Résumés des films :
Le septième continent
Titre original : Der Siebente kontinent, 1988
Avec Birgit Doll, Dieter Berner, Udo Samel, Leni Tanzer
Durée : 1h 30min.
Le film raconte trois ans de la vie de Georg, de sa femme et de leur fille Eva : c’est l’histoire d’une famille, l’histoire d’une réussite professionnelle, l’histoire du pris à payer pour le conformisme, l’histoire d’un aveuglement mental.
Benny’s Video, 1992
Avec Arno Frisch, Angela Winkler, Ulrich Mühe, Ingrid Stassner
Durée : 1h 45min.
Les quatorze ans de Benny, c’est une adolescence bourgeoise, des parents plutôt absents, un vide affectif moyé dans l’univers de la vidéo. Benny va rencontrer une jeune fille de son âge, l’inviter chez lui un week-end. La timide histoire d’amour qui s’ébauche va connaître une dérive fatale.
71 fragments d’une chronologie du hasardTitre original : 71 Fragmente einer Chronologie des Zufalls, 1994
Avec Lukas Miko, Udo Samel, Gabriel Cosmin Urdes, Anne Bennent, Otto Grunmandl, Georg Friedrich
Durée : 1h 35min.
Sortie cinéma : 1995
La veille de Noël 1993, un étudiant de 19 ans tue, sans motif apparent, plusieurs personnes lui étant totalement étrangères. Qu’est-ce qui rapprochait victime et assassins ?
Critique artistique :
Michael Haneke, cinéaste Autrichien est le fils d'une actrice allemande catholique et d'un metteur en scène protestant. Avant d'écrire et réaliser de nombreux téléfilms dans les années 70 et 80 il étudie la philosophie et la psychologie à Vienne. Le Septième continent (1989) devient son premier long métrage de cinéma et le premier volet de sa trilogie sur la glaciation émotionnelle (emotionale Vergletscherung) après avoir été refusé par les chaînes de télévision. Cette trilogie comprend Benny's Video (1992) et 71 fragments d'une chronologie du hasard (1994). Après
Funny Games(1997), Haneke signe Code inconnu, film-puzzle sur l'immigration, l'exil et l'incommunicabilité avec
Juliette Binoche mais il connaît la consécration avec son film La Pianiste (2000) avec où
Isabelle Huppert incarne une femme autoritaire et frustrée, écartelée entre une mère possessive et un jeune amant. Après Le Temps du loup (2002),
Caché (2005) pousse plus loin la logique de son cinéma.
Le Septième continent (1989), premier volet de la trilogie sur la "glaciation émotionnelle" instaure une matrice de plan qui fait la part belle aux plans rapprochés et aux gros plans afin de focaliser sur des rituels que le cinéma à tendance à éviter. Gros plan sur une paire de pieds qui enfilent des chaussons, le père qui lasse ses chaussures, sur la main de la mère qui ferme la porte de la chambre de la petite fille. On se demande pourquoi cette matrice de plan en plan rapproché / gros plan fonctionne alors qu’il ne s’agit de montrer qu’une suite de gestes rituels de la vie quotidienne. Curieusement on aperçoit d’abord des personnes anonymes avant d’apercevoir enfin le visage d’un des membres de cette famille, le père à son travail à la 10 ème minute alors qu’en voix of l’épouse lit une lettre écrite au parent de son mari. On découvre ensuite le visage de la petite fille à l’école alors qu’elle prétend ne plus être capable de voir quoique ce soit (11 mn 45) puis celui de la mère à son travail (13 mn 48).
Qu’est-ce que ça veut dire de montrer le mode de vie d’une famille et son intérieur dont on comprend vite qu’il s’agit d’une famille de la classe moyenne qui a plutôt réussit. On entre ainsi dans la vie intime d’une famille dont on ignore tout mais la caméra s’ingénie à cadrer de telle sorte qu’elle met les visages en hors champ comme si il s‘agissait de priver cette cellule familiale de son identité. Le choix de cadrage opéré par Michael Haneke est éminemment politique et vise à montrer un modèle de la famille normée dont on peut ensuite découvrir l’identité des personnalités. Ce processus amplifie le vertige découlant de l’issue dramatique choisie par la famille. L’aveuglement mental est d’autant plus fort qu’il est constamment entretenu par les médias, la publicité ou l’affiche paradisiaque montrée en plein écran qui vante la beauté des plages australiennes en annonçant la promesse d’un plaisir accessible.
Le 7 ème continent est le mobil qui pousse à poursuivre une réussite professionnelle et à accepter la puissance normative du conformisme. D’ailleurs la mère de la femme de Georg aurait dit qu’elle s’imaginait parfois les gens avec des écrans sur lesquels s’affichent leurs pensées à la place de la tête. On reste dans un registre où l’exercice de la vision est comme empêché par une grille de lecture faussée par l’effort normatif. Quand Eva dit ne plus pouvoir voir, peut-être veut–elle simplement parler de son refus de voir et pas d’une forme de pathologie. Les rituels se répètent avec le réveil matin, la paire de pieds qui enfile ses chaussons, le laçage de chaussure sur le bord de la baignoire, la nourriture des poissons ; le quotidien est un piège et il faut sortir la voiture du garage pour aller au travail.
Benny’s video (1992) est un film qui renvoie directement à
Funny Games (1997) que le cinéaste a réalisé 5 ans plus tard avec certains comédiens comme Ulrich Mühe, le père de famille dans les deux films et Arno Frisch (Benny) et que l’on retrouve sous les traits de Paul, un des deux jeunes tueurs de Funny Games. Il s’agit d’une histoire basée sur les cas de faits divers relatant des meurtres perpétrés par des jeunes gens de bonnes familles avec une relative légèreté puisqu’il semble que la portée de l’acte accomplit ne soit pas pleinement mesuré par Benny en particulier puis par ses parents qui préfèrent tenter d’étouffer l’affaire. Une fois de plus, sauver les apparences et préserver un statut semble plus important que la justice.
Comme souvent dans le cinéma de Michael Haneke, le filtre de l’image et de l’écran sur lequel elle se projette est très présente puisqu’elle s’interpose entre le monde et l’œil de Benny. Ce dernier perçoit la réalité au travers du filtre déformant de la vidéo qui peut rendre beau et fascinant la mise à mort d’un porc. Benny ne sait quel œil le fascine ce qui le conduit à sous-estimer la réalité de la survenance des faits ou des actes. Son manque de repères va le conduire à une dérive fatale. Le rôle des parents est peut-être encore plus stupéfiant que l’acte commit par Benny.
71 fragments d’une chronologie du hasard semble justifier son titre par le montage qui s’appuie sur de nombreux fragments de scènes montées, assemblés et séparés par une transition noir de quelques brèves secondes. Nous n’avons pas compté les nombreux fragments d’images montées ainsi mais il semble bel et bien que le film compte 71 de ces fragments. C’est une idée séduisante qui permet formellement de décrire l’anatomie d’un fait divers, un évènement qui survient suite à une accumulation de faits dont nous n’avons pas forcement connaissance en temps normal. Ce principe permet en outre de montrer quels sont les points communs entre les victimes et le meurtrier dans le fait divers décrit par Michael Haneke. D’ordinaire les cas de meurtre accomplis par un individu contre d’autres sans motif apparent laisse dubitatif et peuvent remplir de frayeur car ils peuvent potentiellement survenir partout et concerner tout un chacun.
Michael Haneke juxtapose les fragments choisis sans orienter de manière classique le spectateur avec un montage linéaire où les enchaînements sont télégraphiés. Au contraire, il pose des faits qui sont autant de points de repères à défaut d’être des preuves ou des justifications pour expliquer la genèse des crises qui conduisent à des meurtres sans mobil apparent. En ceci, 71 fragments d’une chronologie du hasard est un peu à part dans la filmographie de Haneke et on peut dire qu’il s’agit d’un film choral où l’on voit évoluer plusieurs personnes qui appartiennent à un moment ou un autre à la chronologie du hasard d’un évènement. Il s’agit pour Michael Haneke de prendre en contre pied les deux premiers films de la trilogie qui étaient plus fermés et recentrés sur une famille pour s’ouvrir dans 71 fragments d’une chronologie du hasard sur l’ensemble de la société.
Verdict :
Cette édition DVD de la Trilogie dite de la glaciation émotionnelle permet de (re)découvrir Le septième continent, Benny’s Vidéo et 71 fragments d’une chronologie du hasard en même temps que Funny games édité en édition DVD simple. Cette initiative bienvenue, invite à regarder, Caché (2005), son dernier film sorti au cinéma récemment. Michael Haneke construit une des œuvres les plus pertinentes sur la représentation de la violence dans les médias. La constance de son regard en fait un des cinéastes à surveiller pour la qualité de sa mise en scène et sa capacité à interroger le caractère violent des sociétés occidentales et que véhicule ses médias en particulier.