Critique subjective :
Contacté pour réaliser un film court destiné à être projeté aux visiteurs de la forteresse de Bitche en Moselle, Gérard Mordillat se dit qu’il tient un bon sujet et a même la conviction qu’il y a là matière à faire un long-métrage documentaire pour la télévision. Le réalisateur parvient à glaner les fonds nécessaires (notamment auprès de la chaîne Arte) et c’est ainsi que La forteresse assiégée voit le jour en 2006.
Le sujet du documentaire est une guerre quasiment oubliée du grand public, celle qui opposa, en 1870, la France de Napoléon III à la Prusse de Bismarck. Presque sorti des mémoires, le conflit est important à plus d’un titre : il constitue à la fois la dernière guerre napoléonienne et la première guerre moderne, il préfigure bien des guerres à venir et explique en partie des futures passes d’armes entre la France et l’Allemagne. A l’origine de 1870, il y a la volonté de Bismarck de rallier toutes les provinces germaniques derrière la Prusse. Quoi de mieux qu’une guerre pour cimenter l’alliance ? Le chancelier s’emploie donc à provoquer la France. La réponse ne tarde pas : Napoléon III déclare rapidement la guerre aux Prussiens. Sûre de sa victoire, l’armée française, extrêmement mal préparée, s’inclinera vite face à l’ennemi. Dernière poche de résistance dans l’hexagone : la citadelle de Bitche. Et le documentaire de partir de cet événement historique pour entamer une réflexion plus large et disserter sur la guerre en général. On évoquera ainsi la notion même de guerre, les changements matériels et stratégiques, la disparition progressive de la reconnaissance de l’ennemi ou encore l’intervention de civils dans les conflits. Instructif, le tout donne lieu à de nombreux parallèles avec des évènements plus récents (les deux guerres mondiales, l’explosion des Balkans, l’Irak, les conflits sur le sol africain).
Les évènements historiques relatés à travers La forteresse assiégée sont intéressants mais la façon de les raconter s’avère beaucoup moins pertinente. Si le film navigue entre documentaire (notamment avec des interviews d’historiens) et reconstitution historique (passages de « fiction »), une pratique courante, Gérard Mordillat va plus loin et expérimente un certain nombre de procédés formels pas toujours très heureux et qui, à l’arrivée, apparaissent comme autant de « superpositions » maladroites. L’acteur Patrick Mille est à la fois le narrateur (il s’adresse directement au spectateur et interroge lui-même certains intervenants) et un soldat français en 1870 ; à peine un champ de bataille apaisé qu’un historien surgit dans la scène reconstituée pour en expliquer des éléments ; des soldats de l’époque (bien sûr campés par des comédiens) nous racontent l’horreur de la guerre dans des interviews face caméra ; etc. Fier de ces procédés, Mordillat semble vouloir se départir à tout prix des schémas habituels, entremêlant sans cesse la réalité et la « fiction », le passé et le présent. Si la tentative est louable, le résultat n’est pas souvent à la hauteur des ambitions et le film perd énormément en fluidité.
Verdict :
Souvent bancal dans sa forme (mais jamais dans son propos) et un peu longuet, La forteresse assiégée pâtit donc de sa construction singulière. Les férus d’histoire et / ou de documentaires y trouveront néanmoins leur compte.
Une multitude de formats visuels mais une qualité d’image toujours à la hauteur. L’ensemble se montre propre, précis, et affiche une bonne gestion des couleurs. Du bon.
- Biographie des intervenants.
- La guerre contemporaine (9 minutes) : Des historiens évoquent les principaux enjeux de la guerre aujourd’hui et discourent sur la mutation de la notion d’ennemi, un ennemi de plus en plus « interne » via le phénomène du terrorisme.
- Bismarck / Hitler (6 minutes) : Confrontation de deux conceptions du Reich.
- Entretien avec Gérard Mordillat (17 minutes) : Le réalisateur nous parle de ses motivations à faire le film, de ses sources, des enjeux du métrage, de sa forme particulière et de sa distribution.
- Filmographie et bibliographie de Gérard Mordillat.
- Espace Editions Montparnasse (7 minutes) : Trois bandes annonces (La guerre du Vietnam, La trahison, Austerlitz).