Au plus haut, un roi. Au plus bas, un bâtard. Le roi se tient au centre et au cœur du pays ; le bâtard grandi à l’ombre et à l’étranger. Un jour, le roi déchire son royaume et jette sa couronne à terre. Que s’est t-il passé ? Pendant ce temps le bâtard donne libre cours à son ambition, trompe son frère, trahit son père, s’élève irrésistiblement. Lear va incarner le saccage, cédant ses possessions, livrant son corps à la tempête, son âme à la démence.
Mise en scène par André Engel, cette pièce de Shakespeare écrite en 1604 et jouée pour la première fois en 1606, est une œuvre majeure dans la carrière du dramaturge de génie. Emprunté à l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, la pièce traite de l’amour, et de la folie qui en découle, celle d’un père qui découvre ce qu’est l’amour de ses enfants, la folie d’un roi qui annonce lui-même la fin de son règne. Parallèlement c’est aussi l’histoire d’une vengeance d’un bâtard qui veut s’élever, pour laver l’affront de son incurable héritage. Le roi Lear, comme bon nombre d’œuvres de Shakespeare, est une pièce qui ne supporte pas le médiocre. Bons nombres de metteurs en scènes s’y sont attelés avec plus ou moins de bonheur dont Orson Welles, Peter Brook ou encore Michael Elliott, pour les plus célèbre, mais Lear fut aussi l’objet d’adaptation plus surprenante comme celle d’Akira Kurosawa « Ran ». Les Anglais diront, avec justesse d’ailleurs, que les meilleurs artistes pouvant jouer Shakespeare sont obligatoirement anglais, en voyant cette vision d’André Engel, on peut commencer à imaginer le contraire.
En effet le metteur en scène soigne son sujet, l’explore jusqu’à la racine, jusqu’à l’essence, pour n’en sortir que l’essentiel. Et sa mise en scène, volontairement épurée, offre, en effet, une ampleur nouvelle à l’œuvre du dramaturge. Les fioritures qui entouraient l’écriture originale deviennent subitement superflues et l’on découvre une œuvre beaucoup plus complexe et plus maîtrisée que celle que l’on imaginait avoir connu. En transposant le cadre temporel de la pièce dans un autre plus contemporain, André Engel favorise cette nouvelle vision, dans une compréhension plus en phase avec le discours de son auteur. Les personnages s’exposent plus dans le vide d’un décor épuré, ou les royaumes ne sont plus ceux de couronnes, mais de pouvoirs et d’obscurité.
S’appuyant sur une distribution particulièrement inspirée, le réalisateur ne rate jamais sa cible. Michel Piccoli incarne ainsi un Lear plus contemporain que n’importe quel autre mais aussi plus intemporel que le personnage d’origine. Incroyablement juste, le comédien transcende son personnage et lui donne une envergure aussi juste que celle des meilleurs acteurs anglais. Lear s’incarne en Piccoli et Piccoli incarne Lear, jamais en décalage, toujours le ton juste, fidèle à son talent, le comédien rend gorges aux défenseurs de l’obligation d’utiliser la langue anglaise pour jouer Shakespeare. Mais il serait réducteur de ne pas parler du reste de la distribution, qui n’hésite pas à suivre Michel Piccoli dans l’excellence de l’interprétation. Chaque comédien devient une pièce de puzzle qui s’imbrique avec justesse sur la plaque qui fera naître le dessin final. Une justesse de jeu constante qui est suffisamment rare pour être souligné et donner tout son sens à la vision de cette pièce.
En conclusion une véritable réussite que cette adaptation de la pièce de William Shakespeare. André Engel livre une œuvre maîtrisée qui offre une nouvelle exploration de l’œuvre du dramaturge de génie. La distribution aide à cette magnificence qui est offerte à cette pièce majeure. Les comédiens sont au service du texte et non l’inverse et le metteur en scène est à l’écoute de ses comédiens pour en extraire le meilleur.