L'histoire :
Le fourbe Tiao Erh (Chao Hsiung) est chassé de la ville par le boxeur chinois Li Chung-hai (Fang Mien). 10 ans plus tard, après avoir pratiqué avec intensité le karaté, Tiao revient se venger, et donne une sévère correction à plusieurs élèves de Li, jusqu’au jour où il tombe sur le plus doué d’entre eux, Lei Ming (Jimmy Wang Yu) qui retourne la situation. Tiao décide alors de faire appel au karatéka japonais Kitashima (Lo Lieh) et ses élèves…
Critique artistique :
Quelques années avant le succès de
Bruce Lee,
Jimmy Wang Yu, réalisateur et acteur né en 1943 à Shanghai, révélée par
Chang Cheh dans
Un seul bras les tua tous (1967), passait à la mise en scène, en livrant La vengeance du tigre (1970), un des tout premiers films de kung-fu de la Shaw Brothers. Ce classique du genre marqua toute une génération, au même titre que
La Main De Fer (1972) avec
Lo Lieh, qui fut également à l'origine du boom des films d’arts martiaux en Occident. A la mort de Bruce Lee, Raymond Chow tente de pallier la perte de sa grande star en promouvant Jimmy Wang Yu comme le nouveau Bruce Lee. On compare d'ailleurs souvent Jimmy Wang Yu et Bruce Lee car ils ont tout les deux exploité un certain sentiment nationaliste tourné contre les japonais, considérés en tant qu'envahisseurs. Cependant il faut accorder à Jimmy Wang Yu la primauté de cette tendance qu'il a mise en oeuvre dans ses films avant la star de
The Big Boss (1971) en réalisant notamment La vengeance du tigre (1970), film aussi connu sous le titre Karaté à mort pour une poignée de soja.
La vengeance du tigre est pratiquement le film témoin du passage du Wu Xia Pian (film de cape et d’épée) au Kung Fu Pian (film de combats à mains nues) en 1970 sans pour autant être le premier film mettant en scène des combats de boxe chinoise. Il reste cependant celui qui pose clairement les bases de ce type de film qui va faire les beaux jours de la Golden Harvest et de
Bruce Lee dès ses débuts avec
The Big Boss (1971). Il faut noter que la même année, tandis que Jimmy Wang Yu tourne La vengeance du tigre en Corée, le réalisateur Chang Cheh, son ancien maître avec lequel il s’est brouillé, signe
Vengeance (1970), un autre film très intéressant qui se situe entre le polar et le film de Kung Fu en mettant en scène des combats de rue à mains nues, arme à feu et arme blanche dans le milieu des Triades. Durant cette période Jimmy Wang Yu tourne également le délirant
One Armed Boxer (Le Roi Du Kung Fu, 1971). L’année 1970 est donc une étape charnière qui marque le début de l’éclipse du film de sabre des années 70 d’où vont émerger des acteurs comme Bruce Lee à Hong Kong ou
Sonny Chiba (
The street fighter, 1974) au Japon.
Karaté à mort pour une poignée de soja, titre étrange pour un tel film avec lequel il n’y a aucun rapport, révèle et rappelle le mépris avec lequel les films de Kung-Fu et les productions étrangères telles que celles du cinéma dit Western Spaghetti italien ou les productions indiennes étaient et sont encore considérées par certains. Les crossover entre film de western et film d’arts martiaux était d’ailleurs qualifiés de Western soja. La vengeance du tigre ne brille d’ailleurs pas particulièrement par ses chorégraphies en dépit de la présence de Tang Chia l’autre chorégraphe maison de la Shaw Brothers que l’on a tendance à placer en retrait par rapport à
Liu Chia-liang (La 36e Chambre de Shaolin, 1978) dont le style est pratiquement l’opposé. On a notamment pu admirer son style plus direct dans les combats de rue du film Vengeance (1970). Ici les chorégraphies sont surtout violentes, probablement sous l’influence de Jimmy Wang Yu mais on remarque quelques scènes de combats plutôt réussies comme celle durant laquelle Lei Ming (Jimmy Wang Yu) vient provoquer ses ennemis dans leur salle des jeux et doit affronter plusieurs dizaines de combattants dans une mise en scène qui fait penser à une scène similaire dans
Kill Bill 1 (2003) où Black Mamba (
Uma thurman) affronte un nombre assez conséquent d’homme de main et la japonaise Gogo Yubari (Chiaki Kuriyama) avec sa fronde à pointe.
Du clivage des tentations propres à Jimmy Wang Yu, celle de la violence remporte la palme au côté et à égalité de celle d’un nationalisme forcené contre la menace japonaise. Jimmy Wang Yu est un animal à l’écran usant plus de la violence que de ses qualités martiales un peu à l’image d’un Sonny Chiba. Paradoxalement, dans La vengeance du tigre, le kung-Fu apparaît comme le noble art martial tandis que le karaté est présenté par le maître de l’école de Lei Ming comme une déclinaison grossière du kung-fu récupéré par les méchants japonais. Le film force le trait en présentant les japonais non seulement comme des envahisseurs venant implantés des affaires douteuses en chine mais sont qualifiés de vampires dont il faut avouer ils ont un peu l’apparence. De plus leur style martial est tant caricatural que brutal et ils accompagnent leurs attaques de mimiques ou de grimaces disgracieuses et exagérés. Très peu de temps après La vengeance du tigre,
Bruce Lee tournera
La fureur de vaincre (1972) où les japonais sont aussi très mal considérés. On note ainsi une parenté évidente entre Jimmy Wang Yu et Bruce Lee, qui adopte un point de vue très manichéen et nationaliste, parfait pour justifier des affrontements entre représentants d’arts martiaux différents comme dans
Le Boxeur Manchot (1971) où Jimmy Wang Yu affronte seul et avec un seul bras une armée de spécialistes des arts martiaux de l'Asie non chinoise selon une mise en scène plus que douteuse et farfelue.
Le rouge vous va si bien Mr. Wang, surtout quand il jaillit épais et onctueux comme une gouache écarlate des gorges ou des corps. La vengeance du tigre fait parti des films de la Shaw Brothers qui rappellent plus que les autres qu’il s’agit d’un cinéma de studio où même le sang et les tripes son placés sous le signe d’une plasticité remarquable qui a fait la réputation des studios de la Shaw Brothers. Afin d’enfoncer le clou et pour rester dans la logique du genre, le personnage incarné par Jimmy Wang Yu doit accomplir son destin en passant par l’inévitable étape de purification et d’élévation de son Kung Fu qu’il doit faire évoluer en faisant la synthèse du kung fu de la paume de fer et du Kung fu de l’envol. Qu’à cela ne tienne, puisque la paume de fer réclame de la puissance, il travaille la résistance de ses mains en les plongeant dans des braises (la dimension chamanique de ce rituel ne nous échappe pas et sera repris dans Le Boxeur Manchot en 1971) et s’exerce à la course et au saut en hauteur lesté de poids accrochés aux chevilles (les fans de manga penseront à l’entraînement de tortue géniale).
Verdict :
Connu sous le titre, Karaté à mort pour une poignée de soja, La vengeance du tigre (1970) de Jimmy Wang Yu, est un film témoin du passage de l’industrie Hongkongaise des films de sabre au film de kung Fu. En dépit de nombreux défauts et d’un Jimmy Wang Yu exprimant d’avantage son goût pour la violence des combats qu’une maîtrise des arts martiaux, ce film est l’un des tout premier à montrer des combats à mains nues, peu de temps avant Bruce Lee.