Chili, 1976. Trois ans après le coup d’état de Pinochet, Carmen part superviser la rénovation de la maison familiale en bord de mer. Son mari, ses enfants et petits-enfants vont et viennent pendant les vacances d’hiver. Lorsque le prêtre lui demande de s’occuper d’un jeune qu’il héberge en secret, Carmen se retrouve en terre inconnue, loin de la vie bourgeoise et tranquille à laquelle elle est habituée.
Se plonger dans l’enfer de la dictature Pinochet, finalement peu de films, arrivent jusque nous pour nous l’exposer. Alors, lorsque cela arrive, nous tendons une oreille et ouvrons grands les yeux pour découvrir une horreur que l’on n’arrive jamais à imaginer, même si l’on sait que les dictateurs ne sont jamais en manque d’imagination pour asservir leurs populations. Et notamment parce que les horreurs qui furent perpétré durant sa dictature ne furent jamais totalement toutes dévoilées, il reste encore beaucoup de questions de ce que sont devenues les victimes du régime, mais aussi parce que Pinochet fut arrêté en Angleterre mais libéré pour raison de santé et ne fut jamais jugé pour ces crimes Un personnage, un dictateur hors du commun puisqu’au sein même du pays il garde ses partisans et ses détracteurs.
Et c’est tout le sujet de « Chili 1976 » ! Pinochet est au pouvoir depuis 3 années déjà et des opposants, des dissidents sont arrêtés arbitrairement dans la rue. C’est le point de départ du film de Manuela Martelli. Carmen son héroïne est dans un atelier a choisir une couleur, dehors on entend des cris, une femme hurle son nom, puis le silence, les regards surpris, mais étonnamment pas choqués, parce que, comme le dit l’un d’entre eux : « Ca arrive tout le temps ces dernières semaines ». La réalisatrice qui a signé le scénario avec Alejandra Moffat (La Casa Lobo), nous plonge tout de suite dans les paradoxes de ce qui va se dérouler devant nous. Carmen est une femme issue de la bourgeoisie, celle choyée par le régime, qui trouve son compte dans les décisions du dictateur et préfère fermer les yeux sur ce qui se passe dans la rue, et chez les étudiants, trop occupée qu’elle est à profiter des joies que lui apporte son statut. Mais voilà, le scénario va aller plus loin en confrontant son héroïne, à ces deux mondes qui se voisinent mais ne se parlent pas réellement, à traves ce jeune homme dont elle va devoir s’occuper.
La réalisatrice, va alors alterner entre les deux parties de cette société chilienne, ne jamais totalement montrer l’horreur, préférer la suggestion ou la tenir éloignée comme le corps de la victime que l’on retrouve sur un rivage. Manuela Martelli, ne veut pas faire de son film une sorte d’œuvre voyeuriste, elle préfère laisser le spectateur découvrir par la suggestion et surtout se faire son idée par les dialogues ciselés et presque minimalistes lorsqu’il s’agit des opprimés pour être plus fournis lorsqu’il s’agit du cercle familial de Carmen. Mais ce sont les silences qui marquent dans la mise en scène de la réalisatrice, car ils sont plus profond, plus tranchant que toutes formes de mots, particulièrement dans la conclusion du film.
Tout en douceur, la réalisatrice nous expose un régime qui surveille, espionne et profite des faiblesses des uns, de la délation des autres pour asseoir son autorité et sa paranoïa et ainsi réduire au silence tout éventuelle source de révolte. Jamais dans l’excès, Manuela Martelli nous prend à témoin et expose, prend parti et nous montre un système tellement commun aux dictatures que certaines scènes nous paraissent évidentes, comme celle où un fonctionnaire, ami de la famille, menace Carmen sans jamais pour autant le laisser paraître.
« Chili 1976 » est un film nécessaire et intelligemment écrit et réalisé sur cette période trouble du Chili, dont les plaies ne seront jamais totalement soignées. La réalisatrice Manuela Martelli, signe, ici, une œuvre jamais violente visuellement mais en tension permanente où la subjectivité est plus forte que n’importe quelle image et où les silences sont plus forts que les mots.