L'histoire :
Il n'a encore jamais parlé de "ça", comme ça, avec personne.
Elle n'a encore jamais trouvé personne à qui parler.
Elle ne pense qu'à ce garçon-là, il faut parler de ça pour s'en faire aimer.
Elle a 16 ans et lui 19.
Critique subjective :
Pour son deuxième film en tant que réalisateur et après West Berouth (1998), Ziad Doueiri a choisit d’adapter
Lila dit ça, un roman qui est entré dans les annales de la littérature érotique et dont l’auteur, un certain Chimo reste jusqu’alors inconnu. La légende dit qu’en décembre 1995, Olivier Orban - PDG des Editions Plon - l’aurait reçu par le biais d’un avocat, sous forme de 2 cahiers Clairefontaine, rédigés à la main et signés d’un certain Chimo. Pourtant Lila dit ça a connu un franc succès dans plusieurs pays où il a été considéré comme un grand roman féministe.
L’adaptation a pris quelques libertés par rapport au roman mais avec beaucoup de justesse. L’histoire originale se déroule dans la région parisienne mais le réalisateur a préféré planter son film dans les décors et l’ambiance méditerranéenne de Marseille afin de se rapprocher des ambiances qu’il connaît lui-même c’est-à-dire celles de son enfance au Liban puis aux Etats-Unis où à 18 ans, il fuit la folie de la guerre civile qui sévit au Liban. Ziad Doueiri voulait également éviter de reproduire ce qui avait été fait dans La haine (1995) de
Matthieu Kassovitz d’autant qu’il explique ne pas connaître l’univers de la banlieue parisienne. En cours de route et comme pour mieux coller avec la scène où la caméra suit le couple qui glisse sur les quais de Marseille, le vélo sur lequel se balade Chimo et Lila dans le roman devient un solex, véhicule quasi mythique que le réalisateur trouve fascinant avec son moteur posé sur l’avant. L’engin a subit un allongement de son cadre afin de permettre au couple d’y tenir tandis que la fin du film a été aménagée afin d’être moins tragique que celle du roman.
Lila dit ça fonctionne très bien en partie grâce à une distribution parfaite des deux rôles principaux interprétés par Vahina Giocante (Lila) que l’on a pu voir ou apercevoir dans Marie Baie des Anges (1997), Le cadeau d'Elena (2004) ou
Blueberry (2004) et Mohammed Khouas (Chimo) dont c’était la première apparition au cinéma.
Le réalisateur a pu affûter son sens de la réalisation et de la photo aux côtés de personnalités comme Quentin Tarantino (
dossier Tarantino) dont il a été premier assistant chef-opérateur pour Reservoir Dogs (1992), Pulp Fiction (1994) et
Jackie Brown (1997). Naturellement on retrouve un certain sens de la lumière avec une photo qui rend le personnage de Lila solaire dans un environnement déjà très lumineux. La blondeur de Lila irradie et capte la lumière et l’attention pour le meilleur et pour le pire.
Afin de faire partager sa vision du film aux deux jeunes acteurs, Ziad Doueiri leur à fait visionner Rusty James (Rumble fish, 1983) de Francis Ford Coppola, pour la légèreté et l’insouciance des personnages, Léolo (1992) de Jean-Claude Lauzon, un film très lyrique avec une voix off du début à la fin et de la musique partout et The Cement Garden (1993) d’Andrew Birkin qui est un film sensuel et étrange. Il en découle ce mélange très subtil et toujours maîtrisé qui permet à Lila dit ça de rester
un drame érotique qui emprunte des propos pornographiques en les contenant dans le cadre d’un film sans vulgarité sur la difficulté d’aborder une relation amoureuse .
Le personnage de
Lila peut être perçu comme une figure féminine agressive qui peut faire peur aux hommes comme le confirme l’acteur Karim Ben Haddou qui incarne un des amis de Chimo. Elle se définit cependant à partir d’une psychologie complexe qui se développe autant sur la base d’une enfance perturbée que sur des influences extérieures telles que les médias par exemple. Le discours amoureux de Lila a du mal à s’ancrer dans un langage policé et se manifeste par une expression pornographique qui surprend de la part d’une jeune fille. On retrouve la difficulté éprouvée par les jeunes filles (les garçons aussi par ailleurs) des banlieues à se dévoiler pour parler d’amour simplement, contraintes par le milieu machiste dans lequel elles vivent et exposées à la pornographie contemporaine qui a tendance à devenir la norme.
Chimo est un personnage qui est dépassé et décontenancé par Lila qui a une façon insolente d’aimer, s’exprime très librement et avec ambiguïté sur le sexe tout en étant très sincère. A propos de cette différence de discours entre les hommes et les femmes, le réalisateur pense que quand les femmes disent sensuel, les hommes disent sexuel mais ils parlent en fait de la même chose. Les deux personnages n’osent pas s’avouer mutuellement leur amour, lui par ce que c’est un garçon solitaire, sensible dans le milieu compliqué d’un quartier populaire et elle par ce qu’elle n’a pas d’autres modèles qu’une tante un brin dérangée qui entretien un climat incestueux et des coupures de presse sur la pornographie.
Deux univers bornés par ce qu’il y a de moins flatteur pour une romance se rencontrent et se complètent. Chimo profitera pleinement de cette rencontre avec Lila dont il dit qu’il y a « une digue qui s’est cassé en lui ». Lila le choisi et lui trouve une muse grâce à laquelle « les mots lui sortent mieux » ce qui dans la réalité a permis l’écriture du roman écrit par le vrai Chimo et qui peut-être est devenu un grand écrivain.
Le réalisateur confie avoir une vision apocalyptique de la religion. Ce n’est pas le sujet du film mais il y a des moments où il s’est permis d’aborder la question religieuse mise en perspective par les affrontements au Moyen-Orient et les attentats du 11 septembre 2001. Ainsi, il fait dire au personnage de Chimo en voix off qu’entre sauver la Palestine et une chatte il choisit la chatte juste après que deux religieux musulman se soient avancés vers lui pour le saluer tandis que lors d’une descente de police un des personnages commente la scène en faisant remarquer que « depuis que ces connards ont fait péter New York, ici aussi ils y ont droit aux emmerdes policières ».
Verdict :
Lila dit ça présente une histoire moderne qui met en scène le désir et l’amour entre deux jeunes gens sans tomber dans les pièges d’un cinéma racoleur (contrairement à la bande-annonce). Il s’agit d’un drame érotique soft qui emprunte des propos pornographiques en les contenant dans le cadre d’un film sans vulgarité sur la difficulté d’aborder une relation amoureuse. De plus, ce très beau second film ménage quelques passages musicaux particulièrement réussis.