L'histoire :
Quatre enfants vivent paisiblement avec leur mère dans un petit appartement à Tokyo. Ils sont tous de pères différents et ne sont jamais allés à l'école. Le propriétaire ignore même l'existence de trois d'entre eux. Un jour, leur mère disparaît en laissant un peu d'argent et un mot à l'attention de l'aîné pour qu'il s'occupe de ses frères et sœurs.
Critique subjective :
Après avoir réalisé de nombreux documentaires dont, But... (1991) et Another Education ou Without memory (1994) pour lequel il a reçu le prix du meilleur documentaire au Japon (à propos d'un homme ayant perdu la mémoire après une erreur médicale),
Kore-Eda Hirokazu a réalisé quatre films dont Maborosi (1995), Après la vie (1998) et Distance (2001). Nobody Knows est son quatrième et dernier film qui s’inspire de faits réels mais les détails de l’histoire et les personnages dépeints sont fictifs.
Pour ce quatrième film, le réalisateur à dirigé un casting constitué de nombreux enfants puisqu’en plus des quatre enfants de la petite famille, d’autres enfants font parti de l’histoire comme l’amie de Akira. Parmi ceux-ci le jeune acteur Yuya YAGIRA, âgé de 14 ans et qui interprète Akira s’est distingué puisqu’il a reçu le Prix d'interprétation masculine face à un jury dirigé par un
Quentin Tarantino qui n’a pas été insensible à la prestation du jeune garcon. On peut aussi cité l’attachante petite Yuki, interprétée par Momoko Shimizu qui a déclaré qu’elle doutait de la possibilité de finaliser un film bien construit avec tout ce qui avait été tourné. Mais ses doutes furent dissipés au visionnage du montage final.
Nobody Knows est un film politique par le sujet qu’il expose et la manière dont il prend le spectateur en otage de l’histoire des enfants que l’on suit sans feinte et sans extravagance, abandonnés à eux-mêmes par leur mère. Cette chronique sociale filmée de manière quasi-documentaire met le doigt là où ça fait mal en exposant un cas inspiré d'un fait divers réel, qui secoua le Japon il y a quinze ans. Comme Hirokazu Kore-Eda, ce qui étonne c'est que personne ne se soit vraiment rendu compte de la situation de ces enfants dans un pays moderne comme le Japon et une ville à la pointe comme Tokyo.
On découvre la descente aux enfers de ces quatre enfants dont la proximité nous les rend très familier et de fait plus l’histoire s’avance et s’aggrave plus on une forme de suspense apparaît. En effet, Nobody knows est construit de manière à laisser installer la situation de crise et assez bizarrement l’on vient à craindre à chaque étape, que la situation des enfants soit découverte. Paradoxalement on éprouve en même temps l’envie qu’ils ne soient pas découvert car la situation risquerait de se pourrir un peu plus si ils se retrouvaient à la rue par exemple et une autre envie impliquerait que leur situation soit découverte au plus vite pour mettre un terme à cet anomalie sociale.
Selon, le réalisateur, la démission parentale devient un problème quotidien au Japon et il a été naturellement conduit à participer à de nombreuse émissions sur le sujet à la suite de la sortie du film. C’est l’occasion de poser à plat la dimension inhumaine des sociétés modernes où la ville permet de vivre toutes les vies au détriment ce qui célèbre l’individualisme forcené de la modernité mais rend les êtres virtuellement plus fragiles et solitaires au milieu des foules. La mère isolée qui élève ses quatre enfants révèle aussi le drame de parents qui cherchent à vivre une vie sans la contrainte et la charge d’enfants dont les pères ne sont pas vraiment présents. Il y a double démission des parents et des enfants qui continuent à rêver en dépit des difficultés qu’il peut y avoir à être autonome avec un budget dérisoire.
Les enfants vivent une forme de confiscation de leur enfance et de leur vie sociale car leur mère ne veut pas les envoyer à l’école et les empêchent de se montrer à l’extérieur de l’appartement pour qu’ils ne soient pas repérés par les services sociaux ou pour ne pas être obligé de déménager. Toutes ces règles de vie particulièrement contraignantes pour des enfants conditionnent jusqu’au spectateur qui finit par craindre à son tour que les enfants ne soient effectivement découverts ou vu de l’extérieur.
Un temps pour vivre, un temps pour mourir de
Hou Hsiao Hsien est une oeuvre de référence pour le réalisateur qui pourtant explique qu’il n’a été directement influencé ni par ce film ni par les films de
François Truffaut ou de
Ken Loach qu’il aime bien.
Cependant on retrouve des ambiances et certains aspects de la mise en scène de Un temps pour vivre, un temps pour mourir où Hou Hsiao Hsien raconte son enfance de manière presque documentaire ce qui produit finalement plus de cinéma que n’importe qu’elle autre œuvre de fiction classique. Au départ, Hirokazu Kore-Eda voulait faire un film quasi-documentaire et il pense que s’il avait tourné le film il y a quinze ans, il aurait certainement été plus proche du fait divers.
Cependant, au fil des années il a voulu ajouter une dimension plus poétique à l’histoire en la recentrant sur le parcours initiatique d'un adolescent, ce qui lui donne peut-être une dimension plus universelle. Ce sont d’ailleurs des qualités que partage
Un temps pour vivre, un temps pour mourir de
Hou Hsiao Hsien et Nobody Knows que le réalisateur a renforcé en confiant le rôle de la mère à You, une vedette de la télévision au Japon et dont c'était la première expérience cinématographique. Il s’agissait de faire apparaître le personnage de la mère comme quelqu'un d'humain afin que les spectateurs puissent la comprendre. Il ne s’agit pas de faire le procès d’une mère indigne mais de monter ce qui arrive dans certaines conditions dans une société qui met une distance inhumaine entre les individus.
Verdict :
Nobody Knows est une chronique sociale à découvrir au plus vite pour ce qu’elle montre de la réalité des situations parmi les plus extrêmes au cœur d’une société moderne. Kore-Eda Hirokazu signe une œuvre à la facture quasi-documentaire qui s’inspire d’un fait réel avec tout ce qu’il faut de poésie pour en faire un témoignage universel et un film fondamentalement humaniste. Un autre exemple de ce que le cinéma peut produire en mêlant la fiction et l’approche documentaire, une tendance actuelle lourde et fructueuse.