L'histoire :
La
Jamaïque, XVIIIème siècle. Le roi d'Angleterre, contre l'abandon total de la
piraterie, amnistie les boucaniers qui acceptent de déposer les armes. Le
capitaine Morgan, grand pirate devant l'éternel, conclu le marché, et , devenu
respectable, se voit confié la charge de gouverneur. De ses deux fidèles
lieutenants, seul James Harring (Tyrone Power) décide de le suivre sur la voie
de la rédemption. Leech, lui, considérant le revirement de son ancien supérieur
comme une trahison, en profite pour devenir le sabordeur le plus redouté des
Caraibes. Haring est chargé par Morgan de traquer Leech et son navire, le
"Cygne Noir".
Critique artistique :
Au temps des grands studios, la bataille
faisait rage: d'un côté la Warner avec Errol Flynn, de l'autre la Fox et Tyrone
Power. Voulant apporter une alternative aux films de pirate des célèbres
frères, la Fox décide elle aussi de produire son film de pirate, avec sa star
et son réalisateur maison. Tout comme les films avec Flynn, tel Capitaine Blood
(1935), Le Cygne Noir est basé sur une nouvelle de Rafael Sabatini. Et comme
son prédécesseur, il contient son quota de romance, aventure et boucanerie.
Ah! Le joies de la piraterie, du grand air et
du dépaysement. Le film, sur une intrigue simple, voir simpliste, nous refait
vivre la grandeur des productions de l'âge d'or... Rien n'est oublié: le héros
est beau, un brin provocateur; la douce est belle, farouche et passive; le
méchant est très très méchant et son accolyte (Anthony Quinn, excellent) est un
sadique, borgne comme il se doit. Dès
l'ouverture, le ton est donné. Deux maquettes de bateau, une découverte (
technique consistant à projeter sur un fond en toile un décor filmé), des
canons, de la fumée, et c'est parti. Bientôt, Tyrone Power, habitué aux rôles
de héros à part obscure, apparaitra, moitié soûl, déplorant son vieil ami
Morgan, qu'il croit pendu. Il se fait capturer, tombe amoureux de la fille de l'ancien
gouverneur, l'enlève avant de partir poursuivre Leech. Mais sous ses apparences
de simple divertissement , Le Cygne Noir est aussi un brillant exemple de
l'inventivité des scénariste et des metteurs en scène de l'époque: du meilleur
ami de Harring comme porte parole du scénariste et commentaire intra film, à la
violation du code Hayes et de sa stupidité. Pour exemple, la scène où Power se
réfugie dans le lit avec Maureen O'Hara , entendant Leech venir dans la coursive. Cet acte osé au temps du
puritanisme américain aurait pu choquer les tête bien pensantes, mais
habilement, le scénariste fait intervenir Leech qui regarde sous les draps , et
l'on voit que nos deux héros sont encore habillés... Là où la perversité se
veut à double sens, c'est que l'on fait de Leech un fieffé coquin, car s'il
regardait sous les draps ce n'était point pour vérifier mais bien pour soulager
ses pulsions sexuelles...
Que ceux qui sont allergiques au jeu
d'acteur "premier degré" passent leur chemin, ici la subtilité n'est
pas de mise, et l'improvisation n'existe pas. Si les acteurs se débrouillent
très bien dans leurs rôles, on ne peut s'empêcher de sourire face à leurs
mimiques et aux dialogues attendus. Et c'est là où le simple amateur doit
laisser place au cinéphile ; non, Le Cygne Noir n'est pas cliché, il fut à
l'origine des clichés... Si les manières d'un Anthony Quinn jeunot peuvent
agacer, il faut bien ancrer dans les esprit que le cinéma américain a toujours,
même aujourd'hui, fonctionné par la caractérisation directe et sans forme
implicite de ses personnages et récits. Il faut donc accepter cela pour en
apprécier toute la saveur, d'autant plus que le papier du bonbon se veut
agréable à l'oeil: les décors projetés en découverte (voir plus haut) ont été
tournés effectivement dans les Caraïbes, les costumes sont soignés, et les
maquettes sont magnifiques de détails... Sans oublier une photographie
magnifique, oeuvre de Leon Nimroy, dont il fut récompensé en 1942 par un oscar.
L'intelligence du scénariste, qui place ici dans le rôle de Tom Blue son acteur
fétiche, se fait sentir justement à travers se personnage, qui nous commente
l'action et ses faiblesses , nous mettant le doigt sur ce quoi selon lui est
bien trop "énorme". Malheureusement, ce démontage des poncifs ne suffit
pas à faire oublier que bien trop de questions restent en suspens endéans la
résolution de l'intrigue: le méchant anglais sera -t-il puni? Morgan sera -t-
il destitué? Etc...
Evidemment comparé à la trilogie de Jack
Sparrow, le film parait bien léger, mais loin du divertissement de foire
"disneyesque" et de sa surenchère d'effet spéciaux, Le Cygne Noir
trouve sa place dans le coeur des nostalgique du cinéclub. Mais il permet aussi
d'avoir un aperçu de l'évolution du genre au
cours du temps, de sa mort à la fin des années 50 à sa résurrection au
cours des années 90, avec Pirate! de Polansky, moribond mais dans la veine, ou
bien le renouveau du genre à travers l'amalgame au fantastique de la trilogie
Pirates Des Caraïbes. Toute cette évolution est d'ailleurs illustrée à travers
un photomontage de la piraterie cinéphilique, de Flynn à Walther Mathau. Quant
à l'interview de Bertrand Tavernier, qui pour les profanes, n'est pas seulement
un grand réalisateur français, mais aussi un éminent spécialiste du cinéma
hollywoodien, elle est passionnante et enrichissante. Entre anecdotes sur les
différent protagonistes du tournage et leçon d'histoire de l'art, elle saura
comblé les afficionados d'Hollywood
Stories comme les férus de Bouillon De Culture. Seul regret, on aurait
aimé que ce grand monsieur nous fasse le plaisir d'un commentaire audio pour le
film.
Verdict:
Un film essentiel de l'histoire du cinéma
d'aventure américain. A voir, et à revoir, pour ceux qui veulent savoir ce qui
amena à Pirates des Caraïbes, comme pour ceux qui recherche un agréable voyage
dans la nostalgie de l'Âge d'Or. Hissez la grand' voile, cap sur l'horizon:
"Trois squelettes sur un coffre, et hop! Une bouteille de rhum"
Deux pistes , toutes deux en stéréo, mais le film datant de 1942, je ne m'attendais pas à du 5.1 guerre des étoiles... Le rendu des voix est correcte, les musiques sont légèrement en retrait, tout comme les effets (ce qui est tant mieux: j'exècre ces films où les explosions retentissent, les pneus crissent mais le dialogue de l'acteur "où qu'il est?") . Pour les fans de VF, un boulot médiocre encore une fois sur la traduction, et les accents se perdent au passage (comparez Tom Blue en VO et en VF... C'est déplorable.).
Une magnifique entrée en matière de Bertrand Tavernier et un gentil photo montage sur le thème du film de pirate, des menus animés jolis (mais pas transcendants) sur fonds de carte des caraïbes, des couleurs agréables à l'oeil ... Ma foi c'est pas si mal!