Pour Edward Wilson, seul témoin du suicide de son père et membre de la « Skull and Bones Society » à l’université de Yale, l’honneur et la discrétion sont des valeurs primordiales. Ce sont ces qualités qui poussent la CIA, l’agence gouvernementale qui vient d’être créée, à le recruter. Influencé par l’ambiance paranoïaque que provoque la guerre froide dans toute l’agence, Wilson se montre de plus en plus suspicieux. Son pouvoir grandit, mais il a de moins en moins confiance en ceux qui l’entourent. Son obsession du travail l’isole chaque jour un peu plus de ses proches et de celui qu’il était.
Deuxième réalisation seulement de Robert de Niro (Taxi Driver, Mon beau-père et moi) après le déjà excellent « Il était une fois le Bronx » en 1994, « Raisons d’état » apparait d’ores et déjà comme un petit chef-d’œuvre. Car le réalisateur formé à l’Actor’s Studio, sait véritablement s’approprier un sujet, à fortiori quand il s’agit de mettre au grand jour les fêlures d’un état en totale paranoïa, à plus forte raison lorsque ce même état vient de se trouver de nouveaux responsables de sa peur incontrôlable de l’agression de l’autre.
Robert de Niro ne se contente pas de raconter les balbutiements de ce qui deviendra l’une des agences du contre-espionnage les plus redouté dans le monde, non il en montre les faiblesses évidentes qui enfantèrent cet antre de la suspicion perpétuelle. Fort d’une mise en scène minutieuse, la narration se fait douce et pourtant si efficace, évitant de ce fait les caricatures liées au sujet. Ainsi point de gadgets, point de courses poursuites haletantes, point de femmes élancées aux regards de braise (enfin si, mais là c’est pas pareil !), juste l’obsession du personnage qui devient la métaphore de la naissance d’un monstre aux tentacules implacables. Edward Wilson ne travaille pas à la CIA, pour le spectateur il incarne l’organisation avec ses codes, ses honneurs mais avec son isolement aussi, sa perte d’identité liée aux doutes incessants, et cette question terrifiante : « La patrie ou la famille ?»
Le réalisateur s’appuie d’ailleurs sur le talent de son acteur principal Matt Damon (The Bourne Trilogy, Will Hunting) qui s’éloigne radicalement de son rôle de Jason Bourne pour n’en garder que l’aspect rigide et taciturne, qui montre un personnage submergé par ses propres blessures au point d’enfermer au plus profond de son être ses sentiments. Car prisonnier de ses idéaux, il finit par en oublier l’amour et tous les êtres qui l’entourent. Une prison qui ne laisse de place à rien, même pas à son propre fils. Le jeu du comédien se veut d’ailleurs à la hauteur de l’exigence du réalisateur, minutieux et incroyablement juste. Et cela se voit de suite à l’écran, Matt Damon se fait petit à petit oublier pour laisser vivre son personnage jusqu’au moindre petit regard en coin.
Mais il serait injuste de ne pas saluer la superbe composition de l’actrice principale Angelina Jolie (Tomb Raider, Mr et Mrs Smith) (Tu m’étonnes qu’elle est jolie !) qui n’hésite pas à payer de sa personne en se vieillissant pour mieux correspondre au personnage. Les cernes sont apparentes, le dos se voûte très légèrement et l’on voit petit à petit apparaître une femme usée par l’absence de son mari et par l’absence de dialogue avec l’être qu’elle aima un soir. L’actrice se laisse porter, elle aussi, par le talent de conteur du grand De Niro (Enfin quand même de là à Vieillir Angelina, faillait oser !)
En conclusion, « Raisons d’Etat », ne fait pas que raconter la création de la CIA, il plonge dans les profondeurs mentales et morales de ceux qui travaillèrent à sa création et à sa réputation. Un film à la mise en scène particulièrement soignée qui ne laisse rien au hasard, et nous prouve une fois de plus (Si besoin en était) que Robert de Niro est un immense artiste.