LE RESUME
À l’embrasure des XIXe et XXe siècle, une maison close à Paris. Une prostituée a le visage marqué d’une cicatrice qui lui dessine un sourire tragique. Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise. Leurs rivalités, leurs craintes, leurs joies, leurs douleurs … Du monde extérieur, on ne sait rien. La maison est close …
LA CRITIQUE
Dans une atmosphère fin de siècle tristement diaphane, l’Apollonide est une maison close à l’apparat somptueux, où les effluves de parfum s'entremêlent aux relents de coït, tandis que le champagne abonde, enivrant les clients issus de la bourgeoisie et du milieu artistique. Le faste y est un voile qui peine à masquer la misère affective des prostituées, lesquelles rêvent toutes d’échapper à leur condition. Un voile, voire même une toile, puisque les références picturales y sont éclatantes, presque trop évidentes. Evoquant tour à tour Courbet (L’Origine du monde), Ingres (La Grande Odalisque) ou Manet (Le déjeuner sur l’herbe), le réalisateur adopte une posture maniériste, et défaille parfois dans ses intentions. Portée par une visée purement esthétique, celle de l’Art pour l’Art, la beauté des plans semble en effet se suffire à elle-même. Le film menace en permanence d’être figé en un catalogue d’exposition, simple couche de papier glacé, à laquelle il manquerait un cœur. La sensualité et la passion y sont absentes, le temps pétrifié. Le montage lui-même laisse apparaître ce sentiment de vacuité, d’une immobilité permanente, et donc de la mort qui menace. Reprises sous un angle différent, certaines scènes sont l’expérience de l’éternel retour pour ces prostituées, contraintes à dissimuler leur fatigue, et remettre inlassablement leur métier à l’ouvrage (« Je suis fatiguée. Je pourrais dormir mille ans », avoue ainsi une courtisane). Cette répétition est un exercice de style pour Bonello, qui avoue puiser dans ses œuvres propres, telles que Tiresia ou Le Pornographe. Le plan le plus marquant, celui de l’introduction, se fait même l’écho d’œuvres plus éminentes, convoquant tour à tour Kubrick et Lynch dans une farandole d’hommages cinématographiques. Le procédé est louable, honnête. Presque brillant.
L’art et la vie confondus
Pourtant, là où ses illustres prédécesseurs sondaient le Mystère, Bonello affiche un indéfectible penchant pour la thématique de l’enfermement, voire du relai impossible entre les genres et les générations. L’Apollonide abonde cette vision crépusculaire d’une époque où les corps et les pratiques sont celles de la claustration. Dans la maladie et les faux espoirs pour ces femmes. Dans la dissimulation pour ces clients du bordel, qui consomment les prostituées sous le sceau du secret. Comme l’affirme un initié, « les hommes ont des secrets mais ils n'ont pas de mystère ». Car ce qui relève du mystère, c’est bien la capacité admirable qu’ont ces femmes à survivre à toutes leurs désillusions. La tentation de l’abandon est pourtant forte, à l’image de Madeleine, « la juive » (Alice Barnole), tentée par la noyade au cours d’une des rares baignades à l’écart de cet univers vicié. Et pourtant, toujours ces femmes refont surface. Là où elles pourraient s’entredéchirer, elles trouvent leur salut dans une cohésion, une solidarité à toute épreuve. Elles rient de leur condition. Elles raillent ces hommes qui ont pour seul fantasme celui de la femme-objet, poupée ou geisha. Cet orientalisme du harem fantasmé est en effet révélateur d’une bourgeoisie qui ne voit dans ces odalisques qu’un exutoire à son despotisme social et sexuel. L’affaire Dreyfus est y ainsi évoquée, et une métaphore sur le cerveau des prostituées, assimilé à celui des criminels, utilisée comme arme de vengeance par un habitué de l’établissement. La panthère du lupanar est à cet égard équivoque, synonyme des temps révolus lorsque tout était respectable et encadré, mais tout aussi néfaste pour ces femmes dont la condition et le métier perdurent à travers les âges. C’est d’ailleurs la dernière image qui marquera le récit, le boulevard ayant remplacé les maisons closes.
Au final, l'Apollonide marque par la beauté des plans et de ses décors. Porté par un jeu d'actrices convaincant, il manque toutefois un souffle à ce film pour le rendre inoubliable. Reste que Bonello s'impose comme un réalisateur à suivre de très près ...
Au sein d'un écrin aussi flamboyant, il était possible de faire mieux. Alors que l'on espérait des couleurs et des contrastes chatoyants, certains plans affichent une définition et une colorimétrie légèrement en retrait. On ne saurait dire si un tel constat relève de la volonté du réalisateur, ou bien si la carence est réelle. Une déception.
La scène est exclusivement frontale, ce qui est compréhensible pour un film porté par des dialogues au potentiel indéniable. Pourtant, on aurait souhaité davantage de présence sur les voix arrières lors des séquences musicales. Sur les ambiances aussi, entendre la caresse portée sur les coupes de champagne, par exemple. Rien de tout cela au final, et c'est parfaitement regrettable. Le son est brut de décoffrage, avec un manque de subtilité assez marqué.