La règle du jeu

André Jurieux, à l’instar d’un Lindbergh, a effectué la traversée de l’Atlantique ; pour l’amour de Christine. Mariée au marquis Robert de La Chesnaye, celle-ci se refuse à son prétendant. Voyant son ami désespéré, Octave, ami d’enfance de Christine, parvient à le faire inviter au château de la Colinière, domaine du marquis, pour une partie de chasse. Commence alors un week-end où André tentera de conquérir Christine, où le marquis essaiera de rompre d’avec sa maîtresse, où le domestique Marceau profitera des charmes de la camériste lisette, que son mari Schumacher, garde du château pour le marquis, voudrait voir revenir auprès de lui… Ouf ! En avant pour le tourbillon de l’amour.

 

Il faut d’emblée préciser qu’il s’agit ici de la version intégrale du film, celle qui résulte des travaux de restauration qui ont amené à la ressortie sur les écrans du film en 1959. En effet, les différentes versions sorties jusqu’alors n’étaient que des versions amputées de tel ou tel morceau, à cause des impératifs de temps, ou des demandes des directeurs de salles.

 

Inspiré d’une pièce d’Alfred de Musset, et influencé par les oeuvres de Molière ou de Beaumarchais entre autres, La Règle du Jeu a d’abord toutes les apparences d’un vaudeville léger. Mais il ne faut pas s’y tromper, on ne badine pas avec l’amour, et si le film donne l’impression d’une ode à l’amour volage, la conclusion du week-end à la Colinière nous rappellera que l’amour est quelque chose à prendre très au sérieux et que le drame n’est jamais loin.

 

Film choral par excellence, huit personnages principaux, entourés de plus d’une dizaine de personnages secondaires, La Règle du Jeu ne peut hélas développer, comme il conviendrait, les intrigues et leurs protagonistes. Et c’est là le principal écueil du film. Jean Renoir ne creuse jamais réellement ses histoires. On reste à la surface des choses et on a parfois du mal à saisir ce qui se passe réellement ou les motivations d’untel ou d’untel. Impression renforcée par le fait que l’action se déroule en 1939. Les codes, les conventions étaient différents à cette époque et il peut être difficile d’essayer de comprendre, ou plutôt de juger ce qui se passe avec nos considérations tirées d’une société forcément plus moderne. Enfin, et pour ne rien arranger, Renoir ayant eu des problèmes pour boucler son tournage, tout n’a pas été filmé et des séquences qui auraient pu permettre de mieux expliquer certaines choses sont manquantes.

 

Ainsi, on ressentira peut être un certain malaise devant l’hypocrisie des membres de cette haute bourgeoisie aristocratique. On ne saura pas exactement si le marquis et ses amis sont totalement dénués de sentiments et n’envisagent que leur plaisir immédiat, ou bien si au contraire ces personnes sont plus responsables qu’il n’y paraît.

 

Et c’est le même problème avec le jeu des acteurs. La manière de jouer n’était pas la même que maintenant. En ce temps là, il était normal d’être très démonstratif, de faire de grands gestes, d’en rajouter ; en bref de surjouer. Surtout qu’il s’agit, ici, d’un « drame gai », selon les propres termes de Renoir, et on est très proche, du moins dans les trois quart du film du vaudeville, genre qui réclame évidemment que les acteurs soient dans l’exagération.

 

Par contre, là où le film est magistral c’est concernant la réalisation. Renoir nous livre un véritable récital. Arriver à gérer une telle profusion de personnages, d’intrigues ne devait pas être facile. Mais le grand maître gère l’espace d’une manière impressionnante, de plus avec les moyens de son époque. Il fait une utilisation très astucieuse des panoramiques et des travellings. Chaque plan est préparé, de manière à ce que les acteurs sachent exactement quoi faire (quand rentrer dans le cadre, quand en sortir, où se placer…) pour donner l’impression d’une fluidité dans ce maelström. Pas grand-chose à dire d’autre à part que la réalisation est véritablement saisissante. Un modèle du genre.

 

Chef d’œuvre ou pas ? Au final, cette question est sans importance. Tout ce qui compte c’est qu’il faut voir, au moins une fois dans sa vie, ce film. Ne serait-ce que pour la leçon de réalisation que nous livrait en 1939 Jean Renoir.

 

Très bon noir et blanc. Là aussi le travail de restauration est hallucinant surtout si on a déjà eu l’occasion de voir une version datant d’avant la restauration. Par contre, cela reste un film de 1939 et il est bien évident qu’on ne se retrouve pas devant des images tirées d’un film de Michael Mann.

En ce qui concerne la version 5.1, une dynamique correcte et une très bonne spatialisation et un très bon surround, surtout en prennant en compte le fait qu’il s’agit d’un film de1939. Le travail de restauration est impressionnant.

 

Le seul petit point noir concerne les voix. Sur la version 5.1, il arrive par moments qu’on ne comprenne pas très clairement ce qui dit tel ou tel acteur, problème qui ne se retrouve pas sur la version mono, mais qui à part ça ne présente pas beaucoup d’intérêt.

A l’image du film, les bonus sont géniaux. Une fois ceux-ci vus, il vous sera impossible d’ignorer quelque chose sur le film. Et la profusion du matériel ne nuit pas à son intérêt.

 

-        Jean Renoir vous présente « La Règle du jeu » : Images d’archives où le réalisateur explique son inspiration, évoque la réception du film à sa sortie. Intéressant et amusant.

-        Jean Renoir la patron : la Règle et l’exception : Extraits de l’émission « Cinéastes de notre temps » où Renoir répond à quelques questions (Jacques Rivette étant un des journalistes) sur le découpage du film, la profondeur de champ de ses plans, ses personnages…Très intéressant et très instructif.

-         Olivier Curchod présente « La Règle du jeu » : Entretien avec un spécialiste de l’œuvre de Renoir. Parle du contexte du film, sa préparation, le déroulement du tournage. Très précis et très pointu. Serait sûrement capable de raconter le tournage jour après jour.

-         « Ma » Règle du jeu : Entretiens avec Claude Chabrol, Noémie Lvovsky, Guy-Claude François, Eduardo Serra. Expliquent pourquoi ils aiment le film. Permet de prendre conscience de certaines choses qui peuvent nous avoir échappées.

-        « La Règle du jeu » dans la série « Image par Image » : Documentaire qui analyse le film, le contexte, ses personnages. Impressionnant, à ne pas rater, surtout quand il évoque le génie technique de Renoir.

-        Commentaire du film par Olivier Curchod : Centré principalement sur les personnages. Mais livre quand même un décryptage très précis du film. Egalement à ne pas rater.

-         Livret prestige.