Soudan, près du barrage de Merowe. Maher travaille dans une briqueterie traditionnelle alimentée par les eaux du Nil. Chaque soir, il s’aventure en secret dans le désert, pour bâtir une mystérieuse construction faite de boue. Alors que les Soudanais se soulèvent pour réclamer leur liberté´, sa création semble prendre vie...
Il y a d’abord dans ce travail du réalisateur Ali Cherri (Chambre 999), une atmosphère qui se dégage entre poésie, lenteur et contemplation de l’être humain. Puis petit à petit s’installe l’idée d’une métaphore, par le prisme d’une incursion du fantastique. Maher fabrique de manière totalement artisanale des briques, un travail dans lequel l’homme plonge ses mains dans cette sorte de boue d’argile qui servira à faire les briques ensuite, et ce geste anodin se transforme soudainement en mécanique mystique pour accomplir sa mystérieuse construction en plein désert, faite de boue et de branchage. Une créature qui va prendre vie dans ses rêves ou dans ses fantasmagories.
Et puis il y a cette manière d’amener la violence dans cette histoire où les hommes sont très éloignés des remous de la politique et de la capitale soudanaise Khartoum. Mais par le biais des téléphones, des radios rafistolées, les hommes entende la violence qui s’insurge dans le pays, qui mit fin à la dictature d’Omar El Bechir et fit des espoirs de liberté au peuple. Une actualité qui s’est invité durant le tournage, suivit par la pandémie. Mais le réalisateur n’a rien perdu de son projet et l’œuvre n’en devient que plus forte. A la fois hypnotique et emprise de multiples lectures sous-jacente, le scénario qu’il a écrit avec Geoffroy Grison (Le Cours étrange des Choses) et l’aide du réalisateur au style bien appuyé : Bertrand Bonello (Saint Laurent), Ali Cherri provoque la métaphore dans chaque plan y compris dans le titre de ce film, dont le dit « Barrage » est celui de Merowe construit par les chinois dans le Nord du Soudan, puisqu’il symbolise à lui seul la violence, de par les expulsions et les destructions massives sur l’environnement qu’il provoqua. Il se révèle une représentation de la dictature d’Omar El Bechir qui dura près de 30 ans de 1989 à 2019.
Constituée d’une succession de plans dans lesquels s’opposent les plans serrés sur les personnages avec des plans larges où ces derniers se retrouvent noyés dans un espace, où ils apparaissent si petits dans un environnement si grand. Un choix de mise en scène payant tant le film apparaît plus captivant, lus touchant aussi et dans lequel le spectateur eut se sentir dans une nouvelle de l’auteur Malien Amadou Hampate Ba, grand défenseur la tradition Orale et dont les contes font toujours se rencontrer l’homme et la nature et où chacun doit comprendre qu’elle est sa destinée. Ici, par exemple, Maher est un homme de feu qui s’ignore, de par son caractère, de par sa vie, il doit apprendre à maitriser et comprendre l’eau qu’elle soit du Nil ou de la pluie, c’est elle qui doit l’aider a accomplir son destin et à comprendre qui il est et quelle est la raison de sa nature.
Pour incarner son personnage, Ali Cherri a fait appel à Maher El Khair, un de ces hommes qui travaille dans la briqueterie et dont le destin a changé lorsqu’il croisa la route du réalisateur pour incarner son personnage principal sans jamais avoir été acteur de sa vie. Sa prestation est remarquable, touchante et son regard vous transperce par sa dureté et sa fragilité mélangée. Si Maher El Khair décide de continuer sa carrière dans le cinéma, après le brouhaha Cannois qui a dû lui sembler bien futile, il est à parier que sa carrière sera jalonnée de chef d’œuvres.