Le mélange des genres artistiques a toujours présidé à la naissance d'intéressants hybrides : En son temps Goldoni choisissait, avec sa pièce
" L’imprésario de Smyrne ", de montrer la mise en scène d’un spectacle et les luttes intestines de ses interprètes sur le ton de la comédie. L’avènement du septième art a autorisé de nouvelles variations : le théâtre filmé (
" Vanya 42ème rue ") et le cinéma (
" Ca tourne à Manhattan "). Depuis sa création (l'art rupestre ?), la bande dessinée, tout en devenant un art à part entière, ne s'est pas privée d'emprunter à d'autres genres leurs artifices : mécanismes théâtraux (mise en scène, unité de lieu et de temps) ou filmiques (travelling...). Il était inévitable qu'elle inspire à son tour le cinéma.
Les adaptations de bande dessinée, sans être légion, sont bien présentes : on songe bien sur immédiatement aux comics (et au très intéressant "
X Men 2 " et son discours sur la tolérance) mais c’est oublier que la bande dessinée ne se limite pas à ce genre en Europe. On en prendra pour preuve la récente adaptation en jeu vidéo de la célébrissime (en nos vertes contrées européennes seulement) série
" XIII " ainsi qu’en série TV de
" Largo Winch ". N'oublions pas également l'adaptation (certes peu mémorable) de
"Lucky Luke" avec Terence Hill et celle à venir de "
Blueberry".
Le melting pot artistique devait tôt ou tard donner naissance à un nouveau genre : la bande dessinée interactive, le DVD en étant le support idéal.
Pour cette première, c’est une histoire de maison hantée qui a été choisie : le manoir Harrington House a depuis longtemps sinistre réputation et les habitants du village de Greenwood s’en tiennent à l’écart. Ted Hunter, jeune héritier de la bâtisse maudite, décide d’en avoir le coeur net et y convie des connaissances afin, dans le temps d’un week-end, d’en percer les mystères.
La courte introduction, avant l’arrivée à Harrington House, nous présente les 5 personnages principaux :
- Le Professeur James Mac Govern
, spécialiste en paranormal
- Rosemary Clooney
, la médium
- Connie Van Deberg
, la star
- Ted Hunter
, le propriétaire
- Jeremy Face
, l’intrus
Comment se présente cette histoire ?
A l’issue de cette présentation, un menu fixe propose au spectateur de choisir son personnage pour la suite de l’histoire . En fait d’interactivité, il s’agit du seul choix qui sera proposé. Ensuite l’histoire, unique il faut le préciser, se déroule selon le point de vue du protagoniste sélectionné. La conception des graphismes et des personnages doit beaucoup aux écoles belge et française (on pensera notamment au
" Triangle secret "), un style classique, sans audace graphique mais qui a le mérite de séduire toutes les tranches d’âge.
La principale (et véritable) difficulté réside dans la mise en scène : comment filmer des images fixes sans tomber dans l’écueil d’un dessin-animé qui ne dit pas son nom ? Force est de reconnaître que Seven 7 propose une alternative élégante et réussie. Les images fixes sont recadrées de différentes façon pour exprimer les émotions des personnages. Le résultat est étonnant de crédibilité : on se surprend à essayer de disséquer les artifices utilisés : travelling, gros plan...
Le scénariste choisi, Rodolphe, n’est pas un inconnu en BD notamment grâce à sa remarquable série
" Dock 21 ". Pour
" Le Manoir ", les histoires de maison hantée encombrant le cinéma et la littérature, les sources d’inspiration pullulaient donc à foison. Rodolphe et Seven 7 ont choisi de rendre un hommage appuyé (un peu trop ?) au film de Robert Wise "
La Maison du Diable " (lui même inspiré d’un livre de Shirley Jackson, auteur dont on recommandera chaudement la lecture et notamment son horrifique " Nous avons toujours habité le château "). Le personnage de Rosemary est ainsi quasiment un décalque du personnage de Eleanore Lance, quelques névroses en moins. La trame même de l’histoire est très similaire, qu’il s’agisse des différents personnages ou des manifestations des esprits. C’est un clin d’oeil élégant mais dangereux puisqu’il incite à effectuer la comparaison avec l’original, et de fait le film de Wise gagne haut la main sur tous les plans.
Le "Manoir" recèle quelques incohérences dont l’une des plus flagrantes réside dans les pièces du manoir. Celui-ci vu de l’extérieur présente des fenêtres très hautes et ouvragées et leur disposition ainsi que la taille générale du manoir (même en tenant compte du hall) laisse supposer des pièces de dimensions respectables. Or celles-ci de l’intérieur sont plutôt étriquées (quelquefois les personnages semblent à peine avoir la place de s’asseoir) et les fenêtres sont beaucoup plus basses et de facture moderne. S’agit-il d’un oubli ou de la fusion de deux bandes dessinées ?
D'autre part, et il s'agit du véritable écueil, passée la première vision, rares sont ceux qui s’offriront une deuxième puisque la plupart des secrets de l’histoire sont révélés. Ceux qui auront cette curiosité découvriront des problèmes de découpage de l’histoire entre les différents personnages : les liens entre l'histoire de chaque personnage et le tronc commun de l'histoire sont quasiment inexistants. L’ensemble donne plutôt l’impression d’avoir été conçu comme une unique bande dessinée puis découpé en trames pour chaque personnage. Ainsi de nombreuses scènes sont semblables d’une histoire à l’autre, seules quelques interventions en voix off ( bien interprétées il faut le reconnaître) faisant la différence.
Si cela n’enlève rien au mérite de cette réalisation, cela en limite indéniablement la portée. De fait la note de 3 attribuée à ce DVD récompense une première et une réalisation technique intéressante. "
Le Manoir " restera une curiosité pionnière en attendant que la bande dessinée filmée ne trouve son maître.