore et son équipe. La partie montrant les journaux télévisés manque un peu de précision. On sait le parti pris de Fox News concernant le traitement de l’info, et malheureusement les extraits se succèdent sans préciser la chaîne ou la date correspondant à l’extrait. Ça nuit un poil à une compréhension complète qui aurait nécessité de replacer chaque extrait dans un contexte complet. Moore continue d’expliquer en voix off ce qu’il veut nous montrer avec ces extraits, mais tout de même.
On a aussi un certain nombre d’interviews diverses. Et là, il faut bien le dire, il y a à boire et à manger. Autant l’avis d’un journaliste ou d’un politologue peut être utile, autant l’avis de deux mémés dans une maison de retraite semble dispensable (ou alors il aurait fallu ainsi relever l’opinion de tous les Américains sans exception). On appréciera les diverses interviews de soldats en Irak, certains encore tout fous (nous expliquant quelle musique ils passent dans leur tank pour se motiver à dessouder de l’Irakien), d’autres totalement désabusés et presque traumatisés. Autour de ces interviews, on a également droit à des images très fortes de la guerre, qui vous choqueront sans doute si vous ne vous êtes pas encore blindés pour résister aux images des infos. Reste le problème de l’interview de la mère d’un soldat mort en Irak. Bien sûr, c’est émouvant. Mais on peine à voir son intérêt dans le documentaire : est-il vraiment besoin de rappeler que la guerre tue des gens, que les gens sont les fils d’autres gens, et qu’une mère ne devrait pas enterrer son enfant ? Car cette séquence s’étire en longueur sur la fin du film, qui, comme la guerre en Irak, s’enlise.
Un mot pour comparer Farenheit 9/11 avec Le Monde selon Bush, de William Karel, sorti il y a quelques semaines. Les deux films sont complémentaires. Au niveau du ton, Farenheit 9/11 est de parti pris et virulent, alors que le Monde selon Bush est très classique dans son déroulement, alignant les faits et les extraits d’interviews (très extraits, puisqu’on a souvent droit à une phrase à la fois). Côté informations, il y a quelques recouvrements (comme l’évacuation de la famille Ben Laden par avion le 12 septembre), mais aussi pas mal de complémentarité. Le Monde selon Bush insiste sur les affaires et sociétés gravitant autour de Bush et ses conseillers (notamment Paul Wolfowitz), mais n’aborde pas du tout son élection controversée. Moore fait l’impasse sur la conviction religieuse de Bush (le documentaire de William Karel évoque le passé de Bush avant son élection, soulignant notamment qu’il n’a jamais eu de passeport, et donc jamais quitté les States, avant d’être président), mais évoque la guerre en Afghanistan. Enfin, Farenheit 9/11 réserve une plus grande partie à la guerre en Irak, allant jusqu’à éclaircir les conditions d’embauche des jeunes soldats expédiés à la guerre. Si, au finish, le documentaire français semble receler plus d’informations, le mieux est encore, pour ceux que ça intéresse, de voir les deux.
Au-delà des révélations qui n’en seront pas vraiment pour nous, Français, le film de Michael Moore cumule des côtés réussis (force de la prise de position, absurde de certaines images, émotion d’autres) mais aussi des points qui auraient pu et dû être améliorés (rythme un peu élevé et montage parfois confus, certaines scènes plus qu’anecdotiques, scènes sur la mère du soldat tué redondantes et un peu hors sujet). Si le film semble nécessaire en tant que documentaire pour informer (et tenter de convaincre) les Américains avant les élections, son intérêt cinématographique est beaucoup moins convaincant que celui de Bowling for Columbine.
A voir : parce que tout le monde va en parler, et parce que c’est édifiant
Le score presque objectif : 7/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +1, perfectible
Sébastien Keromen