L'histoire :
Quelque part, dans une forêt, une école.
Isolées du monde, de très jeunes filles y apprennent la danse et les sciences naturelles.
Critique subjective :
Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Lucile Hadzihalilovic a choisi d’adapter une nouvelle du dramaturge allemand Frank Wedekind intitulée Mine-Haha, ou l'éducation corporelle des jeunes filles. Bien qu’écrite en 1888, l'intrigue a été transposée dans les années soixante qui correspond à l’enfance de la réalisatrice.
Compte tenu de la distribution dont les rôles principaux sont tenus par des petites filles, la production a eu besoin pour assurer un montage financier efficace du film, que des acteurs confirmés rejoignent le projet. La réalisatrice s’est donc offerte la présence de
Hélène de Fougerolles et
Marion Cotillard qui avaient déjà jouées ensemble dans L'histoire du garçon qui voulait qu'on l'embrasse (1994), premier film de Marion Cotillard qui avait co-écrit le scénario et un des premiers rôles de Hélène de Fougerolles. Elles ont été choisies parce qu’elles ont un visage assez classique et qu’elles se connaissaient déjà ce qui permettait une forme de complicité évidente.
Innocence est un film à ambiance toujours sur le fil du rasoir entre la perspective d’une issue sordide ou perverse mais assurément surprenante. Les nombreuses histoires de pédophilies et les films relatant des histoires perverses, nous dictent une lecture paresseuse des films comme Innocence où une forme d’étrangeté est constamment à l’œuvre. On ne peut que recommander de voir ce film avec un regard d’enfant que la petite Zoé Auclair décrit avec un accent de vérité extraordinaire dans les bonus. On ressent fortement à quel point Innocence est un film dans lequel il faut pénétrer comme un monde enchanté ce qui semble conforter par une illustration que regarde Iris dans une des maisons du parc. On y voit un château au milieu d’un dédale de cour d’eau serpentant entre les arbres d’une forêt.
La dimension symbolique et initiatique d’Innocence est évidente bien que les situations décrites soient tout à fait plausibles.
De toute évidence, l’inspiration personnelle de la réalisatrice a imprimé à cette adaptation un ton particulier.
Lucile Hadzihalilovic a découvert le cinéma vers treize ans avec les films de Dario Argento qui s’était lui-même déjà inspiré de la nouvelle de Wedekind pour son film Suspiria (1977). On comprend mieux d’où provient l’ambiance si étrange d’Innocence quand on connaît ce détail et quand on sait que
Gaspar Noé (son compagnon dans la vie) est aussi un grand fan de
Dario Argento et de sa fille Asia dont Le livre de Jérémy laisse échapper un peu de cette vision fantastique plus au moins sombre que la famille Argento semble cultiver de père en fille. L’érotisme très sombre des films du réalisateur italien et la référence à Pique-nique à Hanging Rock (1975) de
Peter Weir associé au côté fantastique sous-jacent lié au monde de l'enfance présent dans le film L'Esprit de la ruche (El Espíritu de la colmena, 1973) de Victor Erice servent de base pour l’ambiance d’Innocence.
Lucile Hadzihalilovic a eu la bonne idée de ne pas montrer les filles embrigadées dans une sorte de programme qui viserait à former une sorte d’élite de danseuses classiques entraînées pour servir la vision d’un individu. Au contraire elle a imaginé une forme de petit spectacle de danse plus libre que la danse classique ce qui permet de conserver à la danse des petites filles une forme de fragilité et d’innocence. Pour superviser les cours de danse et le petit ballet du théâtre, Lucile Hadzihalilovic a fait appel aux services du danseur et chorégraphe Pedro Pauwels.
Comme le suggère le titre de la nouvelle du dramaturge allemand Frank Wedekind,
Innocence parle de l’éducation des jeunes filles à une époque où diverses tentatives d’éducation avaient été tentées en Allemagne. Le système hiérarchique selon lequel sont éduquées les jeunes filles, réparties dans des maisons par petits groupes composés de tranches d’âge différents et repérés par des rubans de couleurs dans les chevaux reflète une forme de modèle éducatif qui évoque des utopies visant à libérer les enfants tout en les mettant en contact avec la nature.
Les plus grandes s’occupent des plus petites selon un cycle initiatique mystérieux qui rappelle les passages initiatiques de la vie des jeunes enfants passant à l’adolescence. La vision de ces jeunes filles réunies pour apprendre la danse et les sciences naturelles met en avant leur rôle de futures reproductrices de l'espèce humaine dans un environnement où on leur enseigne que les chenilles vont devenir des papillons. C'est la perspective que cette vision soit la seule vérité qui rend Innocence vertigineux. Au-delà de cet aspect on peut voir dans cette histoire imaginée à la fin du 19 ème siècle l’évocation de mouvements éducatifs qui conduiront autant à des projets bénéfiques pour la jeunesse que le scoutisme qu’à des formes d’embrigadement comme les jeunesses hitlériennes.
Verdict :
Innocence est un film d’ambiance qu’il convient de regarder avec un regard d’enfant voire en essayant de se glisser dans la peau d’une fillette. La dimension symbolique et initiatique d’Innocence est évidente bien que les situations décrites soient tout à fait plausibles. Innocence et la nouvelle à partir de laquelle a été adapté le film constituent des illustrations du passage initiatique de l’enfance à la vie de jeune adulte, parfois difficile et souvent crucial.