L'histoire :
Un vieil homme vit avec une jeune fille qu’il entretient loin du monde sur un bateau en pleine mer. Il compte l’épouser lorsqu’elle aura 17 ans. Les pêcheurs de passage sur l’embarcation, ne manquent pas de remarquer la ravissante jeune fille, toujours surveillée par son protecteur. Mais les rêves de mariage de ce dernier tournent à l’obsession lorsque s’éveille chez sa promise un intérêt pour un homme de la ville.
Critique artistique :
Alors que Time (2006), treizième film de
Kim Ki-duk, l’un des deux enfants terribles du cinéma coréen avec
Park Chan-wook (Sympathy for mr vengeance, Old boy,
Lady vengeance) est déjà annoncée et vient d’être sélectionné dans la section « Vision » au 31ème Festival International du Film de Toronto, son dernier film, L’arc (2005) sort en édition DVD simple après une sortie discrète dans les salles. Time, Interprété par Sung Hyun-ah (La femme est l’avenir de l’homme) et Ha Jung-woo (The Unforgiven), raconte l’histoire d’un jeune couple qui a recours à la chirurgie esthétique pour consolider leur amour. Ce scénario laisse penser qu’il pourrait s’agir d’un film entretenant une parenté avec le propos du film Crash (1996) de
David Cronenberg et dans tout les cas constitue à la fois un prolongement des interrogations de Kim Ki-duk sur le couple, l’amour, le désir et probablement un renouvellement formel dans son œuvre. Auparavant, l’auteur prolifique a signé notamment
Bad Guy (2001), L’île (2000), Printemps, été, automne, hiver... et printemps (2003), Adresse inconnue (2001) ou
Locataires (2004). Au travers de sa filmographie, le réalisateur se révèle parfaitement en phase avec les grands courants d’idées qui circulent en Corée du Sud à l’instar de ses contemporains tels que Im Kwon-taek (Ivre de femmes et de peinture, 2001),
Hong Sang-soo (
La femme est l’avenir de l’homme (2003),
Turning gate (2002)) ou
Im Sang-soo (
Une femme coréenne). Une femme coréenne (2003) de Im Sang-soo fait par ailleurs parfaitement le pont entre les films de Hong Sang-so et
Locataires (2005) de
Kim Ki-duk.
Après
Locataires (2004), L’arc (2005) apparaît comme une variation et un crossover entre L’île (2000) dont il reprend l’ambiance aquatique et Locataires (2004) dont le réalisateur a repris le principe du « ménage à trois » qui a fait la force de Locataires et le mutisme entêtant des personnages principaux. Dans L’arc cependant, celui des deux amants qui disparaît est le vieil homme qui maintient sa présence de manière surnaturel alors que le réalisateur avait choisit de manière très subtil de faire cohabiter l’amant de Locataires à côté du couple tel un angélisme entre magie et fantasme. Dans ces deux films de niveau inégal (Locataires surpasse L’arc) il y a un déplacement de la solution de l’amant qui reste présent mais de manière peut-être fantasmé dans Locataires tandis qu’il s’inscrit parfaitement dans un principe de réalité dans L’arc où le vieil homme, une fois parvenu à son objectif, devant les yeux médusé du jeune étudiant semble vouloir transmettre un héritage culturel avant de s’effacer. On peut regretter que L’arc souffre de quelques maladresse et lourdeurs qui le rendent nettement moins plaisant que Locataires. En effet, Kim Ki-duk utilise trop souvent le thème musical que l’on ne parvient pas à associer de manière crédible à l’arc du vieil homme qui semble simplement manipuler un objet sans âme ; on aurait préféré que l’arc produise réellement des sons quitte à obtenir une mélodie moins agréable. Après tout, ce vieil homme est un artiste chamanique et aurait tout à fait pu jouer une musique complètement inédite. De plus on est loin des images poétiques de Locataires.
Le titre original du film
Locataires (2004) est 3-Iron soit fer 3 en français dans l’univers du golf que
Kim Ki-duk utilise comme symbole d’une classe bourgeoise aisée. Le mari dans Locataires joue au golf et le jeune amant va se servir du club de golf pour frapper le mari et provoquera également un grave accident. Que se soit avec le fer 3 ou l’arc, Kim Ki-duk utilise des objets qu’il veut porteur d’une polysémie favorable à la construction de son intrigue et d’une forme poétique que l’on retrouve très souvent dans son cinéma (Adresse inconnue (2001) et The Coast Guard (2002), plus autobiographique n’appartiennent pas à cette catégorie me semble-t-il). Autre point commun entre ces deux instruments, ils permettent d’atteindre une cible à distance avec beaucoup de précision. Le fer 3 permet de frapper des coups longs, bas et précis tandis que l’arc peut envoyer très loin une flèche avec une extrême précision entre les mains d’un bon archer. L’arc est une arme, un instrument de musique, un outil de divination et le vecteur surnaturel (le sexe du vieil homme ?) du dépucelage de la jeune fille. L’arc est à la fois un outil et un prolongement du vieil homme artiste et chaman, détenteur d’un savoir que les jeunes gens vont découvrir non sans un certain effarement.
On retrouve les couleurs du drapeau coréen sur la cible et autour de la tête du bouddha peint sur la coque du chalutier. Kim Ki-duk, comme son oeuvre le laisse comprendre, oppose ici une conception traditionnelle de la société coréenne et la culture occidentale moderne. Le vieil homme vit spartiatement sur un vieux chalutier isolé en mer (l’eau, élément dans lequel naît la vie, garantie le statut d’insularité comme la maison flottante de printemps, été, automne, hiver et encore printemps, les bungalows dans L’île) avec le minimum de confort moderne. La seule musique que l’on puisse y entendre est celle que le vieil homme joue avec son arc qui va être habilement remplacé par le baladeur audio du jeune étudiant. Le vieil homme semble vouloir maintenir une indépendance par rapport au monde moderne et semble désigner la part d’indicible et d’invisible du monde que la tradition permet d’atteindre. La divination, les rituels, les objets de transition sont autant de marque d’une forme de mysticisme héritée du passé.
Verdict :
Avec L’arc on retrouve le Kim Ki-duk de Locataires et de L’île mais un cran au dessous de la qualité à laquelle le réalisateur coréen nous avait habitué. Le film souffre de quelques longueurs, la construction poétique des images utilisées par Kim Ki-duk sont moins séduisantes et on n’arrive pas à associer de manière crédible la musique produite par le vieil homme à l'aide de son arc. L’arc n’en reste pas moins intéressant dans la filmographie du réalisateur qui recycle en procédant à des déplacements, certaines de ces idées passées. On attend Time, son prochain film avec impatience.