Ali, jeune tunisien rêvant d’une vie meilleure, mène une existence solitaire, en vendant de l’essence de contrebande au marché noir. À la mort de son père, il doit s’occuper de ses deux sœurs cadettes, livrées à elles-mêmes dans une maison dont elles seront bientôt expulsées. Face à cette soudaine responsabilité et aux injustices auxquelles il est confronté, Ali s’éveille à la colère et à la révolte. Celle d’une génération qui, plus de dix ans après la révolution, essaie toujours de se faire entendre…
Lotfy Nathan est un documentariste Américain d’origine Egyptienne qui conserve un œil avisé sur les problématiques des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Son précédent documentaire : « 12 O’Clock Boys » se concentrait sur des gamins en motos dans les rues de Baltimore. Mais son cœur tirait vers une autre région du monde et pour son premier long métrage de fiction, il a décidé de s’intéresser à la Tunisie, berceau du printemps Arabe et ce que cette révolution a amené comme changement. Le constat est implacable : Pas Grand-chose. La corruption y est omniprésente, les riches s’enrichissent et les pauvres sombrent de plus en plus dans la misère face à un système qui les oublie et les ignore. Cette société Tunisienne en souffrance est au cœur du scénario qu’a écrit le réalisateur après avoir été choqué par l’histoire de ce vendeur ambulant qui s’est immolé le 17 Décembre 2010 et dont le geste de désespoir fut le déclencheur de cette révolution. Parti de là, Lotfy Nathan s’est interrogé sur le cheminement qui pouvait amener un homme à un tel geste.
« Harka » est un mot avec deux significations. Il veut dire « Bruler », justement en référence à Mohamed Bouazizi, mais il désigne également la migration illégale. Un argot Tunisien, il désigne ceux qui traversent illégalement la méditerranée en bateau. Et c’est toute la subtilité du scénario que de mélanger deux destinées pour n’en faire qu’une seule. Nous suivons le parcours d’Ali, qui vit de débrouille et cherche à vivre dans un pays où les inégalités ne cessent de grandir. Son combat quotidien personnel ou familial va faire naitre d’abord un sentiment de dégout, qui lui faire envisager de partir du pays, puis petit à petit un sentiment de colère et de révolte. Lentement mais inexorablement, la vie, la société, le silence, l’indifférence et la corruption régnante vont faire naitre dans ce jeune homme une colère qui ne cherchera qu’à s’enflammer. A grand renfort de symboles subtilement éparpillés, le rélisateur signe une mise en scène touchante et solide, dans laquelle son personnage principal traine sa solitude, sa résilience, puis se laisse déborder par la souffrance quotidienne et les obstacles quotidiens qui ne cessent de s’amonceler dans une indifférence pesante. Jamais à la recherche de plans renversants, Lotfy Nathan cherche, avant tout, à lever un voile sur une société en souffrance et cherche à comprendre en toute simplicité et en toute empathie ce qui plonge un homme dans un tel désespoir.
Et pour incarner son héros, le réalisateur a choisi un acteur Franco-Tunisien : Adam Bessa que l’on a pu voir dans « Tyler Rake » (2020) de Sam Hargrave, ou encore dans « Haute Couture » (2020) de Sylvie Ohayon. Se définissant comme un acteur toujours dans le besoin de s’imprégner de la vie de ses personnages comme dans la méthode de Constantin Stanislavski, développée et modifiée par Marlon Brando, Adam Bessa n’a pas hésité à rencontrer des gens vivant du marché noir, à vivre comme son héros, pour pouvoir mieux en incarner la souffrance et la dureté monolithique de son caractère. Nous parlions d’un symbole, celui de faire dormir son personnage par terre, en est un car il reflète l’image qu’Ali a de lui-même. Adam Bessa, reçu le prix d’interprétation à Cannes dans la section Un Certain Regard et cela est largement mérité, tant l’acteur crève l’écran et nous transporte dans son univers.