Des trombes d’eau s’abattent sur Singapour. C’est la mousson. Les nuages s’amoncellent aussi dans le cœur de Ling, professeur de chinois dans un lycée de garçons. Sa vie professionnelle est peu épanouissante et son mari, avec qui elle tente depuis plusieurs années d’avoir un enfant, de plus en plus fuyant. Une amitié inattendue avec l’un de ses élèves va briser sa solitude et l’aider à prendre sa vie en main.
Anthony Chen est un réalisateur sensible et cela se voit dans ses réalisations. Avec son premier film « Ilo Ilo » qui séduisit bon nombre de festivals à travers le monde, il nous racontait déjà, avec beaucoup de sensibilité les difficiles rapports familiaux, avec en toile de fond la crise financière de 1997. Puis avec « Pop Aye » nous sommes toujours dans les conflits sentimentaux, mais cette fois ci avec un homme délaissé par son épouse qui va rencontrer un éléphant qui donnera un sens à sa vie. Point commun de tous ces films, le réalisateur signe ses scénarii et explore les relations humaines, peint des tableaux dans lesquels les personnages principaux sont en manque d'affection et rencontrent un être vers qui se tourner et trouver cette affection qui lui fait tellement défaut.
Avec « Wet Season » le réalisateur va inverser son propos et nous amener à suivre les pas de Ling, jeune professeure de Chinois qui désire ardemment avoir un enfant mais voit son mari s'éloigner inexorablement d'elle, alors que dans le même temps, l'un de ses élèves, tombé sous le charme, se rapproche d’elle. Comme dans ses précédents films, le réalisateur dessine une esquisse où l'amour est une peine et va peindre son œuvre avec une douceur et une maturité évidente, sans oublier de parler de ce regard que les Singapouriens portent à la Chine et à cette langue qu'ils ne veulent pas conserver. Jamais dans le propos dérangeant ou dégradant pour l'un comme pour l'autre, Chen dessine son intrigue et nous entraîne dans une histoire d'amour interdite, où la confusion règne plus qu'elle ne donne d’espoir. Le jeune homme se berce d'illusion pendant que la jeune femme se laisse aller à transgresser sa loi par un amour qu'elle ne veut pas accepter.
Précis dans sa mise en scène, il utilise comme une métaphore cette pluie qui montre à quelle point cette jeune femme se noie dans ses sentiments et coule petit à petit à mesure que sa frustration de ne pas avoir d'enfant, et que la désaffection de son mari se font sentir. Wei Lun, son élève, va alors venir bousculer tout cela dans une sorte de confusion sentimentale dont tous les deux sortiront transformés.
Ce sont d'ailleurs les deux acteurs de son premier film qu'Anthony Chen retrouve : Yann Yann Yeo (One Last Dance) et Koh Jia Ler (Ilo Ilo). Comme le réalisateur s'en amuse d'ailleurs, dans « Ilo Ilo », les deux acteurs étaient mère et fils, dans celui-ci, ils sont amants. C'est d'ailleurs un excellent choix que ces deux comédiens, tant l'actrice, d'abord, porte une mélancolie et une force pendant tout le film qui viennent contraster avec la sobriété de son jeu. Face à elle, Koh Jia Ler porte son arrogance et sa jeunesse comme une fougue, mais aussi comme une fêlure de ne pouvoir obtenir la reconnaissance qu'il souhaite dans les yeux de sa professeure. Séducteurs, ils le sont tous les deux assurément et particulièrement Yann Yann Yeoh qui porte le film sur ses frêles épaules avec pourtant le charisme des plus grandes. Il est fort à parier que l'on reverra rapidement Koh Jia Ler dans de nombreux films.
En conclusion, « Wet Season » est un film magnifique de sensibilité et de douceur, qui sait parfois se faire sentir plus dur qu'il n'y paraît. Notamment, dans l'histoire de cette femme délaissée par son mari, s'occupant de son beau-père vieil homme handicapé et malade, et qui va chercher un peu d'affection sans vouloir se l'avouer. La prestation des deux acteurs principaux est remarquable de maitrise. Un film à découvrir comme une parenthèse poétique dans ce marasme cinématographique ambiant.