L’histoire :
Le jeune Chi-Hao (Lo Lieh) est envoyé en ville par son maître pour s’entraîner sous la direction d’un maître d’arts martiaux réputé. Affecté dans un premier temps aux tâches domestiques, il acquiert progressivement les bases d’un style de combat qui pourrait faire de lui le vainqueur potentiel d’un tournoi très attendu. Mais un chef de clan sans scrupules, accompagné de son fils, met tout en œuvre pour supprimer ce rival et les autres membres de son école, allant même jusqu’à engager une bande de mercenaires japonais pour les provoquer régulièrement. Chi-Hao est victime d’une embuscade et se fait briser les deux mains. Infirme, il perd tout espoir de pouvoir pratiquer à nouveau les arts martiaux, jusqu’au jour où son maître consent à lui enseigner la redoutable technique de « la main de fer »…
La critique :
Bien que la catégorie « film culte » soit utilisée à tort et à travers et ne veuille plus dire grand-chose aujourd’hui,
il faut bien reconnaître que La main de fer s’impose comme l’archétype même du film culte. Après le succès retentissant de
Big Boss (1971), marquant l’avènement du petit dragon Bruce Lee en tant que star incontestable du cinéma martial ; les pontes de la Shaw Brothers se lancent à leur tour dans le film de kung fu - ou kung fu pian (voire « film de karaté » selon nos drôles de critères occidentaux comme le souligne Karim Bourouba dans le documentaire « Kung-fu Shaw International », à voir dans les bonus). A Hong-Kong,
La main de fer passera presque inaperçue tout juste après la déferlante Bruce Lee, tandis qu’en Occident,
toute une génération de spectateurs se découvrira alors une passion pour les films de castagnes made in Asie. Les prémices de l’engouement aujourd’hui, autour du cinéma de genre asiatique, se situe à cette date de 1972, l’année de la distribution mondiale de
La main de fer.
Lo Lieh connaîtra une gloire internationale avec ce film. L’acteur, qui n’a certes pas le talent martial ou le charisme de Bruce Lee, ni la grâce ambigue de
David Chiang, a au moins celui de composer ses personnages. Il se distinguera particulièrement dans des rôles de méchants au regard inquiétant. Parmi sa filmographie pléthorique, on peut citer
Human lanterns (1982),
Mad Monkey Kung Fu (1979) ou le western spaghetti parfumé au tofu
La brute le colt et le karaté (1975), avec Lee van Cleef quand même. L’acteur aura par ailleurs jouer le moine Pai Mei dans l’excellent
Les éxécuteurs de Shaolin (1976), personnage célébré depuis par
Quentin Tarantino dans
Kill Bill : vol.2.
Dans
La main de fer, Lo Lieh joue un gentil naïf pour une fois, un brin lisse il faut bien l’avouer, qui va se révéler redoutable par la suite. Le jeune Chi-Hao connaîtra l’affront de se voir priver l’usage de ses mains suite au supplice infligé par les membres de l’école concurrente, et ce en vue d’un tournoi d’arts martiaux. Pour se venger de cette humiliation, il s’entraîne comme un fou afin d’apprendre la technique dite de la main de fer… Est-ce la peine de vous dire la suite ?
Le scénario, dont on a vite fait de deviner l’issue, est des plus schématiques. Mais tout l’intérêt du film réside dans la réalisation du coréen Jeong Chang Hwa. Cet honnête faiseur avait auparavant signé dans son pays d’origine quelques films d’actions novateurs qui ont beaucoup plu à Run Run Shaw, président de l’illustre studio du même nom. Ce dernier s’empresse alors de signer le coréen dans son écurie, chose rare dans le système Shaw qu’on aurait pu croire plus fermé aux réalisateurs étrangers. Il réalise rapidement son premier film intitulé
La tentatrice aux 1000 visages (1969), sorte de polar pop tendance psychédélique inspiré par Fantômas, rappelant un peu ceux de
Seijun Suzuki.
Ce qui frappe d’emblée dans La main de fer, c’est la mise en scène des combats. En abandonnant l’approche réaliste des combats au profit d’une style plus fantaisiste, privilégiant les effets de montages chocs à la place des habituels plans séquences, Jeong Chang Hwa initie une nouvelle manière d’envisager le kung fu. En cela, il se démarque clairement du style de
Liu Chia Liang, dont le leitmotiv était de rendre les combats aussi réalistes que spectaculaires, comme dans
Les éxécuteurs de Shaolin (1976) ou
La 36ème Chambre de Shaolin (1978).
Comme dans beaucoup de productions de la Shaw, la violence est omniprésente. Ici, elle finit par devenir grossière, parfois même grand-guignolesque dans ses effets. Chaque coup porté a des conséquences démesurées, si bien qu’un adversaire qu’on envoie contre un mur finit dans un amas de briques, ce qui ne l’empêchera pas de repartir au combat dans la foulée ; ou encore lorsqu’un personnage se voit lancé en l’air comme ça, à la seule force du bras droit, et ce jusqu’au plafond, qu’il défoncera comme il se doit…
On est parfois proche de l’énergie des mangas où tout semble possible. L’agencement des plans, tout comme le jeu sur les lumières (les mains de Chi-Hao deviennent rouges lorsqu’il est pas content) évoquent encore ce style très bande dessinée. Tout ça nous éloigne des intrigues à tiroirs de
Chu Yuan ou des effusions de sang symboliques de
Chang Cheh, dont les ramifications sont à chercher du côté de la littérature wu xia traditionnelle.
Verdict :
La main de fer reste malgré tout un film agréable à suivre, car rondement mené par un réalisateur finalement assez audacieux. En revanche, il n’a rien d’un classique du genre. Il s’agit d’abord et avant tout d’un film culte, honorable sans être véritablement mémorable. Ce qui ne veut pas dire qu’il est dispensable de voir La main de fer. Au contraire, celui-ci reste un film important, que tout ceux qui aujourd’hui portent au pinacle le cinéma de genre made in Asia, se doivent au moins de connaître.
Celestial Pictures continue son grand travail de restauration du catalogue de la Shaw Brothers. Encore une fois, l’image proposée est presque sans faille. Même si La main de fer n’est pas le plus chatoyant des titres de la Shaw, les couleurs sont suffisamment éclatantes. Le point d’orgue du film qui voit Lo Lieh, paumes rougeoyantes de colère face caméra, offre une bonne valeur de contraste. On peut apercevoir un léger flou parfois, sur les arrière-plans notamment. Mais, globalement, la qualité de l’image reste tout à fait remarquable, et permettra de découvrir La main de fer dans les meilleures conditions possibles.
Les pistes proposées (mandarin et français) sont en mono, dans les deux langues la qualité est là, en dépit du fait que certains effets sonores aient une tendance à la saturation. La musique vengeresse, que Jeong Chang Hwa a piqué à Quincy Jones (et reprise à sont tour par l’inévitable Tarantino dans Kill Bill), semblent exagérément aigues par moments, chose qu’on retrouve parfois lorsqu’un personnage crie lors d’un combat. Il faut privilégier la piste chinoise, moins travaillée certes, mais qui semble avoir plus de pêche.