Le portrait de Dorian Gray

L’histoire

Londres 1886 : le peintre Basil Hallward vient de terminer le portrait du jeune aristocrate Dorian Gray. Influencé par l'épicurisme cynique de Lord Henry Wotton, le jeune Dorian assure qu'il donnerait tout, y compris son âme, afin que le portrait vieillisse à sa place. Dorian prononce ces paroles en présence d'une statue égyptienne d'un Dieu mystérieux qui avait, dit-on, le pouvoir d'exaucer de tels vœux…
La critique

« Le portrait de Dorian Gray », seul roman d’Oscar Wilde, écrit en 1890, a connu de nombreuses adaptations au cinéma. On peut en trouver des dizaines à l’époque du cinéma muet, et pas seulement dans les pays anglo-saxons. La MGM a produit le sien en 1961 dans une version revisitée à la mode horrifique. La télévision s’en est, elle aussi, beaucoup inspiré pour ses téléfilms. Il existe même une version porno gay, datant de 2003, et simplement titré The porno picture of Dorain Gray ! Mais, c’est bien l’adaptation d’Albert Lewin qui reste la plus connue et la plus réussie. Tous ces films prouvent combien cette histoire de pacte faustien revêt un caractère universelle, défiant le poids des années et toute logique cinématographique (tous les genres ou presque y sont passés). Tout cela est bien à l’image du jeune Dorian Gray, personnage à la vie de débauche, insensible à la vieillesse. Le fantasme de la jeunesse éternelle ne date pas que d’aujourd’hui.

Le film d’Albert Lewin est en tout point formidable. Le casting compte la star Georges Sanders, interprétant ici un dandy cynique, qui va mener Dorian Gray à sa perdition. On trouve encore Angela Lansburry, nommé à l’époque pour l’oscar du meilleur second rôle, et plus connu aujourd’hui du grand public pour avoir été l’héroïne de la série télé Arabesque. Enfin, l’acteur Hurd Hatfield, choisi pour incarner Dorian Gray, bénéficie quant à lui d’un physique avenant, tout à fait en accord avec son personnage de jeune éphèbe. Avec son visage à la fois doux et glacé, il vampirise l’écran à chacune de ses apparitions. Toujours impassible, il semble porté un masque étrange, à tel point qu’il en serait presque inquiétant. C’est sous ce masque que se cache son âme véritable. Elle s’incarne ici dans un portrait portant les marques de sa vieillesse et les stigmates de ses mauvaises actions.

La réalisation est classieuse et distinguée. Albert Lewin suggère beaucoup, en distillant au compte goutte ses images d’effroi. Très vite, lorsque le spectateur aura vent du maléfice entourant le portrait, le film mettra dès lors en place un suspens quasi-insoutenable, jusqu’à l’apothéose d’un spectacle terrifiant, où ce portrait devenu tellement hideux qu’il est devenu méconnaissable.

Le film date de 1945, comme beaucoup de films de l’époque, c’est le noir et blanc qui prime. Pourtant, on trouve un peu de couleur dans ce film, en l’occurrence des inserts vertigineux en technicolor, utilisés lors de la découverte du terrible portrait. Ces inserts sont très bien exploités, ils contrastent fortement avec le reste du film (clair-obscur) par ses couleurs agressives et artificielles. Mais surtout, le choc visuel est tel qu’ils marqueront à coup sûr durablement le spectateur.

Le portrait de Dorian Gray est un pur chef d’œuvre du cinéma fantastique, visuellement superbe et raffiné (Oscar de la meilleure photographie en 1945), thématiquement dense et profond (pour son héros tragique pouvant rappeler autant le mythe faustien que celui de Narcisse). Bref, toute dvdthèque qui se respecte en matière de cinéma fantastique se doit d’y inclure ce film, si cela n’a pas déjà été fait. A ranger non loin des films de Jacques Tourneur par exemple.

Même si on ne peut pas s’empêcher de penser que Le portrait de Dorian Gray aurait mérité une édition collector remasterisé tiré du négatif original, ce que la Warner a parfaitement su faire pour King Kong. Mais bon, l’image proposé ici arrive encore à être satisfaisante. Présenté dans une belle copie au format 1.37 respecté et en N&B, cette édition permet de véritablement prendre la pleine  mesure de ce chef d’œuvre : bon contraste avec des noirs profonds et bonne gestion des couleurs dans les inserts en technicolor, bref une image honorable et satisfaisante.

Une seule piste est proposée ici, le doublage français reste inexplicablement absent.

RAS.