L'histoire :
Dans les années cinquante, durant le boom industriel de l'après-guerre, un groupe d'observateurs suédois du Home Research Institute (HRI) visite un village norvégien en vue d'étudier la routine des hommes célibataires dans leur cuisine. En aucun cas, les observateurs ne doivent parler à leurs hôtes. Cependant le protocole ne pourra empêcher que se créent des liens entre eux. Il en résulte une fable pleine d'humour sur l'amitié et l'éternel désir humain d'échapper aux classifications.
Critique artistique :
Avant de porter à l’écran
Factotum (2005), oeuvre de Charles Bukovski, le réalisateur Bent Hamer a réalisé Kitchen Stories en 2003, film brillant par son étrangeté et son univers baignant dans l’absurdité la plus totale. Après Eggs (1994), et Un jour sans soleil (Water Easy Reach) (1998), Kitchen stories (Salmer fra kjokkenet) apparaît comme un essais visant à montrer le pouvoir de la socialisation et de quelle manière les interactions qu’elle suppose nous permettent de nous révéler à nous-mêmes et aux autres. Les deux personnages principaux mis en scène par Bent Hamer (pour lequel
Factotum confirme un certain talent de metteur en scène) nous entraîne dans une improbable rencontre entre deux personnes que tout semble opposer (nationalité, milieu socioprofessionnel, marque de tabac ...). L’opposition est de nature socio-professionnelle mais met surtout en avant les rapports plus ou moins conflictuels entre la Suède et la Norvège. La Suède a prit l’ascendant sur la Norvège par le passé mais depuis la Norvège possède certains avantages comme ses réserves pétrolifères. L’ancienne dépendance et le complexe d’infériorité Norvégien sont aujourd’hui tout relatifs d’autant que les deux pays n’ont pas eus la même attitude lors de la seconde guerre mondiale.
La vision du cortège d’une vingtaine de voiture tractant une caravane verte délavée avançant lentement sur les routes neigeuses menant de la Suède à la Norvège représente parfaitement la dimension humoristique du dispositif à l’œuvre dans Kitchen Stories. Accroché au toit de chacune des caravanes une chaise étonnement disproportionnée (une chaise de bébé ou d’arbitrage de tennis ?) sert une fois installée dans les cuisines des hôtes de perchoir d’observation. L’étonnante chaise d’observation sur laquelle se perche Folke contribue largement avec le cortège de caravanes vertes à une sensation de comique lié à l’absurdité de la situation. L’absurdité de cet aréopage s’oppose à la vie terre-à-terre des villageois. Laquelle des deux parties est la plus intéressante à observer ? Question légitime dont on se doute de la réponse.
La distance imposée entre l’observateur Suédois Folke, (envoyé par le Home Research Institute) et son hôte Norvégien, Isak (le célibataire) par le protocole marketing nous rappelle autant le dispositif de l’observation scientifique que celui de la TV réalité. "Le film peut aussi être vu comme une critique à tendance positiviste avec des références aux reality show d'aujourd'hui" ajoutait le réalisateur à la sortie du film. Kitchen Stories s’appuie sur certaines expérimentations autour de l’étude du monde domestique qui nous font inévitablement penser à la fulgurante réussite du voisin Suédois, Ikea. Il apparaît que l’histoire du film se base partiellement sur certains faits historiques. Dans les années 60 un train a circulé en Norvège avec à son bord deux prototypes de cuisines que plus de 200 000 norvégiens se sont empressés d'aller voir. De nombreux films on été réalisé sur ces cuisines dont certains évoquant à la fois la publicité et le documentaire, durent plus d’une heure.
En y réfléchissant, il vient très vite à l’esprit que Kitchen Stories (dans un autre genre) est très proche par ses fondements idéologiques d’un film critique et subversif comme Fight Club par exemple. En tant que spectateur on se range très vite du côté de ceux qui sont observés chez eux et tentent de résister à l’œil d’un observateur dont la neutralité supposée tranche avec une certaine indiscrétion puisqu’il guette à peu près tous les gestes accomplis dans la pièce principal de la maison. La dimension comique qui découle de la dénonciation de l’absurdité du dispositif d’étude marketing est grandement amplifiée à la fois par le choix d’installer l’histoire dans les années 50 et par la musique particulièrement légère et guillerette composée par Hans Mathiesen.
Verdict :
Pour nous qui sommes les observateurs privilégiés de ce jeu à huit clos où l’on joue à l’observateur observé, le projet du réalisateur qui souhaitait montrer, avec humour, ce qui se produit quand on s'introduit dans la sphère privée de l'individu procure un réel plaisir. Une édition DVD à découvrir au plus vite d’autant que Bent Hamer semble décider à produire une œuvre subtile.