Rome dans les années 1970. Dans la vague des changements sociaux et culturels, Clara et Felice Borghetti ne s’aiment plus mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas. Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial…
Ce projet fut comme une Arlésienne pour le réalisateur Emanuele Crialese, qui pensait chaque fois en faire son prochain film, mais qu’un autre projet venait systématiquement repousser. Mais au bout de plusieurs années et peut-être à force de persévérance, de doutes et surtout d’un besoin de puiser dans des souvenirs, parfois heureux et parfois douloureux d’une structure familiale qui se disloque petit à petit. Au-delà de cette peinture entre douceur et violence de cette famille dont les piliers commencent à se fissurer, le réalisateur a également voulu aborder le difficile sujet du « Genre » à travers cette jeune fille, au cœur des années 70, qui ne se reconnaît pas dans le corps que la nature lui a attribué.
Sur un scénario qu’il a lui-même écrit en se faisant aider par Francesca Manieri (We Are Who We Are) et Vittorio Moroni (Terreferma), le réalisateur va nous plonger avec une intelligence évidente dans une Rome des années 70, assez éloignée des cartes postales, avec ses rues sales, ses bâtiments en construction et cette cellule familiale qui doit toujours répondre à la loi patriarcale. Et tout en s’intéressant à cette fille qui doit découvrir son corps, l’apprivoiser ou le rejeter, elle découvre également les affres de l’amour, mais en voit également les conséquences perverses à travers ses parents dont le couple est en train d’exploser, par l’infidélité du mari et la tristesse de la femme bien consciente de voir son désire s’éteindre à mesure qu’elle se livre corps et âmes à ses enfants pour qu’il cultivent ensemble cette folie qui les rendra si exceptionnels dans cette vie qui ne leur fera pas de cadeau.
Et pour sa mis en scène, Emanuele Crialese va se focaliser sur les deux personnages autour de qui va tourer l’intrigue et le discours de « L’Immensita ». Tournant autour de ces deux personnages souffrant d’un mal qu’elles ne peuvent expliquer réellement, mais qu’elles identifient parfaitement, le réalisateur va beaucoup faire tournoyer la caméra autour d’eux comme pour mieux illustrer cette folie dont la mère tient absolument à ce que les enfants ne se libèrent jamais. Crialese ne va l’arrêter que pour donner un sens aux mots et aux maux. Précis et touchant, il va utiliser également cette Romme en pleine mutation comme personnage à part entière de son récit, pour mieux montrer ce que Clara et Adri vient intérieurement et comme une métaphore de l’une et de l’autre. Une ville qui se détruit et une autre qui se construit. Une ville entre modernité et archaïsme. Tout est dit !
Et puis quasiment à chaque film, le réalisateur offre des rôles féminins d’exception à ses actrices et c’est peu dire que celui de Clara est un écrin de toute beauté pour le talent de Pénélope Cruz (Madres Paralelas). L’actrice est puissante, rayonnante et surtout touchante dans le rôle de cette femme entre folie innocente, tristesse profonde et amour passionnel. Et elle communique sa précision à la jeune Luana Giuliani, qui signe là son premier rôle, et qui, malgré quelques imperfections dues à la jeunesse, porte une bonne partie du film sur ses épaules.
« L’immensita » d’Emanuel Criales est un film touchant qui offre l’un de ses plus beaux rôles à Penelope Cruz et abord avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence, la dislocation et ses incidences et la découverte du genre à l’adolescence.