Après Jesus Christ Superstar et Evita (et Cats en spectacle filmé), voici un nouveau spectacle d’Andrew Lloyd Webber porté en film. Certainement un des plus ambitieux. Le spectacle, pas le film.

Le Fantôme de l’Opéra
Titre original : The Phantom of the Opera
USA, 2004
Réalisateur
 : Joel Schumacher
Acteurs : Gerard Butler, Emmy Rossum (vue dans Le Jour d’après), Patrick Wilson, Miranda Richardson, Minnie Driver, Simon Callow
Adapté du musical d’Andrew Lloyd Webber, lui-même adapté du roman de Gaston Leroux
Durée : 2h20

L’histoire
À l’Opéra de Paris, une jeune chanteuse talentueuse est parrainée par un mystérieux personnage habitant dans l’Opéra, et aux méthodes radicales. Quand elle tente d’échapper à son emprise, va commencer un dangereux jeu de séduction et de musique.


Laissez-moi chercher encore une minute… Non, vraiment, j’ai du mal à trouver ce que le film apporte au CD déjà existant.
Allez, je vais être sympa, les costumes et décors sont à la hauteur de nos espérances, c’est-à-dire somptueux, excessifs, colorés, grandioses, bariolés. Voilà. Allez plutôt écouter le CD.
Tiens, il me reste encore de la place. Laissez-moi en profiter pour vous expliquer où le bât blesse dans ce film. Bien sûr, il faut d’abord aimer la comédie musicale originale. Si vous ne l’appréciez pas ou n’aimez pas la musique d’Andrew Lloyd Webber, vous n’avez sûrement pas l’intention d’aller voir le film. Vous n’êtes même pas en train de lire cette critique. Bon, soyons un peu plus positifs. Si l’ensemble du film ne rend pas honneur à sa partition, certaines scènes sont vraiment réussies, telle le lever du chandelier au début, sa chute plus tard (plus tard que dans la pièce originale, d’ailleurs), ou le bal de Masquerade. De plus, la musique aidant, on ne voit pas passer les 2h20 du film. Mais il aurait suffit de pas grand chose (ou presque, on va y venir) pour que le film prenne une dimension supérieure.


Commençons par la mise en scène.
D’accord, la musique et les chants sont forts, mais était-ce bien la peine de tenter des plans qui crient visuellement encore plus fort ? J’entends par là que Schumacher insiste tellement sur ses plans, grands mouvements de caméra, gros plans, quelques ralentis, noir et blanc plein de grain, il met tellement de gens dans tous ses plans, tellement de couleurs, qu’on le sent en compétition avec la musique pour attirer encore plus l’œil que l’oreille. Au lieu de les supporter, les images l’affrontent les chansons dans beaucoup trop de plans. Ça ne vous gênera peut-être pas beaucoup si vous êtes pris par la musique, surtout que celle-ci se prête tout de même à une mise en scène assez ostensible et excessive, mais ça peut agacer. On regrettera aussi la narration en flash-back. Pas le début, conforme à la pièce et qui permet une ouverture en beauté, mais plutôt les retours dans le " présent " (le présent de 1910 par rapport à 1870, quoi), à 4 reprises (découpant le film en quatre quarts), qui n’ont aucun intérêt et cassent le rythme, sans oublier une fin lourdaude et qui n’apporte rien (et absente de la pièce). Tout ça nuit au film. Mais pas autant que le casting.


Épargnons tout de suite les seconds rôles, très bien interprétés, notamment Minnie Driver en cantatrice capricieuse italienne (à part qu’elle roule les R encore plus que des cannelloni), et Miranda Richardson en régisseuse avisée (sauf qu’elle a dû perdre à la courte paille et se retrouve la seule à adopter un accent français un peu envahissant). Passons au trio de tête. A la troisième position des rôles mal distribués : Raoul. Le rôle du bellâtre fade et niais est en fait tenu par quelqu’un qui a le profil de l’emploi. Mais qui chante bien. Le seul grief est de ne pas réussir à améliorer un rôle ingrat et inintéressant, mais il assure tout de même bien sa place. Deuxième place : Christine. Elle aussi porte bien le côté gourde de son rôle, et reste assez crédible. Elle chante même bien et juste, avec seulement une voix qu’on aurait espérée plus mélodieuse. Peut-être qu’un casting de voix pour le play-back aurait évité d’avoir à trouver un compromis entre jeu et chant.


Incontestable première place, plusieurs têtes (avec ou sans masque) devant ses concurrents : le fantôme. Le rôle du fantôme est difficile mais riche. C’est un être méprisé, émouvant, inquiétant, qui inspire la peur et la pitié. En théorie. Et là, j’avoue ne pas comprendre. Ils auraient imposé une star qui n’aurait pas collé pour le rôle, on aurait maudit le système, et puis voilà. Mais là, ils prennent un parfait inconnu, et arrive à trouver quelqu’un qui à la fois est fade et sans charisme, ne sait pas jouer, et ne sait pas chanter. Il n’est pas aidé par les accessoires, notamment son masque, banal et qui ne semble pas masquer de difformité (y a rien qui en dépasse). J’imagine les discussions au maquillage : " Bon, alors, on fait comment le visage défiguré, c’est aujourd’hui qu’on tourne ! – Hein ? aujourd’hui ? on peut pas tourner une scène avec le masque ? – Mais faudrait que le masque cache mal sa peau abîmée ! – Ah ben oui, mais on n’est pas prêt, on se rattrapera quand il enlèvera le masque, on défigurera bien plus que ce que le masque masquait, pour faire une moyenne. " On passe alors aux accessoiristes : " Eh, faut le masque maintenant ! – Mais on n’a même pas fini la conception, pourtant ça va être chouette. – Je ne veux pas le savoir, il me faut le masque d’ici une heure. – OK. Pierrot, va acheter un masque blanc à peindre à Loisirs et création, on le laisse blanc, on le coupe en deux, et le tour est joué. "
Sérieux, il fait pitié leur masque (et en plus, il est du mauvais côté sur l’affiche). On dirait vraiment le masque de la répétition. Et on dirait aussi l’acteur de la répétition. Ou un visiteur sur le plateau qui jouerait à jouer dans le film. On a envie de lui dire : " Eh, Gérard (en plus il s’appelle vraiment Gérard), arrête de déconner et laisse la place à l’acteur ! ". Voilà. Il n’a pas un sou de magnétisme, pas de noirceur profonde ou même superficielle, sourit bêtement au mauvais moment, chante de temps en temps comme Johnny ou comme un crooner, sans se soucier de l’émotion à faire passer dans la chanson. Des fois, on dirait qu’il découvre les paroles au fur et à mesure. Et en plus il a des grandes oreilles. Le film n’est pas exempt de défauts, mais on aurait sans doute pu passer outre si on avait eu un grand acteur et chanteur pour le fantôme. Au lieu d’un grand personnage tragique, on a un débutant maladroit qui donne plus à rire qu’à frissonner. Tant qu’à faire, on aurait dû mettre Achille Zavatta ou Garcimore, ça aurait été vraiment drôle.
Revenons à quelque chose de plus positif avec la musique, dont l’orchestration est réussie et assez fidèle à celle du CD (à part la chanson-titre Phantom of the Opera, qui abuse de la boîte à rythme bas de gamme que le neveu de Schumacher a dû avoir pour Noël ; c’est pas très grave, mais c’est la seule chanson qui y a droit et c’est ma préférée, alors je sanctionne). Le chant est de bon niveau, et on retrouve les chansons de la comédie musicale en bon état (juste un poil moins bien que la version du CD). Mais au final, c’est bien une belle musique et de belles images qui restent, l’histoire est partie rigoler en coulisses après avoir vu le fantôme. Perso, je vais me faire mon film dans la tête en écoutant le CD, et je vous conseille de faire de même.

A voir : si vous voulez découvrir la comédie musicale d’Andrew Lloyd Webber sans lire le livret du CD, ou pour les images à mettre sur la musique
Le score presque objectif : 5/10, mais 9/10 pour le CD. Calculez vous-même ce qu’apporte le film.
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -2, le CD c’est mieux

Sébastien Keromen

PS : le CD dont je vous bassine n’est pas très facile à trouver, il me semble qu’il n’est disponible qu’en import. Et en plus, il ne faut pas se tromper avec les multiples bandes originales des multiples films qui s’appellent comme ça. Mais ça vaut le coup.