En 1814, Mary Wollstonecraft Godwin entame une relation passionnée et scandaleuse avec le poète Percy Shelley et s’enfuit avec lui. Elle a 16 ans. Condamné par les bienpensants, leur amour tumultueux se nourrit de leurs idées progressistes. En 1816, le couple est invité à passer l’été à Genève, au bord du lac Léman, dans la demeure de Lord Byron. Lors d’une nuit d’orage, à la faveur d’un pari, Mary a l’idée du personnage de Frankenstein. Dans une société qui ne laissait aucune place aux femmes de lettres, Mary Shelley, 18 ans à peine, allait révolutionner la littérature et marquer la culture populaire à tout jamais.
En 1986, le réalisateur Ken Russell (Tommy) nous avait laissé sur un gros mal de tête avec son film « Gothic » qui voulait nous entrainer dans la nuit qui avait donné naissance à l’œuvre intemporelle de Mary Shelley : « Frankenstein ou le Prométhée Moderne ». Le film de Russell nous laissait croire que l’influence artistique de Byron, Polidori et de son mari Percy Shelley avait eu une importance décisive dans l’inspiration de son œuvre capitale, durant cette nuit d’orage. A grand renfort de comédiens qui ouvraient grands les yeux et récitaient comme des chantres de la poésie prévictorienne. Une œuvre qui avait surtout les spectateurs non-initiés au théâtre nombriliste et pompeux, sur le carreau.
La réalisatrice Aifaa Al Mansour (Wajda) a décidé de s’intéresser à l’écrivain sous un autre angle et certainement celui le plus sincère et le plus juste envers Mary Shelley, femme amoureuse, mais trahis de nombreuses fois qui doit surtout se battre pour que son nom de femme apparaisse à la tête d’une œuvre majeure de la littérature. Car, cela est beaucoup trop effacé dans nos mémoires, mais, alors que la Grande Bretagne est gouvernée par Georges III et en attendant que la Reine Victoria ne monte sur le trône, les femmes ont une place de seconde voir même de troisième zone, et il est impensable, à cette époque, qu’une femme signe une œuvre ou soit à la tête d’une entreprise. C’est ainsi que Mary Willstonecraft Godwin évolue dans un monde où les hommes dictent leurs lois et où les idées progressistes se révèlent alors bien souvent les pires.
Et il fallait toute la subtilité d’une femme pour pouvoir mettre en avant l’histoire hors du commun de cette femme, féministe involontaire avant l’heure, qui va révolutionner la littérature anglo-saxonne et puiser dans ses propres traumas pour en sortir une œuvre à la fois effrayante et bouleversante. Une œuvre qui s’est nourris de ses convictions, de son intérêt pour la science et toutes ces expériences interdites. La réalisatrice signe là un un récit puissant et plein de sens lorsque l’on sait qu’Aifaa Al Mansour est la première femme réalisatrice d’Arabie Saoudite (Un pays assez proche dans son fonctionnement de cette Angleterre de la fin du XVIIème début XVIIIème). Elle trouver dans l’histoire de « Mary Shelley » toute cette matière pour parler de la place de la femme dans une société qui recule de plus en plus vers ses pires travers. Avec une mise en scène simple et pourtant tout en inspiration, la réalisatrice reconstitue une société prévictorienne avec beaucoup de précision et laisse ainsi le talent de ses comédiens se révéler dans toutes leurs nuances pour mieux appuyer ce machisme dont sont victimes les femmes de l’époque.
Côté distribution, Elle Fanning (Maléfique) interprète une Mary Shelley toute en douceur, en innocence et pourtant toute en puissance. Toujours dans la nuance et dans la subtilité, la comédienne se laisse envahir par le personnage et parvient avec brio à nous séduire par cette candide force qui se dégage de son personnage. Face à elle,
Douglas Booth (Noé) campe un Percy Shelley tout en désinvolture, en subtilité également, notamment lorsque son personnage doit convaincre Mary, du bien fondé de ses idées progressistes, de la valeur de son amour ou encore de toutes les promesses qu’il lui a tenu depuis leur rencontre. Le comédien révèle un véritable talent dans la séduction.
En conclusion, « Mary Shelley » est un film sensible et de façon surprenante d’actualité. A l’heure où les femmes ont décidé de ne plus se laisser faire par des hommes toujours plus outranciers ou mal venus, l’histoire de cette femme involontairement féministe mais tellement talentueuse dans l’art de faire accepter ses idées est absolument redoutable d’efficacité.