L’histoire :
Jeune homme habitant l’Est de Londres, Jamie découvre que la violence qui secoue son quartier pourrait être d’origine surnaturelle.
Critique subjective :
Ceux qui ont vu L’enfant miroir et Darkly noon le savent, Philip Ridley est un cinéaste rare et précieux. Rare car le bonhomme n’aura signé que trois films en près de vingt ans, précieux car ses œuvres ne ressemblent à rien d’autre. Datant de 2009, Heartless (écrit et réalisé par Ridley), marque la fin d’une longue absence, quatorze années consacrées à l’écriture de pièces de théâtre et à la rédaction de nouvelles pour enfants. Un retour tardif derrière la caméra qui s’explique aussi par la difficulté à financer un projet atypique. Dans notre contrée, ce troisième long-métrage débarque directement en vidéo, précédé d’échos flatteurs en provenance des festivals (FantasPorto, Gérardmer, etc.).
L’action de Heartless prend place dans un East London en proie à une vague de violence, des agressions gratuites commises par un gang d’individus masqués. Jamie, jeune homme renfermé au visage marqué par une tache de naissance en forme de cœur, voit quelque chose de surnaturel dans ces démonstrations de barbarie, persuadé que les individus qui terrorisent le quartier sont de véritables démons. Il va alors découvrir un univers aux règles étranges.
Une histoire intrigante avec laquelle Ridley donne une explication fantastique à la violence urbaine, créant ainsi un nouveau mythe contemporain qui évoque les meilleures nouvelles de Clive Barker. Ici, le chaos, orchestré dans l’ombre, est le creuset de la création. Pour ceux qui le propagent, la violence apparaît comme un moteur de progrès, les pires atrocités de l’Histoire (Holocauste, Hiroshima, 11 septembre, etc.) ayant, en un sens, permis à l’humanité d’avancer. Ne dit-on pas que le vingtième siècle est né avec Jack L’éventreur ? Explorant de manière dérangeante la notion de mal, Heartless disserte aussi sur le caractère aliénant des cités modernes et s’offre une belle relecture du mythe de Faust.
Imprévisible et d’une densité incroyable, le métrage va encore plus loin, se montrant tour à tour triste (le malheur s’abat sur Jamie et ses proches), joyeux (la romance avec Tia), onirique (réminiscences d’une enfance lumineuse), cauchemardesque (la fureur sanguinaire du personnage de She), ténébreux (la rencontre avec Papa B), philosophique, poétique et toujours très étrange (mention spéciale à la visite de l’Armurier, un grand moment de bizarrerie). Film équilibriste, Heartless fonctionne sans cesse sur la rupture de ton (on en revient au chaos), pas étonnant que son auteur parle « d’explosion inversée » pour définir son processus créatif. Offrant de multiples niveaux d’interprétation, le métrage se clôt en conservant une part de mystère, une marque de fabrique chez Philip Ridley.
Un Philip Ridley par ailleurs très en forme en ce qui concerne les aspects purement visuels du métrage. Fasciné par le digital, et particulièrement par le rendu des scènes nocturnes, il délaisse ici la pellicule pour un tournage en numérique qui lui permet notamment un jeu impressionnant sur les couleurs. Sa plongée schizophrénique dans une psyché torturée, le réalisateur la soigne plan par plan et la truffe de symboles furtifs (la figure du crocodile, le motif du cœur, le double appartement, …), autant de détails discrets mais signifiants qui rajoutent un peu plus de richesse à une œuvre singulière.
Verdict :
Film horrifique évoluant hors des sentiers battus, Heartless prouve à chaque instant que Philip Ridley n’a rien perdu de son talent.
Des pistes 5.1 de bonne tenue. Rendu clair, précis, énergique et bien spatialisé. Mixage bien équilibré entre les voix, les effets sonores et la superbe musique de David Julyan. Immersion assurée, du moins en version originale, les doublages français, d’une platitude assez désespérante, étant à éviter.
- Commentaire audio de Philip Ridley : Loquace, Ridley livre une explication extrêmement pointue du fond (analyse des tenants et aboutissants du récit, relevé exhaustif des détails qui tuent) et de la forme (valeur des plans, sens des couleurs, etc.). Un bonus passionnant, vrai complément au visionnage du film dans la mesure où il permet de le décoder en profondeur.
- Dynamite sky, le making of (25 minutes) : Exercice assez standard, pas déplaisant mais sans plus-value après l’écoute du commentaire audio.
- Rencontre avec Philip Ridley (14 minutes) : Entretien assez intéressant (et bonne idée que d’interroger le réalisateur dans un décor étrange). A conseiller à ceux qui n’ont pas le temps pour le commentaire audio.
- Jim Sturgess live (9 minutes) : Sur scène, l’acteur principal du film interprète deux chansons de la bande originale.
- Galerie photos.
- Bande annonce (2 minutes).