« En revoyant nos films super huit pris entre 1972 et 1981, il m’est apparu que ceux-ci constituaient non seulement une archive familiale mais aussi un témoignage sur les goûts, les loisirs, le style de vie et les aspirations d’une classe sociale, au cours de la décennie qui suit 1968. Ces images muettes, j’ai eu envie de les intégrer dans un récit au croisement de l’histoire, du social et aussi de l’intime, en utilisant mon journal personnel de ces années-là. » - Annie Ernaux
Prix Nobel de littérature en 2022, Annie Ernaux a toujours considéré la mémoire comme une constance et comme un devoir. Tout dans son œuvre respire ce besoin d’y inscrire ses souvenirs et porter un regard ce qui nous a construit ou nous a défait. Et l’arrivée sur les écrans de « Les Années Super 8 » s’inscrit totalement dans cet objectif de mémoire et de réflexion sur une société des années 70 et 80 qui change de visage et de pensées. Le témoin privilégié de ces changements, de cette inconscience parfois, ou tout simplement d’un refus de regarder en face une vérité qui peut déranger, c’est cette caméra Super 8 (Format de l’image » et de ses bobines que l’on se projetait dans les soirées d’anniversaires ou lors des repas de famille.
A l’aide de ces bobines, Annie Ernaux nous plonge dans ses souvenirs, celle d’une France ou les classes se côtoient, où les changements politiques rythment la vie et ses mutations. Mais la réalisatrice va plus loin, elle nous plonge dans ses mémoires (Toujours cette constante), dans l’intimité d’une cellule familiale qui petit à petit commence à se distendre pour arriver à un point de rupture qui semble inévitable et où le couple qui formait la base solide de la famille finit par se séparer et s’ouvrir à une nouvelle vie, plus distante.
Utilisant une voix off, presque monocorde, la réalisatrice associe ses souvenirs marqués sur une pellicule usée par le temps, à ces changements politiques, mais également à un regard parfois sans concession sur la vie, les sociétés et même les voyages sont sujets à réflexion, comme celui au cœur du groupe soviétique ou celui au Maghreb où l’auteure s’interroge sur cette confrontation passive et acceptée de deux sociétés radicalement différente et de deux mondes qui s’ignorent, l’un profitant des plages et des plaisirs touristiques, et l’autre se laissant asservir pour pouvoir survivre ou simplement masquer les dégâts d’un régime oppressant qui n’a jamais tenu ses promesses.
De courte durée (Tout juste une heure !), le film d’Annie Ernaux : « Les Années Super 8 » est une continuité visuelle de l’œuvre littéraire de l’artiste. Elle parvient à faire surgir d’images privées de vacances ou de réunion de famille, une réflexion subtile et pertinente su une société qui va connaître des changements majeurs mais également des désillusions marquantes.