L'histoire Après avoir supprimé l’épouse adultère de son patron sur les ordres de celui-ci, Kyoji, un jeune cuisinier japonais, part se faire oublier en Thaïlande. Sur le bateau qui l’emmène à Phuket, il rencontre Noi, belle jeune femme mystérieuse, qui voyage avec son bébé. Il s’aperçoit bientôt qu’il est suivi et comprend qu’on cherche à l’éliminer…
Critique artistiqueAprès le passage à vide des années 90, l’industrie cinématographique Thaïlandaise ne produisait plus qu’une poignée de films alors qu’elle avait connu un premier âge d’or à la fin des années 70, époque faste où sont produits plus de 200 films par an soit une production pratiquement équivalente à celle de la France en 2006. Le cinéma Thaïlandais de ces dernières années se veut diversifier avec le succès de
Tony Jaa dans
Ong-Bak (2003) ou Born to fight (2004), la palme d’or au festival de Cannes 2004 de
Apichatpong Weerasethakul pour
Tropical Malady (son dernier film Syndromes and a Century (2007) est dors et déjà censuré), les films d’horreur des frères
Danny et Oxide Pang (
Bangkok dangerous (2000), Ab-normal Beauty (2004)), l’invention visuelle de Wisit Sasanatieng dans Citizen Dog ou le western romantico-kitsch Les larmes du tigre noir et le cinéma d’auteur de Pen-ek Ratanaruang dans Monrak transistor (2001), Last life in the universe(2003) et le récent Vagues invisibles (2005). Du film d’auteur au cinéma commercial, des personnalités majeures du nouveau cinéma thaïlandais telles que Nonzee Nimibutr (producteur de Bangkok Dangerous et réalisateur du sulfureux Jan Dara), Tanit Jitnukul (réalisateur du drame historico-barbare Bang Rajan) ou Youngyooth Thongkonthun (réalisateur de la comédie sportive et travestie Satree Lek – The iron Ladies) montrent la voie d’un nouveau cinéma thaïlandais qui donne leur chance à des réalisateurs comme
Yuthlert Sippapak (
Killer Tatoo (2001)), Banjong Pisanthanakun & Parkpoom Wongpoom (Shutter).
Le réalisateur Pen-ek Ratanaruang est très impliqué dans la production cinématographique puisque hormis les cinq long-métrages qu’il a à son actif il a été monteur de Ok Baytong (2003) de Nonzee Nimibutr mais est aussi le narrateur du réjouissant Citizen dog. Il a débuté sa carrière après avoir étudié l’histoire de l’art pendant 10 ans à New York avant de débuter dans le graphisme et la réalsiation de spots publicitaires pour la TV thaïlandaise. Son premier long-métrage Fun Bar Karaoke (1997) lui a permis d’être remarqué très vite au Festival de Berlin. Au cours de ces nombreuses participations à des festivals, il a rencontré notamment Christopher Doyle, Takashi Miike ou Asano Tadanobu avec qui il a réalisé ses deux derniers films. Il est d’ailleurs assez amusant de voir évoluer
Takashi Miike dans la peau d’un yakusa d’Osaka dans Last life in the universe. La présence de Christopher Doyle et d’Asano Tadanobu est sans doute déterminante pour les deux derniers films du réalisateur qui y explore un peu le même univers mais tente de faire un film plus aboutit avec Vagues invisibles avec l'appui de son scénariste Prab Da Yoon et de son chef opérateur Christopher Doyle. Ce dernier a par ailleurs déjà fait 8 films avec
Asano Tadanobu (
Café lumière,
The Taste of Tea,
Zataoichi) mais est surtout connu pour avoir été le chef-opérateur fétiche de
Wong Kar-wai du film Les cendres du temps (1999) jusqu’à
2046 (2004).
Vagues invisibles semble offrir à certains personnages de Last life in the universe, un supplément de vie. En effet, Asano Tadanobu qui incarne le personnage principal dans les deux films, apparaît sous les traits de Kenji dans Last life in the universe où il rencontre une certaine Noi interprétée par Sinitta Boonyasak (Bite of Love (2006)) puis sous ceux de Kyoji dans Vagues invisibles où il rencontre une jeune femme prénommée Noi incarnée cette fois par l’actrice coréenne Gang Hye-jung (Old Boy (2003), 3Extrêmes - segment Coupez de
Park Chan-wook, Antartic Journal, 2005). Dans Vagues invisibles, la sœur de Noi s’appelle Nid, le même prénom que le bébé de la Noi de Last life in the universe. On pourrait penser que les deux films forment un diptyque mais le réalisateur s’en défend, se justifiant en expliquant qu’ils ont juste trouvé ça drôle. Cependant, il apparaît évident que Vagues invisibles est une variation imaginaire, un avatar de Last life in the universe, remettant en jeu l’univers du premier film au point que même le tueur de Vagues invisibles est appelé Lézard, un animal qui revient régulièrement dans Last life in the universe.
La thématique de la culpabilité et une certaine forme d’angoisse, reviennent dans les différents films de Pen-ek Ratanaruang qui explore ainsi sa propre préoccupation existentielle ; une manière de réinjecter une part autobiographique dans son oeuvre. L’amoncellement de livres dans l’appartement de Kenji dans Last life in the universe apparaît comme faisant partie du décor d’une vanité, le réalisateur évoquant avec précision à quel point l’idée de la mort le préoccupe bien qu’il ne s’agisse pas d’une obsession. Présenter un personnage calculateur en opposition avec celui d’une jeune femme à l’intelligence animal et pratique en phase avec le présent, met en évidence le caractère finalement vain d’une vie réglée autour du métier de bibliothécaire et d’une activité de lecture envahissante. A l’opposée, Noi vit dans une maison où règne un désordre ébouriffant, suggérant le peu d’intérêt qu’elle accorde aux taches ménagères et à tout ce qui correspond ordinairement à une vie réglée. On note d’ailleurs que cette préoccupation pour la mort du réalisateur peut-être aisément corréler avec une forme d’angoisse qui s’incarne dans ses personnages masculins souffrant souvent de mal de ventre, symptôme d’une crispation et manifestation d’humeur.
Dans Vagues invisibles, il faudrait parler de régime d’ambiance et de découpage spatial tant l’unité de valeur du plan semble s’effacer au profit de micro climats spatiaux. On sait que l’on change de pays, pourtant on ne voit pas le paysage. Les lieux compteraient plus que les trajets, les ambiances plus que les impressions de voyage. Pourtant comme le fait remarquer Christopher Doyle, le tournage est un voyage, l’histoire est aussi un voyage entre Hong Kong, Phuket et Macao. Dans ce cinéma le motif de l’île prend toute son importance. Les personnages sont considérés en tant qu’îles, vivant les uns à côté des autres sans se toucher ce qui implique des voyages. Vagues invisibles ramène vers une ligne de force qui traverse une bonne partie du cinéma de l’Asie du sud-est où une cinématographie s’attache à en explorer les nombreux archipels. On a la sensation que le héros vient s’échouer comme porté par des vagues invisibles sur les côtes des pays où il passe. Point de surprise cependant à ce transport du héros, malgré lui, porté par le scénario car Pen-ek Ratanaruang semble apprécié filmer les héros ramener loin de chez eux comme c’était déjà le cas dans Monrak transistor (2001), qui racontait avec humour et émotion les mésaventures amoureuses et professionnelles d’un jeune chanteur. Le héros est souvent baladé par l’histoire tout au long du film ; un courant puissant et inexorable l’entraîne au loin sous l’œil circonspect de la caméra.
Verdict
Bien que non revendiqué comme une suite de Last life of the universe, Vagues invisibles tourné 2 ans plus tard, apparaît en quelque sorte comme une variation imaginaire ou un avatar du premier film. Les points communs entre les deux films sont notamment renforcés par la présence d’un noyau dur dans l’équipe de production des deux films qui comptaient tout deux, l’acteur japonais Asano Tadanobu et le chef-opérateur australien Christopher Doyle. Plus que jamais, ce film que certains ne considèrent pas comme un film typiquement thaïlandais vient confirmer la bonne santé du cinéma thaïlandais. On attend de découvrir les prochaines réalisations de Pen-ek Ratanaruang dont le processus de réalisation a été profondément transformé au contact de Christopher Doyle en particulier.
Bonus :
- Entretien avec le réalisateur Pen-ek Ratanaruang (30mn) qui s’explique sur la filiation évidente entre les personnages de Last Life in the universe et Vagues invisibles et précise comment le script et l’histoire de Vagues invisibles a finalement été une création collective bien qu’en parti l’œuvre de Prabda Yoon, initialement son script, devenu scénariste sur ce film. Pen-ek Ratanaruang avait un premier script qui ne lui plaisait pas et il l’a donné à Prabda Yoon qui lui a renvoyé un document de 30 pages, presqu’un roman dont il a tiré le script en changeant la fin. Le script a encore été modifié à partir des idées du réalisateur, de Christopher Doyle, de Prabda Yoon, et de Saksiri Chantarangsri, le chef décorateur lors des repérages à Phuket auxquels ils participaient. Comme on peut le ressentir lors du visionnage, il explique l’importance et le rôle des lieux dans le film où le personnage joué par Asano donne l’impression d’errer que ce soit sur le bateau ou dans l’hôtel comme si tous les lieux sont pareils. Le réalisateur parle même de malédiction pour renforcer la persistance de cette impression autour du personnage qui semble subir les évènements. Vagues invisibles est aussi le film où Pen-ek Ratanaruang sous l’influence bénéfique de Du Ke-feng (Comme le Vent) alias Christopher Doyle, grand bourlingeur devant l’éternel cinématographique, cesse de chercher à contrôler son film en suivant le script à la lettre. Il se rapproche de plus une plus d’un certaine spontanéité en restant ouvert aux nouvelles idées qui peuvent venir de l’équipe, des conditions et lieux de tournages. Pen-ek Ratanaruang est un réalisateur qui se livre beaucoup en interview où il évoque ses propres expériences, relations amoureuses expliquant par ailleurs comment il perçoit son approche du cinéma plus expérimentale et ouverte contre celle de réalisateurs comme Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady) ou Wisit Sasanatieng (Citizen Dog (2006)) qui se considèrent comme des cinéastes visionnaires qui poursuivent des buts précis. Il livre pratiquement un plébiscite pour la perte de repère, un voyage sans boussole, une invitation à se perdre qui est sans doute un des moteurs de cette communauté de goût pour le voyage qui se tisse de Last life in the universe à Vagues invisibles ; un univers affranchi des appartenances ethniques, de la nationalité à moins qu’il s’agisse de celle du cinéma. Pour Pen-ek Ratanaruang, ses films sont avant tout des voyages comme autant d’occasion de se perdre pour explorer avec curiosité les gourmandises impromptues de l’invention.
-
Entretien avec Christopher Doyle, directeur de la photographie(12mn) : il le confirme plusieurs points évoqués par réalisateur Pen-ek Ratanaruang sur l’importance des lieux. Comme il le dit lui-même, le tournage est un voyage, l’histoire est un voyage mais le résultat n’aboutit pas à un voyage. En fait en dépit des changements de lieux et de pays (on traverse quatre pays), l’histoire semble se dérouler dans la tête du héros comme si la machine cinétique projetait le film de son introspection, peut-être orienté vers le sentiment de culpabilité qui le ronge. Très justement il évoque l’impression étrange de confinement du héros pour lequel le ciel est comme un rideau. Il explique avec lucidité la différence qu’il y a entre un tournage à gros moyen comme le film La Jeune fille de l'eau de Manoj Night Shyamalan (80 millions de dollar) et un tournage à budget réduit où on cherche des solutions pour résoudre les idées et non pas les problèmes à coût de milliers de dollars sans forcément atteindre un meilleur résultat. En étant inventif et pragmatique ils ont pu rendre plus grand à l’écran un bateau qui était en fait assez petit et en mauvais état. Le traitement de l’image du film aboutit de manière subjective selon Christopher Doyle à un espace spécial et poétique où les personnages peuvent exister. Comme chez Wong Kar-wai ou Manoj Night Shyamalan, les problèmes sont résolus de façon subjective. Au passage, il vante le talent et le sérieux d’Asano juste avant de tailler un costard à Paris Hilton, en tant que personnalité qui n’a rien d’autre à offrir que l’apparente volonté d’exister dans l’espace médiatique.
- Entretien avec Prab Da Yoon, scénariste(19mn) qui explique à son tour le processus de création du script et précise sa vision du film et des personnages dont il dit qu’ « ils vivent avec les autres mais sont seuls comme les îles ; le lien entre les îles impliquant le voyage ». Il évoque également son intérêt pour la science-fiction, le fantastique qu’il a voulu intégrer au film sous la forme d’un fantastique plus proche de la réalité, mais d’un genre ennuyeux, précise-t-il non sans un zeste d’humour et d’autodérision.
- Filmographies : Pen-ek Ratanaruang, Tadanobu Asano, Gang Hye-jung, Ken Mitsuishi
- Bande-Annonce (1mn 34)
- Galerie Photos : une quinzaine de photo qui comme souvent sur les DVD, présentent un intérêt très limité.
- Liens Internet :
www.wildside.fr,
www.wildside-lemagasin.com,
www.gebekafilms.com,
www.vaguesinvisibles-lefilm.com,
www.wildbunchdistribution.com- Chapitrage
Menus
Admirez les menus animés musicaux qui ont bénéficiés d’un design graphique élaboré faisant référence à l’ambiance poisseuse du film et d’un design sonore qui plonge très vite dans l’ambiance du bateau où se déroule une partie du film. Les différentes interfaces sont presque des tableaux à ambiance extraits du film à l’image de l’ambiance de l’interface des liens Internet ou du menu principal. On a affaire à un des meilleurs travaux d’interface sur DVD depuis quelque temps (on dirait qu’il y a un designer d’interface DVD qui a bossé :))