Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.
Alice Diop n’est pas une réalisatrice comme les autres, et pour son premier long métrage de fiction, elle le prouve une fois de plus. Chaque sujet qu’elle aborde, que ce soit dans ses documentaires, qui ont fait sa réputation comme « Clichy pour l’exemple » en 2006, qui revenait sur les émeutes de 2005 et sur la manière dont la colère nait dans ces quartiers souvent stigmatisés, ou « La permanence » en 2016 qui ouvrait la porte de ces médecins qui reçoivent des hommes durement touchés par l’exil, ou dans cette première œuvre de fiction inspirée par un procès que la réalisatrice a suivi, celui d’une femme, Fabienne Kabou, qui avait tué son enfant de 15 mois et dont la seule explication fut : « Parce que c’était plus simple comme ça ». La réalisatrice s’interrogea alors sur cet acte et sur la symbolique qui peut lui être attaché.
Car ce faits divers, la réalisatrice va s’y intéresser, parce que la région : Le Nord Pas de Calais, parce que le désœuvrement d’une grande partie de la population, parce que la couleur de la peau de la mère : Noire, parce que l’enfant était métisse, et qu’Alice Diop pouvait s’identifier à cette mère pour essayer de mieux la cerner. Tout un ensemble d’éléments qui forgèrent dans l’esprit de la réalisatrice un début de sujet qui fut renforcé par les regards qui se posèrent sur elle lorsqu’elle arriva à Saint Omer pour assister au procès. C’est un élément que l’on retrouve d’ailleurs dans le film, dont le scénario est ciselé entre fiction et documentaire où les sentiments doivent pouvoir transparaitre comme dans un documentaire où les témoins se livreraient sans fard et sans tabou. Alice Diop a mis un point d’honneur à garder quasiment une unité de lieu pour mieux toucher le spectateur et transforme le propos en un texte qui met à la fois le corps, celui de la femme noire, mais surtout celui de la femme comme un sanctuaire ou commence la vie et où elle se connecte indéfiniment à celle qui l’a porté pendant neuf mois.
Car outre le fait divers, c’est avant tout la symbolique qui parle, celle de cette femme seule, presqu’invisible qui doit affronter les changements liés à la grossesse, celui des autres et le sien surtout. Une femme qui disparaît à la naissance de l’enfant et qui doit y trouver sa place. La nature est faite comme cela, mais seulement parfois il y a la vie, et son désœuvrement qui vient changer la donne et plonger le cœur dans l’effroi ou dans le doute. Comme dit si bien la réalisatrice en déposant son enfant sur la plage, la mère à rendu symboliquement son enfant à La Mer, dans toute sa symbolique comme pour lui éviter la peine d’une vie qu’elle ne pourrait pas lui assumer.
Avec une mise en scène aux multiples références : Henri-Georges Clouzot, André Gide ou encore Truman Capote, la réalisatrice filme le procès dans toute sa froideur, dans toute l’émotion qu’il véhicule et appuie son regard sur celui de ses acteurs. Elle pénètre au plus loin la psychologie de l’accusée, non pas pour l’excuser, mais pour comprendre comment elle a choisi de livrer son enfant à la mort, comment son parcours a pu se finir par une telle décision. Jamais dans l’offense et encore moins dans le jugement, elle film son intrigue comme un documentaire et y distille une rigueur parfois théâtrale, avec de grandes phrases parfois décalées mais qui viennent parfaitement illustrer le propos qu’elle souhaite tenir dedans.