L'histoire :
Pilote et secouriste au sein de l'Indian Air Force, Veer risque sa vie pour sauver celle des autres jusqu'au jour où il porte secours à Zaara, une jeune fille, belle, rebelle et légèrement inconsciente. Zaara a quitté son Pakistan natal afin de venir en Inde accomplir les dernières volontés de sa nourrice. Le destin de Veer va être changé à jamais par cette rencontre qui va le conduire dans une prison Pakistanaise. 22 ans plus tard, pour une raison mystérieuse, Saamiya, une jeune avocate pakistanaise qui travaille sur sa première affaire va tenter de sortir le numéro 786 de prison afin de lui rendre enfin justice...
Critique artistique :
Le cinéma bollywoodien nous a habitué à ses histoires d’amours passionnées, ses ballets endiablés et des couleurs flamboyantes, style dont le réalisateur Yash Chopra est un des pères. Veer-Zaara, reprend cette recette maintes fois éprouvée mais dépasse la simple romance pour délivrer un message éminemment politique sur la possibilité d’une réconciliation indo-pakistanaise, un des motifs qui lui a valu d’être sacré Meilleur film 2004 par les Filmfare Award. Veer-Zaara est un trait d’union entre deux êtres amoureux de nationalités différentes séparés tant par la force de la tradition que par celle des contingences politiques. Sept ans après Dil To Pagal Hai (1997), le réalisateur Yash Chopra signe Veer-Zaara dans lequel on retrouve Shah Rukh Khan (Mohabbatein, Saathiya et Devdas (2002), La famille indienne (2004)) dans une romance contrariée. A ses côtés on remarque la prestation de l’actrice Preity Zinta et de Rani Mukherjee (Saathiya (2002), Black (2005)) dans le rôle de l’avocate initialement prévu pour la comédienne
Aishwarya Rai (Devdas, Coup de foudre à Bollywood (2004)). Yash Chopra est un patriarche de la production bollywoodienne. On lui connaît une vingtaine de réalisations dont Kabhi Kabhie - Love Is Life (1976) et Dil To Pagal Hai (1997) qu’il a aussi co-produit avec d’autres films tels que Mohabbatein (2000), Saathiya (2002) ou Dhoom (2004). Avec Veer-Zaara (2004), le réalisateur livre un chef-d’œuvre dans lequel lui et plusieurs membres de sa famille se sont pleinement investis puisque le réalisateur a prêté sa voix au narrateur en voix-off, son fils Aditya Chopra a signé le scénario tandis qu’on retrouve en autres, le frère de ce dernier, l’acteur et producteur Uday Chopra (Mohabbatein (2000), Dhoom (2004)) à la production.
Si Veer-Zaara semble être un film-somme et une sorte de testament du réalisateur qui maîtrise parfaitement le genre bollywoodien, il faut noter qu’au-delà de la dimension romantique du film, on flirte avec la fresque mythologique. L’histoire d’amour shakespearienne entre Veer pilote indien et Zaara jeune fille pakistanaise est présentée de manière traditionnelle mais par les mots de Saamiya (ce personnage interprétée par Rani Mukherjee est basé sur une fameuse activiste et avocate pakistanaise, prénommée Asma Jehangir), la jeune avocate du matricule 786 qui est aussi le chiffre de dieu (toutes les sourates se référent au nom de Dieu désigné par Basmalah dont la valeur gematricale correspond au chiffre 786 - NDLR) l’on comprend que le destin exceptionnel des amoureux, pétris d’un altruisme surhumain est peut-être d’inspiration divine. Ainsi, se demande t’elle de quel siècle sont ces deux êtres qui s’aiment par delà la tradition, la loi des hommes et le temps. Sont-ils humains ou des dieux déguisés pense-t-elle tout haut tandis que se mêlent des images du couple à différentes époques, morphing entre phases temporelles qui illustre le passage du temps mais insinue dans l’imaginaire la possibilité d’une équivalence de métamorphoses divines incarnées dans la chair d’un amour Veer-Zaara dont le trait d’union serait tout à la fois celui de l’amour, d’un lien entre la vie terrestre et celle des dieux de religion différentes mais aussi celui qui pourrait militer pour une concorde indo-pakistanaise. A cet égard, il est intéressant de noter que Shah Rukh Khan est musulman et est marié à une hindoue ce qui reste exceptionnel et prend une dimension particulière dans ce film qui a permis qu’une ligne de bus baptisée Veer-Zaara par des fans, soit enfin mise en place le 11 décembre 2005 entre Amritsar et Lahore, les deux villes mentionnées dans le film.
Récemment le film français
Indigènes (2005) a permis de changer le sort des soldats oubliés de la première armée française recrutée en Afrique. Il semble que depuis quelques années la réconciliation soit devenue un thème du cinéma contemporain qui explore cette thématique comme on le voit en Corée dans de nombreux films (
Frères de sang, 2003), à Hong Kong (Le cinéma Hongkongais de
Wong Kar-wai, toujours dans et jamais très loin d’un Hong Kong indépendant d’une Chine menaçante), en Europe (
Joyeux noël (2004),
Indigènes (2005)), aux Etats-Unis et au Japon (La Saga Iwo Jima / Clint Eastwood composée de
Mémoires de nos pères (2006) et Lettres d'Iwo Jima (2006)) et maintenant en Inde avec Veer-Zaara qui contrairement à Main Hoon Na (2004) ou d’autres films qui s’en servent de toile de fond, en fait le ressort principal de l’histoire. Yash Chopra dit lui-même à cet égard que Veer-Zaara est sa « contribution à l’unicité des peuples des deux côtés de la frontière » car le Pakistan est né en 1947 avec l’Indian Independance Act à la suite duquel le jeune Etat a connu plusieurs conflits meurtriers avec son grand voisin, l’Inde. Les deux pays conservent aujourd’hui des relations tendues qui justifient l’hostilité et la suspicion d’espionnage qui va servir de motif pour l’emprisonnement de Veer au Pakistan. Veer-Zaara parvient habillement à traduire avec générosité le sentiment de correspondance et de fraternité qu’il existe entre les peuples indiens et Pakistanais pris en otage par une frontière artificielle et qui est semblable à celui décrit par
Tommy Lee Jones dans
Trois enterrements (2005) à propos de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, de part et d’autre de laquelle on retrouve les mêmes peuples, les mêmes traditions, les mêmes paysages. Veer et Zaara se chantent d’ailleurs l’un à l’autre à quel point leurs pays respectifs sont semblables.
Les grands intermèdes musicaux de Veer-Zaara sont très réussis en particulier grâce à une bande originale fantastique et très entraînante. Pour ce film, Yash Chopra a fait revivre la musique d'un grand compositeur des années d'or de Bollywood, Madan Mohan (1924 - 1975), un des plus fameux compositeurs indiens qui a travaillé sur plus d'une centaine de films en 25 ans. Son fils, Sanjeev Kohli a retrouvé et retravaillé des bandes jusque-là inédites et les chansons sont interprétées par de grandes voix telles que Lata Mangeshkar, Udit Narayan ou Sonu Nigam. Il faut avouer que les différents morceaux du film font leur effet et que le karaoké final risque de profiter à beaucoup d’entre vous. Son style s'inspire de la musique classique avec des influences orientales, et une utilisation récurrente du sitar, instrument traditionnel hindou. Il a laissé un grand nombre de chansons inutilisées. C'est à l'initiative de son propre fils, qui travaille pour la Yash Raj Films, que plusieurs de ces musiques ont été reprises dans Veer-Zaara, en particulier des compositions acoustiques ou dans un style western. Associés à ce très beau répertoire, des chorégraphies relevées et une mise en image soignée achève de créer de très beaux moments.
Verdict :
Sept ans après Dil To Pagal Hai (1997), Yash Chopra signe Veer-Zaara (2004), une oeuvre exceptionnelle tant par son propos sur la possibilité d’une réconciliation indo-pakistanaise que par sa bande originale reprenant de grands succès du compositeur Madan Mohar et remises au goût du jour par son fils Sanjeev Kohli ou sa superbe distribution d’où émergent Shah Rukh Khan et Preity Zinta. Un coup de coeur qui est un des films bollywoodien les plus réussis de ces dernières années.